La louve n'avait pas très bien dormi cette nuit. Plutôt très mal dormi à vrai dire. Le matin, elle avait donc décidé d'aller un peu s'entraîner sur la Plage Blanche, histoire de se réveiller un petit peu, mais cela n'avait fait qu'aggraver ses maux de tête douloureux et sa fatigue grandissante.
Elle était donc rentrée, épuisée, et s'était cette fois-ci endormie comme une souche.
Le soleil avait entamé sa descente depuis longtemps dans le ciel lorsqu'elle se réveilla. L'air avait perdu de sa chaleur, mais Noire préférait ça de loin, plutôt que lorsque le soleil tapait constamment sur sa fourrure sombre. Elle prit le temps de se réveiller et de retrouver un peu des esprits, avant de se décider à sortir chasser. Il le fallait, puisque sa réserve ne contenait qu'une pauvre biche déjà à moitié mangée. Elle sortit donc de sa tanière, les yeux encore un peu plissés par la fatigue, et décida de se rendre dans la Forêt aux Pendus. Lieu d'où datait un combat avec un affreux Sekmet, qu'elle avait -du moins elle le pensait- tué en l'assommant contre un arbre. Mais aujourd'hui, elle voulait être seule. Elle ne se laisserait pas embobiner comme avec Diedora. Elle chasserait en solitaire.

La femelle arriva dans la forêt, les yeux encore un peu plissés, la queue traînante au sol. Elle lâcha un grand soupir, tandis que son front plissé démontrait qu'elle avait encore des maux de tête. Pourquoi souffrait-elle de la sorte ? Était-ce la faute de la fatigue ? La nuit dernière avait été assez pénible, c'était vrai, mais elle avait tout de même réussi à s'endormir vers la fin. Et puis au retour de son entraînement sur la plage, elle avait fait une petite sieste.
Mais visiblement, cela ne suffisait pas vraiment.
Elle passa donc les premières minutes à errer dans la forêt, sans rien dénicher, les pattes traînantes et les paupières mi-closes. Sa tête lui faisait mal, mais elle savait qu'elle se devait de chasser. Pour sa survie. 
Et pourtant, actuellement, elle aurait plutôt voulu pouvoir trouver un remède magique, qui l'aurait guéri de la douleur...

Heureusement, une douce odeur de gibier sembla la réveiller un peu. Elle se redressa, malgré la douleur, et ouvrit grand les yeux pour observer le périmètre alentour. Elle huma l'air profondément, aspirant à la fois les odeurs de gibier, et tous les effluves alentours -forêt, plantes, fleurs...-, tous ces fumets qui vous redonnait du courage.
L'odeur de la grive était cependant la plus présente, et Noire s'aplatit contre le sol dans une grimace de douleur. Aussitôt qu'elle aurait attrapé cette proie, elle quitterait la forêt pour retourner se reposer.
Elle avança silencieusement à travers les buissons rabougris, silencieuse à l'extérieur, mais meurtrie à l'intérieur. Elle faisait attention à ce que ses pas ne fassent pas craquer les brindilles, mais sa vision lui semblait légèrement floue. C'est surement pour cette raison qu'elle ne vit pas l'oiseau qui était tout près d'elle. 
Mais lui par contre, était loin d'être aveugle, et dans un hurlement strident, il s'envola. Noire réagit au quart de tour, se releva brusquement, ignorant sa douleur, et tandis que la grive décollait du sol dans une nuée de plumes, donna un coup de griffes dans le vide. La solitaire rata sa cible, mais avec l'énergie du désespoir s'appuya sur ses pattes arrières et se propulsa vers le ciel dans un bond majestueux, parvenant ainsi à toucher la grive à l'aile droite. Son entraînement du matin n'avait pas été vain finalement. Grâce à lui, elle avait put se projeter assez haut pour attraper sa proie.
L'oiseau chuta alors contre le sol dans un cri de désespoir, et Noire se précipita dans sa direction pour l'achever d'un coup de croc dans le cou, broyant au passage ses petits os fragiles. L'odeur du sang lui fit alors tourner la tête, et elle s'empressa de ramasser sa proie pour quitter cet endroit et revenir à sa tanière. Mieux valait ne pas s'évanouir ici, qui savait ce qu'elle pourrait croiser...
Mais la louve avait beau être heureuse de sa prise, elle se sentait profondément inquiète. Pourquoi donc avait-elle si mal à la tête ? Serait-elle atteinte d'une quelconque maladie... ?

