J'étais de retour sur ces terres souillées par les affres de la guerre depuis quelques jours désormais. Il m'avait fallu un certain temps pour décider de retourner auprès des miens. Car, qu'on se le dise bien que je ne regrette absolument pas mon départ précipité je ressens tout de même une pointe de honte à l'idée de revenir comme une fleur alors que mes compétences auraient pu être utiles en ces temps plus que troublés. Je ne ressens aucun regrets pour ce que j'ai fait parce que sur le moment cela m'avait paru la seule solution envisageable. Faire face à ma douleur me paraissait alors insurmontable. Je sais maintenant que j'ai choisi la facilité. J'aurais du rester et tenter de continuer d'avancer en faisant de mon mieux. De toute manière désormais ce qui est fait est fait, je ne peux pas changer le passé. Je retire notamment du réconfort dans ma peine de m’être séparé de ce qu'il reste de ma famille. Au moins Rhaegar ne subira pas une nouvelle période de conflits et je suis sur qu'il est parfaitement en sécurité dans les pattes de Daante quelque part ou la folie humaine est encore relativement inoffensive.

Je suis parfaitement conscient de bien trop couver mon dernier petit. Ce qui l'exaspère en partie seulement car il sait bien ce que le fait de perdre Elerinna et Nyssa m'a fait traversé. Il a sûrement deviné qu'il était bien plus ma bouée de sauvetage dans un océan de tristesse que je n'étais la sienne. Quoi qu'il en soit malgré la douleur de la séparation, je savais que mon fils et mon frère allaient bien et cela suffisait amplement. Cela ne faisait qu'une seule journée que j'avais rejoint la meute dans les marais ou elle avait été contrainte de s'exiler en raison du conflit. Les marais, j'avais toujours apprécié cette partie des terres neutres pour bien des raisons mais le fait d'y vivre de manière permanente ne m’enchantait guère. Ce n'était pas la place légitime des nôtres. Mais, j'étais bien conscient de la précarité de notre situation grâce aux informations de ma chère Djall. Alors, je prenais mon mal en patience et rongeais mon frein en attendant d'avoir quelque chose à faire. Quelque chose comme aller découper du Hellhound, gêner l'avancée inexpugnable de ces hommes venus d'ailleurs ou n'importe quelle autre tache dangereuse d'utilité publique. Il était dangereux de revenir sur les terres des meutes car la domination des hellhounds semblait totale. Seulement, mes pas me guidais presque inconsciemment vers nos terres. Celles que j'avais connu , celles empreintes d'histoire et de souvenirs.

Je traversais comme une ombre sans but précis, me laissant voguer au gré des souvenirs. Ici je me revois jouer avec la petite boule de poil énergique qu'était Nyssa et là je me revois lézarder avec Elerinna. Cela fait mal mais cela fait du bien. Quoi qu'il en soit, je ne parvenais pas à réprimer un soupir de colère et un grondement de rage en observant ce qu'il restait désormais de la chapelle. Je suis resté bloqué devant durant plusieurs heures avant de décider de rentrer au camp de fortune de la meute. Mais, sur le chemin l'odeur d'une de mes sœurs de meute m'interpelle et c'est d'un pas nonchalant bien que le cœur lourd que je m'approche d'elle. Je gravis la dune et m'installe à coté de la louve que je crois reconnaître comme Inka la douce nourrice de la meute. Si mes souvenirs ne me jouent pas de tours, Althéa et Rhaegar lui en avait fait voir de toutes les couleurs durant l'hiver dernier. Ah, l'insouciance innocente de la jeunesse. L'un des derniers trésors de ce monde. La louve ivoire semblait perdue dans ses pensées alors je ne prends pas la parole et laisse le silence s'installer autour de nous avant de lui dire au moment ou elle tourna finalement la tète vers moi : Si tu veux rester seule. Tu n'as qu'à me le dire .

