Une senteur acide de ferraille emplit les narines du canidé qui recula la tête de dégoût et se racla la gorge pour se débarrasser de cette sensation désagréable. Visiblement, la grosse machine était endormie depuis un bon bout de temps, et rouillait lentement dans son coin sans que personne ne s'en préoccupe. Zwey avait une vague idée de la façon dont les panaches de fumée âcres s'échappaient des cheminées de l'usine : d'une manière ou d'une autre, c'étaient des machines comme celle-là qui produisaient le grondement qu'il avait senti sous ses pattes lors de sa dernière visite. Elles étaient le cœur malade de l'édifice en ruine. Et celui-là s'était arrêté il y a longtemps.
Tant mieux, car le jeune loup ne savait pas bien si ces choses pouvaient ou non être dangereuses pour lui. Il y avait beaucoup d'éléments créés de la main de l'homme qui, inoffensives à première vue, ou même invisibles, pouvaient vite se révéler mortelles pour les loups. L'empoisonnement des eaux et des proies n'en était qu'un anecdotique exemple.
Zwey s'écarta du ventre gonflé de métal : après tout, il n'était pas là pour visiter. Enfin, pas en premier lieu. Les yeux jaunes du loup brun fouillèrent l'obscurité sale, et il inspira profondément à plusieurs reprises au ras du sol, à la recherche d'une quelconque trace de vie dans le noir.

Lalalalalaaaeee.

Rien à la première investigation, mais le loup brun refusa d'abandonner. S'il y avait bien un endroit qui aurait dû grouiller de rats dans ce vieux machin branlant, c'était ici. Sombre, lugubre, humide à souhait, que demander de plus ? A moins que tous les rongeurs du coin ne se soient donnés rendez-vous dans les canalisations, où aucun loup ne pouvait les suivre, et dans ce cas-là Zwey était bien attrapé. Et il ne risquait pas de revenir avec un truc à bouffer de sitôt.
Brièvement, le rouquin envisagea de faire du sitting à la sortie des canalisations pendant trois jours, jusqu'à ce qu'un rat un peu stupide fasse l'erreur de venir se jeter dans ses pattes. Il y renonça vite : il n'était pas un vulgaire chat efflanqué, à guetter pitoyablement le moment où une proie lui tomberait toute faite dans la gueule. Il était un loup, bon sang.
Bon, d'accord, en cas de nécessité il l'aurait fait quand même. Mais ce n'était pas une raison.
Refusant toujours de s'avouer vaincu, Zwey continua à fouiner dans tous les recoins de la pièce, retournant ça et là des objets poussiéreux enfouis par le temps.

Moi je vais faire une sieste en attendant.

Il commençait à s'habituer, quelque part. De frustration, le loup saisit entre ses crocs un vieil outil rouillé qui traînait dans un coin, et le balança violemment contre les machines les plus proches. L'objet produisit un fracas de métal en heurtant les carcasses de choses mortes depuis des années, inutiles, si elles l'avaient déjà été à leurs créateurs.
Zwey aurait échangé n'importe laquelle de ces choses contre un rachitique lapin, un rat maigrichon ou même une petite musaraigne. Il commençait même à croire que la frustration qu'il retirait à chasser en vain pouvait surpasser la détresse qu'il associait généralement à la sensation de faim. C'est dire.
Grincheux, le jeune loup souffla avec force, ce qui lui valut un retour instantané de poussière dans le museau. Il éternua.
C'est sûr que c'était comme ça qu'il allait fait sortir le gibier, si du moins gibier il y avait.

Brdlllllllllll

Et gibier il y avait.
Zwey n'en crut pas ses yeux - d'ailleurs embués des larmes dues à la poussière - lorsque soudain, un rat gris lui passa sous le nez. Il devait avoir dérangé le rongeur par son éternuement, car l'animal surgit de derrière une console et passa brièvement dans la lumière en un zigzag affolé.
Le loup brun accusa le coup. L'espèce n'était donc pas totalement éteinte dans cette partie du monde. Tous les animaux du coin devaient s'être passé le mot pour l'éviter. Les sales petits...
La fin de la réflexion passa à la trappe lorsque le loup s'élança à la suite du rat, tous crocs et toute l'étendue de sa frustration jetés en avant. Mais un instant trop tard. Ça lui apprendrait à râler, tiens. Les mâchoires de Zwey claquèrent sur la queue du rat, qui couina de douleur, mais s'échappa en tirant d'un coup sec. Le jeune loup se retrouva à recracher un bout de queue ignoble tandis que sa proie s'enfuyait sans demander son reste. Grondant, il bondit tout de même dans le coin où avait disparu la bête, grattant frénétiquement la terre sableuse mais sans résultat.
Non, non, non, non, pas encoooore.
Une flopée de grognements à faire rougir les plus rudes traversa la tête du rouquin. Mais cela ne l'aida malheureusement pas à retrouver le rongeur perdu.

Le ventre du jeune loup manifesta son désaccord par un gargouillis accompagné d'une vigoureuse crampe. Pris d'un soudain accès de rage, Zwey cogna de toutes ses forces dans la console derrière laquelle avait disparu le rat et fracassa plusieurs briques contre le mur en aboyant férocement.
Evidemment, cela ne servit à rien. Oreilles plaquées sur le crâne, l'animal cracha de frustration et fit volte-face : hors de question qu'il reste ici, à tourner en rond dans une fosse comme un condamné. Il s'élança vers l'escalier, qu'il entreprit de remonter d'une allure rageuse dans un bruit de métal qui courait après les échos de ses aboiements.