Quatre jours passèrent avant que Noire ne puisse retourner chasser dans la Forêt aux Pendus. Son combat avec le Navnik noir, sur la plage blanche avait été tellement violent que la louve avait été dans l'obligation de se faire soigner par une guérisseuse : Manîthil. Mais désormais, la solitaire était guérie, et il était grand temps de revenir dans la forêt pour attraper quelques proies.

L'arrivée de Noire dans la Forêt aux Pendus se fut en silence. La louve n'avait pas envie de se faire remarquer, et n'avait surtout pas envie de croiser un autre loup. Elle avait déjà failli laisser sa peau lors du combat sur la plage, pas question de risquer sa vie une nouvelle fois ici. La seule raison d'une combat pourrait être une revanche avec Blasphem. Mais le Sekmet devrait prendre du temps pour se remettre de ses précédentes blessures. Noire devrait donc faire profil bas si elle croisait quelqu'un ici.
Heureusement, l'endroit semblait calme, vide... De loups comme de proies. Mais Noire savait qu'elle finirait pas attraper quelque chose.
Du moins, elle l'espérait.

Effectivement, l'espoir de Noire ne fut pas vain. Silencieuse, prudente et concentrée, la femelle sombre traversa la forêt à petits pas, aux aguets. Les oreilles pointées vers l'avant, la truffe au vent, tentant de repérer un fumet quelconque qui pourrait lui indiquer la présence d'une proie. Et fort heureusement, elle n'eu pas besoin de cherche très longtemps. L'odeur délicieuse d'un écureuil lui arriva aux narines, et elle sentit un frisson agréable parcourir son échine. Bon. Restait encore la partie la plus difficile de la chasse : La course derrière la proie.
Les écureuils étaient rapides, elle le savait. Petite boule de poil rousse, vive et énergique. Noire était plus pataude, plus lente, mais ses récents entraînements lui avait permis d'améliorer sa vitesse. 
Lorsqu'elle repéra enfin son gibier, l'écureuil l'aperçut elle aussi, faute d'un craquement de brindille. Leurs regards se croisèrent, proie et prédateur, et Noire se lécha les babines, pressée d'en finir. Aussitôt, elle s'élança, tandis que le petit rouquin s'enfuyait au milieu des buissons. Leurs pattes foulaient le sol, et Noire avait beau courir vite, fourrure au vent, elle craignait que sa proie ne parte dans un arbre.
Elle accéléra donc l'allure, galopant de toutes ses forces, et poussa brusquement sur ses pattes pour se projeter en avant. Ses griffes se refermèrent sur la queue de l'écureuil, qui lâcha un cri étranglé, et elle s'empressa de lui broyer la nuque entre ses crocs.

Essoufflée, la louve prit le temps de calmer sa respiration et de reprendre des forces avant de repartir en chasse. Elle se dit qu'une seule autre proie suffirait, ensuite elle rentrerait chez elle. Ce serait idiot de croiser des traqueurs après avoir attrapé un si bel écureuil.
Elle arpenta la forêt, la truffe en l'air, le regard avide. Ses pupilles jaunes scannaient le terrain, à la recherche de la moindre trace de gibier. La solitaire tenait fermement sa précédente proie entre les mâchoires, de peur de la perdre, lorsqu'elle repéra du mouvement sur la droite. Aussitôt, elle lâcha son précédent gibier sur le coté, et se mit en position de chasse. Les yeux réduits à deux fentes, elle ne put s'empêcher de lâcher un sourire en apercevant sa proie. Un faisan, surement âgé, qui sautillait faiblement sur le sol à la recherche de graines. Noire fut pendant quelques instants attendrie par sa vieillesse, mais son instinct de chasseuse prit le dessus, et avant que le faisan ne réagisse, elle se jeta sur lui et lui arracha une aile, partie du corps de l'oiseau qu'elle ne mangeait pas, avant de lui casser le cou. La chasse avait presque été trop facile. 
Presque.
Elle récupéra ensuite son écureuil, et quitta la Forêt, satisfaite de sa chasse du jour. Décidément, cet endroit lui plaisait beaucoup.