La nourrice aux yeux d'ambre sursauta légèrement lorsqu'elle entendit le son de ma voix. Je me retiens d' hausser négligemment les épaules car je n'avais pas eu l'intention de l'effrayer et je ne pensais pas que mon intervention puisse être si surprenante à moins bien sur d’être profondément ancré dans ses pensées. Et il semblait bien que c'était le cas de la douce Inka. Oui, maintenant que je me trouve juste à coté d'elle cela ne fait plus aucun doute. Il s'agit bien de la seule nourrice de la meute. Cela doit aider pour la mémorisation j'imagine. Toujours est il que je m'étais fait un point d'honneur a essayé de mémoriser le nom de la plupart des membres de la meute quand bien même je n'en connaissais que le quart. De toute manière cela n'avait plus vraiment d'importance maintenant. Je laisse mon regard embrasser l'horizon tandis que la réponse de la louve s'imprime dans mes oreilles tournés vers sa direction. Un petit sourire étire mes babines et je lui adresse un léger signe de tète pour la remercier de son acceptation. Ce n'est définitivement pas moi qui pourrais lui jeter la pierre vis à vis du fait de se perdre dans ses pensées, ayant moi même la fâcheuse tendance à me laisser emporter dans le courant tumultueux des souvenirs.

Cela fait du bien de se rappeler, il faut bien en convenir néanmoins je crois qu'il est important de bien faire la part des choses et de ne pas se laisser aller à la mélancolie. Bon sur ce dernier point, c'est l’hôpital qui se fout de la charité vu ma propre prédisposition à la mélancolie. Pourtant, je suis bien conscient qu'il est aisé de se laisser aller. Alors que le plus important est et restera toujours le présent. C'est dans le présent que nous vivons, c'est dans le présent que nous pouvons agir. Le ton de la jeune louve était gentil et transpirait la douceur. J'étais heureux de constater que même si la guerre nous prenait tant à tous, certaines choses restaient les mêmes. Comme la bienveillance et la bonté dans le cœur d'une nourrice. C'était une autre façon de résister aux ravages de nos ennemis. Ne pas laisser l'horreur nous transformer en quelque chose de pire. En tout cas, c'était ainsi que je voyais Inka. Un vestige d'infini douceur dans un monde à l'infinie froideur. Je me laisse dévisager sans en prendre ombrage durant quelques instants. Oui, Inka c'est bien moi. Le père des deux chenapans qui faisaient tout pour échapper à ta surveillance quoi que pour des raisons différentes. Nyssa était pétillante tandis que Rhaegar cherche plutôt la solitude dans la liberté.

Un autre sourire éclaire mon visage lorsqu'elle me reconnaît en s'exclamant. Un petit rire s'échappe de mes babines lorsqu’elle me demande ce que je fais ici. Je tourne la tète vers elle et lui réponds : Je suis rentré pour pouvoir profiter de ta douce compagnie et d'un tel panorama.

Mais, je retrouve bien vite une expression plus sérieuse et hausse les épaules avant de répondre : La fuite n'est pas la bonne solution, je le sais maintenant. Mais, tu sais parfois la douleur est telle que l'on ne trouve pas d'autres solutions. Je crois que je comprends mieux pourquoi Atom s'était exilée. Enfin, j'imagine que je suis revenu parce que peu importe la distance que je pourrais mettre c'est ici que se trouve ma maison et ce malgré les souvenirs susceptibles de me hanter.
Je reporte mon attention sur l'océan de sable au bas de la dune et reprends : Et toi comment vas tu en ces temps troublés ?

Inka m'écouta sagement sans émettre le moindre commentaire ni la moindre remarque sur le fait que mes propos soient resté notablement évasifs et relativement léger en terme de contenu. En fait, j'imagine que l'on pourrait tout à fait dire que j'en ai dit sans véritablement en dire. Ce n'est pas que je ne veuille pas en parler. Je sais pourquoi je suis parti et malgré ce que l'on pourrait dire, cela ne regarde au final que moi. Néanmoins, je sais également pourquoi je suis revenu et c'est bien cela le plus important. Que tout ce qu'il s'est passé a été l'occasion de comprendre certaines choses. Il n'y a pas d'âge pour recevoir une leçon de la vie. Croyez moi, les plus douloureuses sont souvent les plus importantes et accessoirement celles qui rentrent le mieux dans le crane pour ne plus jamais le quitter.

