Mon histoire est longue et tout sauf ennuyeuse comme celles de la plupart d'entre nous car nous sommes des survivants, nous avons tous des choses à raconter. Des bonnes comme des mauvaises. Personnellement, le destin m'apprécie tellement que je suis bien plus qu’excédentaire du coté des mauvaises. Mon histoire est longue et tout sauf ennuyeuse mais je vais vous épargner le sempiternel historique allant de la naissance à la mort. Ou plutôt à mes nombreuses morts. Car la mort n'est pas que la fin inévitable qui est le dénominateur commun de tout mortel. La mort peut poursuivre les vivants et leur prendre bien plus qu'aux morts. Leur voler des choses précieuses et leur donner l'impression que malgré le mouvement instinctif de l'air remplissant leur poumons, la sensation d’être plus mort que vivant serrant leur cœur dans un étau de fer. Étau broyant tout sur son passage. Ôtant saveur et intérêt au monde extérieur. Je vous épargne donc mon abandon, mon adoption, mon enfance, le massacre de ma meute aux alentours de mon premier anniversaire et tout ce qui en a suivi. Non, nous allons seulement remonter quelques mois en arrière. Nous sommes en mars. Et l'hiver implacable soldat de glace vient d’être vaincu par le jeune printemps fougueux et fringuant. L'avenir est très sombre. Ces mystérieux bipèdes surgis des mers tels des monstres marins vivant dans les profondeurs sont les pires ennemis que je n'ai jamais rencontré. Et peut être même les pires que toute mon espèce ait jamais eu à combattre. Leurs monstres de fer sont encore plus impressionnants que tout ceux qu'il m'ont été donnés de voir. Mais, ce n'est pas le pire loin de là. Leur discipline martiale exemplaire par rapport à celles des hommes locaux que nous affrontions des lors ne l'est pas non plus. Non, le plus gros danger auquel nous sommes confrontés est sans conteste leur ramassis de foutues armes vivantes. Les chiens de l'enfer comme nous les avons baptisés. La plupart sont faibles, rachitiques, pathétiques à voir. On aurait bien du mal à imaginer l'un d'entre eux tenir cinq minutes face aux molosses d'Astaroth ou à la meute d'Usuro pour les opposer à des congénères. Seulement, ils sont malheureusement difficiles à sous estimer en raison des bombes arrimées à leur dos. Des bombes capables de d'embraser une escouade expérimentée en quelques instants rendant chaque affrontement imprévisible et nous contraignant à retenir nos coups par peur de finir dans un joli feu d'artifice de chair grillée. Malgré tout nos efforts, nous perdions face à l'implacable génie militaire de ces ordures conquérantes. La situation n'était pas plus reluisante du coté du village d’où la convocation impérieuse du passeur. La rencontre fut un simulacre de négociation. Les meutes pliant le joug sous ses ordres pour protéger les hommes du village. Notre fierté Navnik nous a fait défié le molosse. C'est à ce moment là de l'histoire que ma dernière mort émotionnelle m'a brisé et conduit à fouler aux pattes mes devoirs et mon honneur. Je rentrais tranquillement d'une patrouille de routine lorsque j'avais découvert le corps sans vie de ma compagne au cœur du territoire. La douleur est telle que je reste paralysé devant le cadavre encore chaud de ma louve durant plusieurs heures. Je décide finalement de la traîner là ou j'avais enterré le petit mort né. Je n'avais alors pas prévu que mon fils chercherait sa mère et son père en pleine nuit au milieu du territoire alors que la menace des Hellhounds planait au dessus de nos tètes. Rhaegar me découvrit tétanisé, mutique et abattu devant la dépouille de sa mère. Je ne me rappelle pas exactement des mots que j'ai prononcé. Tout ce dont je me souviens c'est que mon petit s'est mis à verser toutes les larmes de son corps et que les miennes ont rejoint les siennes pour former un océan de tristesse et de désespoir. Rhaegar s'est blotti contre moi et s'est endormi vidé de toute énergie. Quant à moi, mon regard n'a pas vacillé, n'a pas quitté le corps d'Elerinna durant cette nuit funeste. Le lendemain