Zwey était désormais de passablement mauvaise humeur. Quelque part, il aurait plutôt dû se réjouir d'avoir une nouvelle preuve que cet endroit n'était pas totalement abandonné par toute forme de vie comestible. Seulement voilà, n'importe qui ressentirait un minimum de mécontentement en arpentant ce foutoir pendant des heures, en manquant se casser tous les os à chaque pas et en tombant sur des pièces de plus en plus improbables érigées à l gloire d'une humanité au cerveau déficient ; tout cela pour qu'au dernier moment, le seul potentiel repas qui veuille bien pointer le bout de son nez lui file entre les pattes. Au sens propre.
Zwey était donc furieux contres les usines, furieux contre le rat, mais avant tout, furieux contre lui-même. Ce qui n'était jamais le meilleur état d'esprit pour passer un bon moment.
Un nouvelle fois donc, lorsqu'il fut parvenu au sommet du gouffre, le jeune mâle se résolut à rentrer bredouille si Mère nature n'exerçait pas son tout-puissant pouvoir nourricier dans les minutes suivantes.

Mère nature toute-puissante entendit les prières de Zwey et décida qu'il n'était pas digne de ses bienfaisances. Le jeune loup sentit toute la puissance de son rejet lorsqu'un gazouillis retentit non loin, attirant son regard vers les hauteurs de la pièce en ruines. Perché dans les hauteurs entremêlées de métal tombé, poutres encastrées les unes dans les autres et tiges de métal encore recouvertes de béton, un petit oiseau aux plumes grisâtres l'observait. En pépiant.
L'Esobek avait désormais la confirmation que la nature tout entière se foutait de sa gueule.
Rageur, il lança un aboiement agressif - mais parfaitement inoffensif - à l'oiseau, lequel gazouilla de plus belle, manifestement bien au courant que le loup n'était pas une espèce volante. Saleté. Zwey cracha de dépit et d'exaspération. Il chercha du regard, une lueur de colère dans les yeux, un quelconque moyen, même un peu fou, même un peu suicidaire, de faire taire l'insupportable volatile à jamais. Evidemment, il n'y avait rien qu'il puisse faire. Le canidé se retrouva donc à quitter les lieux, oreilles plaquées sur le crâne comme pour ne plus jamais se redresser, profondément humilié et en colère.

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Donc, son humeur ne s'améliorait pas à mesure que Zwey chassait dans les usines abandonnées. Pourtant, tenace, un brin inconscient, il s'accrochait à l'idée qu'il finirait bien par obtenir son dû. En la capture d'un rat bien gras et endormi, de préférence.
C'est donc animé d'une motivation quelque peu morbide que le jeune loup sauta vigoureusement dans l'enceinte du bâtiment, bien décidé, une nouvelle fois, à en découdre avec la vie.

lol

En parlant de vie, le silence de fin du monde qui régnait dans le coin - à l'exception notable du grondement perpétuel tiré des entrailles de la bête - aurait fait faire demi-tour à n'importe quel carnassier évolué. Non pas que Zwey ne le soit pas. Évolué. Mais la plupart des prédateurs se rendaient bien compte après quinze tentatives infructueuses qu'il valait mieux changer de terrain de chasse.
Par ailleurs, le loup lui-même était toujours dans les premiers à optimiser le temps passé à courir après un repas, en calculant soigneusement les bénéfices et inconvénients couplés à chaque décision qu'il prenait dans ce cadre.
Mais ces usines le narguaient vraiment désagréablement. Il commençait à penser qu'il devrait laisser sa vie pour attraper quelque chose là-dedans. Il devait être maudit, vraiment.
Plein d'une énergie qui se justifiait en réalité par bien peu de choses, Zwey colla la truffe au sol et commença à chercher.

Miam, les bonnes bouchées de vent. Museau levé pour humer l'air, le jeune loup parcouru plusieurs salles qui, si elles explosaient joyeusement les quotas de poussière réglementaires, avaient au moins le mérite de tenir plus ou moins debout. Cela dit, pas plus de trace de gibier que d'habitude. Sans doute qu'il faisait la fête dans les conduits d'aération ou quelque joyeuseté du genre. Tant pis, il se nourrirait de vent. C'était bien aussi, le vent.
Tourner en rond sans fin tendait à rendre Zwey légèrement acide à l'égard de la vie en général.
Avec un grondement, il balaya des antérieurs un énième tas de gravats dans une énième salle grise et silencieuse. L'écho de son agacement alla rebondir contre les murs.

La longueur et la qualité de ces posts diminuent à vue d'oeil.

Les pierres roulèrent, roulèrent, mais n'eurent pas l'amabilité de vomir la moindre musaraigne au passage. Flagrant manque de coopération que Zwey n'était pas loin de prendre personnellement.
Enfin, il commençait à avoir l'habitude.
Pas besoin de le lui dire deux fois : le jeune loup laissa le tas de pierraille tranquille et traça son chemin vers des cieux plus cléments. Dans la pièce suivante, il se retrouva devant un énorme trou : le centre du carrelage s'était effondré, laissant à nu la structure de métal dont certaines tiges de métal saillait dangereusement. Zwey se pencha au-dessus du vide en fronçant le nez, songeant qu'il n'aimerait vraiment pas tomber là-dedans.
Heureusement qu'il n'y avait personne pour le pousser, tiens. Cela dit, il aurait quand même dû emmener quelqu'un avec lui pour sa petite partie revanche, il se serait moins ennuyé.
Enfin. Pas sûr que quiconque soit enthousiasmé par l'idée d'aller chasser dans un endroit où le gibier tendait des pièges aux prédateurs juste pour ses beaux yeux. Mais on pouvait toujours rêver.

Rêve donc.