L'heure est venue

Sekmet

20 - 15 - 13

Cela commençait à durer trop longtemps, les discussions tournaient en rond et les opposants d’Athos ne cessaient de ressasser les mêmes arguments sans essayer ne serait- ce que d’innover. C’était pathétique. Athos sentait se sentiment amer monter en lui. Non, ce n’étaient pas pour leur meute qu’ils s’opposaient à Athos, c’étaient pour leurs places, pour leurs fesses bien au chaud en haut de la hiérarchie. Personne ne s’embarassait d’un quelconque politiquement correct, personne n’essayait de trouver de solution à leur calvaire, personne n’essayait de sortir la meute du gouffre dans lequel elle s’enfonçait. En fait, ces opposants précisément refusaient de voir ce gouffre, parce qu’ils savaient que dans ce gouffre profond, noir et humides, ils seraient pour la meute la seule lumière, et c’était ce mince mérite qu’ils voulaient conserver. Plutôt que d’essayer de faire renaitre la plus Grande meute de tous les temps de ses cendres, ils contribuaient à la couler sans même le savoir. Pourquoi ? Parce que tant que les membres ne voyaient rien, tant que tout était caché, alors pour eux tout allait bien. Mensonge. Trahison. Oui, pour Athos, voilà ce qu’était la trahison : faire croire aux membres qu’ils vont bien, que tout va pour le mieux, leur donner l’illusion qu’on contrôle la situation, au lieu de réellement le faire, au lieu de se bouger, garder ses fesses bien au chaud sur son trône d’oiseau de fer n’a jamais servi à rien. Les actes. Les bons actes, les actes justes, les actes nécessaires et bons pour sortir la meute de là où elle est.


Athos écouta attentivement encore une fois ce que chacun avait à dire. Il n’aimait pas du tout la façon dont cela piétinait. Il essayait d’argumenter, de leur ouvrir les yeux, mais Torka était obstiné et fou, tandis qu’Hige se laissait mener par le bout du nez et restait comme toujours soumis. Palladium, quand à lui comment ne pas le comprendre ? Son meilleur ami, et bien plus encore, c’était Hige. Comment lui tourner le dos, comment ouvrir les yeux alors même que celui qui vous les fermait était celui en qui on a le plus confiance ? Athos connaissait assez Palladium, surtout pendant le temps où ils avaient été chasseurs ensemble. Palladium n’était pas vraiment un loup de guerre, c’était plutôt un loup qui aimait gérer de chez lui. Cependant, c’était un très bon chasseur, un loup de la meute nécessaire, un loup capable d’analyser les situations. Mais il se trouvait dans une telle situation qu’il était impossible pour lui de faire autrement. Si Athos réussissait son coup, il s’avait d’ores et déjà la suite. Athos était un loup de stratégie, un loup qui ne voyait pas seulement le bout de son nez et qui voulait toujours voir plus loin. Depuis longtemps, avant même d’avoir pensé au plan B et au plan C de son Coup d’Etat au cas où on toucherait à ceux qu'il aime, il savait ce qu’il ferait Après. Il savait ce qu’il allait faire s’il gagnait, il savait ce qu’il allait faire s’il perdait. Il avait tout prévu, et pour l’instant, tout se passait comme prévu. Si les loups faisaient le choix de lui faire confiance, il saurait les guider, il était fait pour ça, un général savait parler à ses troupes, il savait les motiver, leur insuffler le courage d’affronter des loups trois fois plus nombreux qu’eux s’il le fallait. Athos était un loup d’action, de stratégie, un loup de vie et pas de survie. Il ne voulait pas que sa meute subsiste juste. Il voulait que les Sekmet redeviennent la meute Idéale, la grande et fière meute qu’elle avait été jadis. Là n’était pas directement la question de guerre, comme certains pouvaient l’imaginer. Le sang n’était pas la seule façon d’étendre son territoire, les Humains en avaient été l’exemple suprême. Athos savait apprendre de ses erreurs mais surtout, il était très observateur et apprenait donc des erreurs des autres, y compris des Humains. Il avait déjà un plan bien fixé, qu’il saurait modeler au besoin. Il savait déjà ce qu’il comptait faire. Peut-être même que cela ne plairait pas à tout le monde, surtout dans le cas où il perdrait. Car si Athos perdait, beaucoup de Sekmet, c’est à dire au moins la moitié de ceux qui s’étaient exprimés, et encore certains ne l’avaient pas encore fait alors même qu’Athos connaissait déjà leur soutien, comme Faoland ou Eretria, qui étaient des amis à lui, et bien plus quant à Eretria. Athos savait pertinemment que certains voudraient le suivre si jamais il perdait, ils ne voulaient pas être condamnés à rester dans cette meute que certains poussaient vers le gouffre à grands coups de pattes. Mais Athos était lucide, et surtout, il était là pour faire grandir les Sekmet. Les membres de Sekmets n’étaient déjà pas tous capables de se battre, alors si en plus une bonne partie s’en allait, qu’allaient devenir les Sekmet ? Non, Athos se battait pour les siens, pas pour leur perte. Il était celui qui se battait pour ses idéaux et pour ceux qu’il aimait. Alors il ne laisserait personne le suivre, sauf si on les menaçait. Là, il se battrait, si quelqu’un ne touchait qu’un seul poil de ses alliés. Il voulait véhiculer une image de prospérité, certes, mais il ne laisserait personne toucher ceux qui ont eu le courage d’exprimer leurs idées.