Parler du passé est censé faire du bien à ce que l'on dit et évacuer ce qui doit l’être. Je suppose que ce n'est simplement pas le cas de tout le monde. Dans mon cas, l'exploration des souvenirs dans un attachement au passé idéalisé est la norme. Je me noie dans les affres doucereuses de la mélancolie et au bout d'un moment, cela finit par passer parce qu'ainsi va la vie. Sur ce point, le proverbe dit vrai. Il faut parfois laisser faire le temps tout simplement. La mélancolie c'est à double tranchant. Cela paraît inoffensif au premier abord mais il est très facile de se laisser aller et de sombrer. Parler peut faire du bien à certaines personnes en certaines circonstances mais je ne suis pas de ceux qui s'épanchent sur les épaules des autres. J'ai tendance à encaisser seul en silence. Parce que c'est ce que j'ai toujours fait et ce depuis mon abandon. J'intériorise les émotions et broie du noir en fermant ma gueule dans un coin. Cependant, c'est dans ces moments là que je peux être instable. A mes yeux parler des moments douloureux ne fait que remuer le couteau dans la plaie et réveiller des émotions brutales. Mais, il faut bien mettre des mots sur des situations et des états une fois de temps en temps. De plus, si je devais parler à quelqu'un de ce genre de chose ce serait certes bien évidemment à Djall en sa qualité d'amie proche mais également peut être à Inka car la jeune nourrice semble être une personne compréhensive, à l'écoute et bienveillante.

Enfin bon, cela fait plusieurs mois désormais. J'ai commencé à m'y faire. Elles vivront à jamais pour moi. Elles vivront à jamais dans mon cœur et ma mémoire. Mais, je me dois d'aller de l'avant pour la famille qu'il me reste et également pour la meute que j'ai abandonné durant ses heures les plus sombres. De toute manière, le travail ne manquera pas. Il n'a jamais manqué et le labeur occupe l'esprit. Un cercle vertueux en somme si je puis dire. La douce nourrice balaie ma propre question et enchaîne avec une autre question. Un léger sourire étire mes babines avant de s'effacer. La séparation avec mon frère et mon fils est récente mais désagréable comme si j'étais amputé d'un membre. Pourtant, je m'y suis résolu avec bon cœur. Puis bon, la vie de solitaire forge le caractère. Daante et moi étions bien placé pour le savoir après nos malheureuses expériences respectives suite à l'extinction des Chenoa. La séparation de la moitié survivante de ma famille est relativement anodine comparée à celle de nos disparus. De plus, ils ne sont pas très loin. Un certain nombre de lieues à l'ouest dans les montagnes.

Ma tète se tourne vers Inka et c'est avec un léger sourire que je lui réponds : Oui, ne t'en fais pas Daante et Rhaegar vont bien et ne sont pas très loin d'ici. Rhaegar a bien grandi. Ils reviendront sûrement dans la meute un peu plus tard. Je te remercie de ta sollicitude. Elle est rafraîchissante. Je reporte mon attention sur le paysage devant nous et lève les yeux vers le ciel gonflé de nuages noirs. Un temps orageux à n'en point douter avant de reprendre : La meute. Comment va t' elle ?
Un léger commencement de sourire semble se dessiner sur mes babines lorsque je me demande si Inka va répondre ou si elle a d'autres questions à me poser. Mais, il fallait vraiment que je sache.