Pourquoi ne pas revenir dans les lieux qui nous sont bénéfiques ? Noire avait bien envie de profiter du beau temps pour retourner dans la Forêt aux Pendus. C'est donc ce qu'elle fit, malgré sa nuit assez terrible à vrai dire.
Décidément, c'était de pire en pire. Ses insomnies devenaient de plus en plus longues, et difficiles. Les maux de tête aussi, étaient très douloureux. Et pourtant, la solitaire n'avait pas envie de retourner voir la guérisseuse de la forêt. Celle qui, il y a quelques jours seulement, avait soigné ses blessures de bataille. Manîthil était bien sympathique, mais Noire pouvait se débrouiller toute seule.
Malheureusement, sa chasse du jour fut vaine. Et oui, on avait pas toujours de la chance, il fallait l'admettre. Cependant, elle ne croisa aucun traqueur, ce qui était aussi une marque de chance. Elle vit seulement une petite bande de souris, surement une mère et ses petits, qui partirent dès qu'elle s'approcha.
De toute manière, Noire ne se sentait plus très bien. Après une petite heure passée dans la forêt, elle rentra à sa tanière, fatiguée et mal en point. Finalement, peut-être qu'elle ferait mieux de se rendre chez Manîthil prochainement... ?

Noire ne désespérait jamais. Jamais. La vie lui avait apprit à persévérer, à ne pas lâcher prise. Elle retourna donc dès le lendemain dans la Forêt aux Pendus.
Elle était souffrante, elle s'en était rendue compte. Elle avait stoppé temporairement ses entraînement sur la Plage Blanche. De toute manière, cela lui rappelait trop le Navnik, et leur bataille sanglante. Les bipèdes toujours pendus à leurs branches donnaient à la forêt une atmosphère sombre et inquiétante, que Noire appréciait. La louve sombre n'avait pas peur des traqueurs, pas peur de la mort. La seule chose qui l'effrayait un peu ces temps-ci, c'était ses insomnies fréquentes et ses maux de têtes. Elle avait également un petit peu mal aux oreilles. Mais elle refusait de retourner voir Manîthil.
La première proie qu'elle trouva fut une buse. Malheureusement, la louve n'eut pas l'opportunité de la tuer, car l'oiseau s'enfuit sans demander son reste. La louve l'observa s'envoler, dépitée, et poursuivit son chemin, les paupières lourdes.
Sa première réussite de la journée fut un campagnol dodu. Elle le repéra à quelques mètres, et se plaqua au sol, silencieuse. Sa langue passa sur ses babines, et elle ne mit pas longtemps avant de bondir sur le rongeur, et le tuer d'un coup de croc après l'avoir assommé avec sa patte. Elle fut tentée de le manger sur place, mais jugea meilleur de le garder pour plus tard, bien au chaud.
Sa seconde proie fut plus grosse. Noire marchait lentement à travers la forêt, évitant les corps décharnés de bipèdes qui traînaient ça et là. Aux aguets malgré ses douleurs nombreuses, la solitaire faisait de son mieux pour lutter contre ses paupières qui se fermaient contre son gré. Lorsque soudain, ses petits yeux jaunes croisèrent le pelage brun clair d'un jeune faon. Il était jeune, certes, mais déjà assez imposant, de quoi se faire un bon repas. Noire en eut tout de suite l'eau à la bouche, et ses pattes la démangèrent. Elle ne pouvait pas se permettre de rater sa prise. Elle déposa donc son campagnol précédent dans un bosquet de fougère, et se mit en chasse. 
Elle avançait à pas lents, vers le faon innocent et inconscient du danger. Elle faisait attention à ne pas trop faire de bruit, tandis qu'elle se rapprochait de sa proie, qui broutait tranquillement un buisson.
Soudain, Noire bondit. Elle atterrit sur l'arrière train du faon qui poussa un cri d'effroi, et fit une ruade violente qui expulsa la louve. Le sang s'écoula. Elle avait griffé son derrière brun. 
Le faon partit en courant, Noire le suivit. Ses récents entraînement lui avaient été utiles. Elle galopa pendant une poignée de secondes derrière l'animal, lui-même handicapé par sa blessure à l'arrière-train, et poussa de nouveau sur ses pattes arrières, se projetant vers le haut. Ses griffes éraflèrent une nouvelle fois le faon, qui s'étala de tout son long. La solitaire n'attendit pas plus longtemps, et se jeta sur lui, mordant de toutes ses forces la gorge de son gibier. Ses os se brisèrent dans un affreux craquement, et la lumière terrifiée qui animait son regard s'éteignit aussitôt. 
La louve se releva, fière d'elle, et décida de rentrer immédiatement à sa tanière. Elle attrapa le faon, retourna récupérer son campagnol, puis prit le chemin du retour, heureuse, mais toujours aussi fatiguée... Et contaminée.