Le courage de ne pas sombrer.



Blasphem Nilaya et Alkaine avaient déjà répondu à Hige, Torka, Palladium et Epsilon. Alors il était inutile de rajouter une couche. Athos avait confiance en chacun d’eux et les laissa parler comme ils l’entendaient. Athos lança un regard à Blasphem que seul lui pouvait comprendre, entre eux, ils se comprenaient d’un regard. Athos avait attendu son soutien, le soutien de son meilleur ami qui s’était fait un peu attendre pour ce coup d’état, si la situation avait été autrement, Athos lui aurait même lancé un sourire taquin. Seulement le jeune loup n’était plus d’humeur à être narquois. C’était l’avenir de sa meute qui était en jeu. Leur avenir. Kuro aussi répondit, et Athos fut surpris par tant de répartie de la part du jeune loup noir. Athos connaissait bien Kuro, mais il ne lui connaissait pas une telle maitrise de la parole, un tel discernement et bon sens dans chacune de ses phrases, si bien qu’Athos n’eut même pas à approuver quoi que ce soit. Finalement, ils parlaient tous d’une seule voix.

Gallya intervint après Kuro, et fit la fourbe. Elle tentait de manipuler sa gamine, comme elle avait pu le faire quand elle était plus petite. « Non, elle n’est pas ton pion. Alkaine ne sera plus jamais le pion de personne. Tu ne l’utiliseras pas pour garder ta place, tu ne l’utiliseras plus. Si tu avais su être une mère, elle n’en serait pas là, à être contre toi, parce que toi tu serais avec elle, du côté où ta fille est le mieux. Le mien. ». Ces paroles résonnaient en Athos si fort qu’il pensait en être imprégné, et son regard vers Gallya, cinglant, fier de son apprentie, une fille qui ne laissera plus faire, une fille qui vivra sa vie comme elle l’entend, une fille qui vivra plutôt que survivre.


Lorsqu’Eira prit la parole, il plongea son regard intense dans le sien. Elle semblait réellement affligée, sans savoir quoi faire. L’esprit de décision, c’était cela, aussi qui distinguait un chef. La jeune loup fut néanmoins posée et calme. Elle semblait comme écouter. Ecouter les souffrances, écouter les idées, écouter les espoirs qu’Athos avait insufflé dans les coeurs. Elle voulait un compromis. Un compromis entre quoi et quoi ? Entre le gouffre et la terre ferme? C’était alors le bord du gouffre. Voilà où menait le compromis. Au bord du gouffre, et pour tomber, la limite était bien mince. D’autres avaient très envie de parler et s’enflammèrent dans le débat, si bien qu’Athos attendit que tous aient fini pour s’exprimer.

Il laissa donc Alkaine répondre à tous. Elle restait forte et ferme dans ses positions. C’était bien, mais elle était trop jeune peut-être encore pour prendre les mesures nécessaires. Ce qui était bien normal. Elle apprendrait. Bientôt, elle saurait. Lorsqu’Opium lui répondit, Athos ne grinça pas des dents. Du vent. N’y-avait-il que Eira pour entendre ? Etait-elle la seule à avoir des yeux et des oreilles parmi ceux qui ne comprenaient pas la position d’Athos et qui venaient de s’exprimer ?

Soudain, deux autres Sekmet arrivèrent. Ils osèrent à leur tour parler. Enfin. Enfin certains déliaient leurs langues pour être francs et honnêtes. Quand l’un des Sekmet semblait plutôt excité à l’idée qu’on propose enfin du changement, de quoi bouger, de quoi redevenir la vraie meute sekmet, alors Athos en fut content. Il serait servi, s’il était de son côté. L’autre Sekmet était plus réservé, plus mesuré, plus prudent. Athos devait gérer les deux à la fois, loups qui semblaient entièrement différents. La carte de la sincérité était la meilleure, et celle qu’il jouait depuis toujours, et qu’il continuerait à jouer jusqu’à sa mort.