Un coup d’œil sur la louve au pelage clairsemé m'indique que je vais avoir une réponse à la question qui me taraude depuis la minute ou j'ai reposé les pattes sur le territoire de la meute. Il faut dire que je me suis éclipsé au plus mauvais moment. Et cela n'avait cessé de me peser sur la conscience mais maintenant que je suis de retour, je vais pouvoir m'assurer que tout le monde va plus ou moins bien. J'insiste sur le plus ou moins car je me doute que l'humeur est une chose subjective et que si la situation générale de la meute se révèle plutôt satisfaisante. Il est tout à fait possible qu'individuellement les choses soient bien différentes. Après, tout une meute est une somme de plusieurs individualités. Alors, certes je pourrais me précipiter devant la meute et vérifier par moi même que les frères et les sœurs de meute que j'ai quitté il y a quelques mois sont encore bel et bien vivants et en bonne santé bien qu'éreintés par des mois de conflits que je suppose violents et sanglants. Néanmoins, les choses semblaient bien plus rassurantes lorsqu'elles émanaient de la bouche des autres. Surtout lorsque les autres se trouvaient là lorsque vous n'y étiez pas. Bon, il est toujours possible que la subjectivité sur les événements diffèrent selon les points de vue et donc les individus. Mais, je faisais pleinement confiance à la nourrice au cœur pur pour me dire la stricte vérité sur la situation des Navniks.

Inka se met à réfléchir en silence, son regard dérivant au gré de ses pensées. Je me permets de scruter les traits de son visage durant sa réflexion comme s'ils étaient des signes annonciateurs de l'annonce d'une nouvelle désastreuse ou au contraire d'un soulagement intense et sans commune mesure. Je détourne finalement les yeux et reporte mon attention sur le paysage toujours aussi somptueux vu du haut de la dune malgré la désolation endémique de la plupart des terres de la région. Lorsque je reporte une nouvelle fois mon regard sur Inka. Celle ci me répond que la meute va bien et que je risque de rencontrer de nouveaux membres dans les semaines à venir. Cette fois, un soupir de soulagement s'échappe de mes babines et je suis enfin rassuré. Si la meute s'est étendue durant mon absence c'est bel et bien que malgré les menaces pesant sur elle, elle a su rester forte et déterminée comme elle l'avait toujours été depuis sa création. Tout les muscles de mon corps se détendent et je sens une pression noueuse quitter mon poitrail. Je crois que je ne me suis jamais aussi bien senti depuis un certain temps. J'imagine que la trogne déjà bien amoché de ce bon vieux Tybalt a encore écopée de quelques cicatrices. Ce qui prouverait que tout va effectivement comme d'habitude. Un bref silence de quelques instants s'installe avant que la nourrice ne reprenne la parole en me demandant si j'avais l'intention de rester.

Je laisse un grand sourire éclairer mon visage encore plein de soulagement du à la situation de la meute et lui réponds : Tu m'en vois rassuré. Vraiment rassuré. Bien sur Inka. Je suis revenu pour de bon. Je ne partirais plus, crois moi.
C'est à mon tour de laisser passer quelques instants pour réfléchir à la question que je souhaite lui poser. La première qui me vient à l'esprit concerne Inka. Je lui ai répondu de bon cœur et son inquiétude à mon encontre est sincèrement touchante mais elle semblait perdue dans ses pensées lorsque je l'ai trouvé. J'espère qu'elle n'a pas de problème car si c'est le cas je pourrais toujours essayer de l'aider. Je ne suis pour ma part pas excessivement altruiste à mon avis mais aider des membres de la meute est dans ma nature surtout lorsqu'il s'agit de personnes aussi gentilles que la nourrice. Je reprends donc : Tu avais l'air dans tes pensées tout à l'heure. Quelque chose te tracasse ?

Inka se redressa presque brusquement en entendant ma question. Ce qui avait quelque chose d'amusant sur le moment car cette louve n'était que lumière, douceur et bonté. Par conséquent, ses mouvements étaient pour la plupart gracieux et fluides. Aussi, cette brusquerie ne lui ressemblait franchement pas. Pourtant, nul sourire ne vint se ficher sur mes babines. Car, je n'avais pas du tout envie de sourire. L'étonnement qui se dessina sur les traits du visage d'Inka me donna l'impression que la douce nourrice des Navniks n'avait pas l'habitude de se confier, de parler à d'autres ni de s'épancher. Or, ce n'est pas parce que je n'aime pas particulièrement m'épancher que cela est forcément le cas de tout le monde. La louve grisâtre ne devait pas porter le poids des émotions de tout le monde sur ses frêles épaules. Elle faisait déjà bien assez de bien autour d'elle pour ne pas se compliquer encore davantage la tache.