matin, j'ai envoyé mon fils chercher son oncle avant de me mettre à creuser. Daante et Rhaegar m'aidèrent à accomplir mon œuvre. J'aurais bien voulu prononcer des jolies paroles pour rendre hommage à la louve qui avait rendu un sens à ma vie mais rien ne voulu sortir de ma bouche. Mon cœur saignait comme si une centaine de crocs y étaient plantés simultanément. Il me fallut plusieurs heures supplémentaires pour accepter la réalité de la situation. Et j'aurais pu en passer davantage si mon frère n'était pas venu à toute allure me prévenir que Nyssa avait disparue. Plongé dans l'hébétude la plus profonde, je n'ai pas vraiment réalisé. Daante a du me bondir dessus et planter ses crocs dans mon épaule pour me ramener à la réalité. Nous avons cherché la petite toute la journée sans résultat. Je me suis couché fourbu, affamé, épuisé mais ce n'était rien à coté de la douleur émotionnelle me dévastant. J'ai continué de chercher ma petite le lendemain, le surlendemain et tout les jours d'après, négligeant complètement mes devoirs de second de la meute. Mais, mes recherches furent infructueuses et les jours suivant les recherches me plongèrent dans une dépression profonde. J'avais échoué, j'avais échoué voilà ce qui passait en boucle dans mon esprit. Sans même que je comprenne de quel échec il s'agissait. Pris d'un élan de paranoïa notoire, j'ai embarqué mon fils et mon frère et ai quitté les terres Navniks sans même me retourner. Je ne savais pas vraiment ce que je fuyais. Était ce les souvenirs et les fantômes de mes disparues ? Le poids de ces échecs que je ne comprenais pas ? Ma famille réduite de moitié par la cruauté sans limite du destin. Un destin sadique m'ayant déjà tant arraché mais n'étant visiblement pas satisfait. Était ce la peur de ce destin funeste pour les derniers membres de ma famille encore en vie ? L'échec de ne pas avoir su protéger les miens ? Les remords de ne pas avoir assez fait attention à ma compagne et ma fille ? Je ne le sais toujours pas. Ce que je sais c'est que cet exil était exactement ce dont j'avais besoin. Si j'étais resté, si j'avais mené des opérations. Cela se serait révélé catastrophique à n'en point douter. Je n'étais plus dans l'état d'esprit digne d'un commandant. Mais, celui d'un être brisé et perdu. Des Navniks auraient pu perdre la vie en raison de mauvaises décisions. Ce n'est pas une recherche de justification mais un simple constat. L'exil fut d'abord silencieux, morose, solennel. Mais, bien vite Daante a aidé Rhaegar à faire son deuil. Mon fils a fait preuve d'une maturité étonnante pour son jeune age tandis que je régressais pour ma part vers mes vieux démons. Par trois fois, j'ai combattu des solitaires ne m'ayant fait aucun tort. Par trois fois, j'ai tué. Tout comme durant ma vie de solitaire ayant suivi la disparition de ma meute d'origine. Me battre et tuer me paraissait être le seul exutoire efficace à la douleur. Mais, cette fois quelque chose m'a empêché de m'y enfoncer complètement. Ce que ma compagne aurait pensé et dit de moi. J'ai fini par aller de l'avant. Ces mois bien loin de la meute m'ont permis de me rapprocher de mon fils et de renforcer les liens avec mon frère. Le voyage fut tout à la fois un pèlerinage, une thérapie, une aventure, une prise de conscience et une nécessité. Mais à l'issue de la découverte d'un massif montagneux relativement épargné, j'ai compris que la fuite n'était pas la bonne solution et que j'aurais du faire face à ma peine là bas près de la tombe d'Elerinna. Discussion, négociation, bataille verbale, acceptation, promesse de revenir les chercher, permission de suivre mes traces si je mettais trop de temps. Me voilà de retour sur les terres d'AFF. J'ai tenté de revenir comme avant, de renvoyer l'image qu'Ebène renvoyait avant sa défection mais je n'y arrive plus. Les Hellhounds sont partis mais la vie continue loin des miens pour le moment. Je suis de retour pour le meilleur comme pour le pire. Rien de nouveau sous le soleil. Le sang coule, les loups se déchirent et le monde brûle. Encore.