« J’entends ce que vous dites, je comprends vos inquiétudes.Ce que je vais répondre, je le ferai pour tous, car vos questions ont sûrement dû être pensées par d’autres personnes.
Vous le savez, je suis un loup pragmatique. Je ne me serais jamais lancé tête baissé dans cette revendication si je n’avais pas prévu tous les effets possibles de mes actes. Présents, ou à venir. Je n’aurais pas demandé à être alpha si je n’avais pas des solutions pour palier à ce que je reproche au régime présent, des solutions que j’ai préparées, ressassées, améliorées, j’en suis venu à des conclusions de plus en plus précises que je comptais vous soumettre si vous m’accordiez votre confiance. Mais puisqu’il en est ainsi, puisque vous le voulez maintenant, je vais vous dire ce qu’il sera possible de faire, et ce qui sera fait selon votre consentement. Je ne vous ferais pas de longs discours sur l’importance de l’entrainement, et l’entraide... Nous nous concentrons d’ores et déjà sur ce problème depuis des mois, tous nos jeunes s’entrainent dûrs, et sont louables pour ça. Ce ne sont pas les apprentis qui m’inquiètent mais les entraîneurs. J’ai remarqué comme d’autres ici que les entraînements sont plébiscités, favorisés pour certains, et les enfants des concernés pour la plupart. Tous ont droit à une instruction. Je vous ai prouvé que j’avais su entrainer les Sekmet. N’ai-je pas, à peine de retour du laboratoire des humains, entraînement nombre d’entre vous ? J’ai su dès mon retour de l’Enfer du Laboratoire reprendre une place qui était la mienne et bien plus encore, j’ai favorisé la jeunesse et même les adultes, par entraînement groupés ou particuliers, parce que je sais que notre avenir réside dans notre préparation à être capable d’affronter toute situation. Nombre de personne qui se sont entraînés avec moi pourront l’attester. L’entraînement n’est pas seulement physique, mais psychologique, car là était et sera notre force. Mais ne nous leurrons pas, le problème de notre meute ne réside pas uniquement au seul fait de notre empâtement.
Il faut prendre le mal à sa source et moi, je ne détournerais pas votre intention des autres problèmes comme d’autres ont pu le faire. Comme je vous le dis, NOUS avons pensé à des changements radicaux qui pourraient régler le problème premier de notre meute. Il sera créé le Cercle du Brasier, qui sera une assemblée qui aura pour fonction de se réunir en cas de nécessité pour les décisions allant de l’intégrité de la meute et de notre territoire.
Pour sa fonction, je ne compte pas faire de ce conseil un pigeon voyageur entre l’Alpha et les membres de la Meute, nous n’avons pas besoin de cela, et au final, cela reviendrait exactement au même que le système d’aujourd’hui.
Pour leur nomination, ces membres seront par moitié Choisis par la Meute et en seront les représentants directs. Tous les 4 mois, il y aura une nouvelle élection de ces membres. Ils prendront de concert avec moi toute décision relative au domaine que je viens de citer. Dans les cas où les le jugeront nécessaires, il sera possible d’établir un vote par l’ensemble de la meute : Ce sera la Frage. Par exemple, pour la participation ou non à une guerre. Je vous expliquerais plus en détail le fonctionnement de ce nouveau régime, qui pourra enfin redonner à la meute sa grandeur passée, mais pas seulement.


Quant à toi, tes questions concernent également toute la meute, alors je vous répondrais à tous.
Je comprends vos inquiétudes, elles sont légitimes, et j’y ai bien évidemment réfléchi très longuement avant de faire cela, c’est même la première conséquence à laquelle j’ai été confronté. Quand j’ai vu, que je n’étais pas le seul à ne pas vouloir se soumettre à l’autorité en place, il est évident que les conséquences de mes actes ont été un sujet de préoccupation premier. Je vais donc répondre sincèrement à chacune des questions. En cas de famine, de maladie, d’attaque, il est évident que c’est à l’alpha de prendre des décisions, mais au final, je n’accepterai pas de vous embrigader dans une chose sans qu’on ait votre fin mot. Ce seront donc les premiers devoirs du Cercle du b, qui devront en concertation avec l’Alpha prendre les mesures qui s’imposent selon la situation. Il n’existe pas de solution toute faite.
Si nous sommes attaqués par plusieurs fois, et que les avertissements n’auront servi à rien, c’est que nous avons été logiquement attaqués par une meute alliée, comme nous n’avons pour l’instant aucune meute ennemie. Des mesures nécessaires seront prises par le Cercle et moi-même, des mesures sous couvert de menaces, car nos alliances vont bientôt être plus importantes que vous ne l’imaginez. Si la meute adverse accepte de se soumettre, elle devra nous rendre ce qui a été volé, mais pas seulement. Pour qu’elle se souvienne de la leçon, elle devra nous en rendre un plus.
Si c’est un des nôtres qui a attaqué, il est évident que personne ne sera livré à qui que ce soit. Ce qui vient du Brasier Blanc reste au Brasier Blanc. Il est évident qu’un membre qui a commis une faute sera sanctionné, mais uniquement si cette faute est avérée. Mais je serais clair sur ça : ce loup ne dépendra en aucun cas des autres meutes.