La question suivante me traversa fugacement l'esprit. Inka s'occupe de nos petits, et même de nous tous visiblement avec douceur et bienveillance mais qui s'occupe d'elle. Qui lui fait oublier ses propres soucis ? Qui déride son beau visage lorsqu'elle ne se sent pas bien ? Un souffle de curiosité teinté d'inquiétude sincère pour ma sœur de meute traverse mon poitrail. Finalement après quelques instants d'hésitation, la louve haussa les épaules et me fit part de ses soucis. Je me contente d'un hochement de tète tranquille. Oui, je me souviens de Natan le chasseur devenu général assez rapidement d'ailleurs. Une ascension fulgurante méritée car son dévouement à la meute est bien réel. Je l'avais croisé au détour d'une chasse avec Dalioka. Ma chère apprentie. La plus talentueuse d'entre toutes malgré son handicap. Par contre, je ne connaissais que de nom le frère de ce dernier.

J'écoute la suite des révélations d 'Inka avec attention. Et laisse un certain temps passer avant de planter mes yeux dans les siens et de lui répondre. Je vois. Tu es face à un dilemme sentimental. Et bien, le conseil que je voudrais te donner est de suivre ton cœur. Mais, l'affection que Natan te porte a toujours quasiment été de notoriété publique. Je pense que tu devrais lui laisser une chance. Si quelqu'un mérite bien d’être heureuse dans cette meute c'est bien toi. Et qui sait le général pourrait agréablement te surprendre.

Oui, tu mérites de trouver l'amour, d’être heureuse et même peut être de fonder une famille. Tu le mérites plus que quiconque. Quant à moi, seul le malheur m'attend et c'est très bien ainsi. J'ai goutté à la paix que procure un amour véritable et cela n'a aucune comparaison. C'est comme un morceau d' Eden dans un monde devenu enfer. Je tourne la tète vers l'horizon et ne le lâche plus du regard comme si j'allais y trouver quelque chose d'important alors même que je ne sais pas ce que j'y cherche.

L'expression imprimée sur le visage d'Inka ne me montrait que trop bien à quel point celle ci n'était pas habituée à se confier, à se livrer à d'autres ni à se reposer sur les épaules de quelqu'un d'autre. La louve la plus bienveillante de la meute toujours prête à aider la première personne se trouvant dans le besoin sans se poser la moindre question ne méritait certainement pas la solitude intérieure. Néanmoins, si cela se révélait être une question de choix je le respecterais bien évidemment. Pourtant, à mes yeux c'était bien là l’intérêt de se trouver dans une meute. Le fait de pouvoir alléger les fardeaux du quotidien d'une existence vouée à la survie dans un environnement à jamais hostile. Savoir que l'on n'est pas seul. Que l'on trouvera toujours quelqu'un pour nous tendre la patte si on en a besoin à un moment ou un autre. A quoi bon faire partie d'une association de congénères sinon ? Du moins, c'était la vision d'une meute que m'avait transmise ma mère adoptive et alpha il y a bien longtemps de cela. Sûrement bien trop idéaliste et enjolivée mais c'était sa vision des choses. Je tente d'apporter du réconfort et des conseils à ma sœur de meute du mieux possible puis laisse mon regard doré se fixer sur l'horizon, si proche mais si lointain sans bouger d'un iota. Figé telle une statue de marbre piégée pour l'éternité. La réponse d'Inka ne tarde pas et je l'écoute avec attention sans pour autant bouger ou dévier mon regard du point sur lequel il est fixé. Puis, je finis par tourner la tète vers elle et poser mon regard sur la louve grise. Ne cesse jamais de briller joli diamant. S'il te plaît je t'en supplie, ne cesse jamais d'éclairer ce monde sombre et glacial de ton éclat. Oui, ne laisse personne t’empêcher de briller comme un phare au milieu d'une nuit de ténèbres. Car tu es une véritable boussole pour les âmes perdues et ce sans même que tu ne le saches. Un léger sourire étire mes babines et je lui réponds : Oui, la patience est une vertu à ce que l'on dit. Ses sentiments doivent être très forts. Ne me remercie pas je t'en prie. C'est tout naturel. Si jamais tu as besoin de parler. Tu sais ou me trouver.

L'expression fugace de soulagement sur le visage d'Inka ne m'échappa pas. Mais sa question quant à elle me pris complètement au dépourvu. Néanmoins, j'aurais du m'y attendre. Une discussion étant basée sur un échange mutuel, il n'y avait aucune raison que la nourrice ne me renvoie pas l'ascenseur. De toute manière, j'étais strictement persuadé que la louve argentée ne pensait pas à mal en me posant cette question. Inka ne pensait jamais à mal et c'était bien là ce qui faisait d'elle une lumière douce et agréable dans un monde devenu ténèbres. Pourtant, malgré cela une douleur lancinante se réveilla dans mon poitrail et comme pour faire écho à cette douleur sourde mon visage se ferma et mes traits se tendirent d'eux mêmes. Comme si cette douleur était bel et bien physique et non purement émotionnelle. Mes yeux se ferment d'eux mêmes et les souvenirs défilent.

Une course dans la foret charbonneuse se concluant par une révélation accueillie par un refus déchirant. Une nuit glaciale d'hiver sous un ciel nocturne sans étoile. Elerinna face à un molosse à quelques pas d'un bipède. Ma rage devant ce spectacle. Le combat sanglant en ayant suivi. La peur de la perdre décuplant mes forces et me faisant perdre ma maitrise de moi même. Mon acharnement frénétique sur le cadavre du chien comme si j'étais incapable de comprendre que la menace avait été écartée. Elerinna blessée se blottissant contre moi. L'amour naissant dans les tréfonds de la Blessure. Ma décision de quitter les Sekmets avec ma compagne enceinte pour qu'elle ne subisse plus jamais le regard méprisant de ces pourritures et qu'elle se reconstruise loin des tourments de son enfance. L'accouchement dans l'ombre de la chapelle. La douleur liée à la vue du petit mort né. Mon éloignement du à la tristesse. Le retour avec la petite boule de poil abandonnée qu'était alors Nyssa. Le sourire de ma compagne. La vie de famille entravée par mon dévouement complet à la meute et à mes devoirs de Bras droit. D'autres souvenirs divers et variés. Ma découverte du corps sans vie de la louve noire. L'impression de mourir de l'intérieur.

Je reviens peu à peu à la réalité et réfléchis à la question d'Inka. Est ce que le soleil cesse de briller parce qu'il est caché par les nuages ? Est ce que la lune cesse d'exister parce qu'elle ne trône pas dans le ciel tout les jours du mois ? Il me semble que non. De la même manière, je ne pense pas que mon amour pour Elerinna allait disparaître comme neige au soleil. C'est peut être mon plus grand défaut. L'attachement fanatique aux morts. Peut être du au fait que j'ai toujours eu tendance à aimer trop intensément les vivants. Je finirais pas faire mon deuil comme tout le monde. Je ne sais néanmoins pas vraiment quoi lui répondre alors j'hausse les épaules avant de lui dire : Je t'avouerais que je n'en sais strictement rien Inka. Je n'y ai pas vraiment réfléchi. J'ai eu beaucoup de mal à faire mon deuil. Mais si cela doit arriver. Cela arrivera. Certaines choses nous dépassent. L'amour en fait partie.


Oui, le moins que l'on puisse dire c'est que j'avais eu du mal à faire mon deuil. Etait il seulement fait ? Mon fils avait été bien plus mature que moi sur ce point. Je parviens finalement à balayer ces pensées moroses de mon esprit et à adresser un sourire à Inka avant de reprendre : Comment vont les Navniks de demain ?