Des alliances sont déjà prévues, amorcées, et assurées. Des alliances fortes, certaines, durables ! Des alliances sur lesquelles nous pourrons nous appuyer en cas d’agression ou famine. Certains me diront qu’il existe déjà des alliances. Alliances. Ce mot est bien grand pour ce qui existe aujourd’hui. Je parlerais pour ma part de tolérance, de pacte de « non-agression », qui est d’ailleurs très instable, et loin d’être certain.

Mais nous ne sommes pas des moutons, nous sommes des loups, et nous savons sentir les tensions. Cette paix ne durera pas éternellement, et je sens déjà des distensions entre les Navniks et les Esobeks. Nous serons obligatoirement pris à parti, et je trouve que ta question concernant une bataille est d’autant plus appropriée. Que la bataille soit de notre faute, ou de celle d’une autre meute, il serait niais de se dire que nous pourrons vivre notre petite vie tranquille en dehors de tous conflits.

Quant à ta question concernant la défaite d’un des deux prétendants alpha. Je le dis depuis que j’ai poussé mon hurlement sur l’avion : mes intentions ne sont autres que celles de renforcer la meute et de donner enfin une chance de vivre, et pas survivre à ramper dans la boue. Si je perds, je ne veux pas que ce que j’ai voulu créer face l’effet contraire. Mon but est de porter cette meute vers le sommet. Elle est déjà dans le gouffre, je ne veux pas encore plus creuser en provoquant son scindement. Si je perds, je m’exilerai de mon plein gré et je considérai ma mission comme échouée. Avec le débarquement des chiens fous, l’arrivée de nouveaux Hommes, et les tensions que je sens déjà venir, je ne permettrai pas que la meute des Sekmets soit scindée. Pour répondre plus clairement à ta question : oui, j’accepterais de me mettre à l’ombre, mais je ne n’accepterais pas de regarder de l’intérieur les Sekmet s’effondrer irrémédiablement. "


Athos était déjà tourné vers les Sekmet, vers tous les Sekmet. Dans son dos, il n’y avait que cette coquille de métal vide. Athos sentit chacun de ses muscles se contracter tour à tour. C’était le moment, le verdict. La sentence allait tomber, Athos savait que bientôt, où il guiderait sa meute vers ce qu’il avait préparé depuis des semaines, ses alliances possibles avec une meute grandissante, et avec la plupart des Solitaires, ses visions de l’avenir, et puis, un dernier détail qu’il ne manquerait pas de régler au plus tôt. Ou alors, il partirait. Il ne resterait pas voir s’effondrer sa meute. Il partirait, sa mission de justice et son combat pour faire redevenir des Sekmets non seulement la meute qu’elle était, mais bien plus encore.



« Membres de la meute du Brasier Blanc, c’est à vous de choisir qui sera à votre tête et à qui vous confierez la clé de votre destin. J’ai entendu bien des gens parler d’affrontement, d’effusions de sang, alors que jamais il n’a été question de tuer qui que ce soit dans aucune de mes paroles ou des paroles de ceux qui ont parlé vrai. Que personne ne se laisse impressionner, que personne ne baisse la tête et se terre alors qu’il faut parler, tandis que certains à court d’arguments brandissent griffes et crocs. J’ai assez prouvé ma valeur au combat en tant que Général, et je ne vous ai jamais déçu. Il me faut vous prouver ma valeur en tant qu’Alpha, ma valeur en tant que guide. Laissez-moi vous le prouver, laissez-moi vous montrer que nous pouvons faire renaitre les cendres de ce Brasier. Il nous faut redevenir la Flamme du Brasier Blanc. »

L'heure est venue

Sekmet

Kuro se place du côté de Athos

20 - 15 - 13