Palladium s’était à nouveau levé aux aurores pour se mettre en chasse. Il avait le ventre creux et la conscience coupable. Coupable de la responsabilité qui lui incombait et à laquelle il avait failli le mois précédent : nourrir sa meute. A quoi était-il bon, si ce n’était pas à la chasse ? Par quel autre service, quel autre talent pouvait-il se rendre utile, si ce n’était pas nourrir autrui ? Il fallait qu’il nourrisse sa meute. C’était une idée obsédante, qui ne le quittait jamais. Il était devenu comme un automate qu’on programme à des fins toujours identiques, répétant les mêmes besognes, inlassablement, mais ne s’ennuyant jamais de ses travaux, ne se plaignant pas et y trouvait un certain plaisir en même temps qu’un stress permanent. La forêt lui semblait être l’endroit idéal pour chasser. Il était sur son propre territoire et craignait donc moins les attaques de loups adverses. Il n’en avait été que rarement victime mais, en territoire inconnu, il était toujours plus tendu et plus inquiet et cette sensation d’être sans cesse épié ne le quittait plus.

Chasse:

Des centaines et encore des centaines d’odeurs différentes parvenaient à ses narines, soit une par une soit toutes à la fois, se mélangeant dans une joyeuse cacophonie olfactive. Les sapins, les pins, les bouleaux entremêlaient leurs odeurs, se mêlant à celles de l’humus et de la terre humide dissimulée sous les feuilles mortes qui crissaient à chaque pas du loup brun. Il y avait aussi les odeurs colportées par le vent, qui venaient de plus loin : les odeurs de daim et de chevreuil, celles des pinsons dans les arbres et celles de l’eau qui devait couler dans une rivière, à quelques kilomètres. Les yeux jaunes scrutaient les arbres, retournaient chaque parcelle de terre et sondaient chaque espace d’ombre qui aurait pu fournir une cachette. L’instinct de prédation était déjà de retour dans les artères du Pantin.

Chasse:

Mais, de tous ces effluves qui lui parviennent, il en identifie un seul qui l’intéresse. Il l’isole et l’analyse. C’est bien ce qu’il pensait. Le chevreuil qu’il a auparavant flairé n’était pas si loin que ça de l’endroit où il se trouve. Palladium s’élance en silence derrière l’odeur qui le guidera jusqu’à sa proie. Les buissons frémissent sur son passage, lorsqu’il les frôle et le sol tremble à peine. Les feuilles ont cessé de craquer, et sont comme devenues ses alliées dans sa chasse. Il galope dans les bois, éclair brun qui se faufile entre les troncs élancés. L’odeur est de plus en plus forte, de plus en plus tenace et la salive monte à la gueule du Pantin. L’idée de planter ses crocs dans la gorge d’un cervidé le rend fou d’excitation.
Le loup brun arrête sa course au dernier moment, pilant derrière un buisson touffu dans une gerbe de terre. Le chevreuil redresse la tête, ses yeux inquiets scrutant les alentours et ses naseaux délicats frémissants de suspicion. Ses muscles se crispent en même temps que la mâchoire de Palladium se serre. Il va falloir courir. Les deux animaux pensent cela au même instant, quand leurs prunelles se croisent et que le chevreuil détale devant le loup qui s’élance à sa poursuite. Les deux animaux n’ont plus que faire du bruit qu’ils font : les sabots de l’herbivore martèlent la terre à grand bruit, faisant craquer toutes sortes de brindilles dans sa course. Le loup quand à lui écrase tout sur son passage, fouettant de sa queue les buissons qui s’agitent après son passage. Le chevreuil zigzague entre les arbres, espérant distancer son adversaire mais le loup brun tient bon et suit sa proie dans chacun de ses mouvements. Tous les deux halètent, l’air se fait trop rare. C’est à celui qui sera le plus endurant. Et Palladium gagne du terrain, lentement et inexorablement. Lorsque ses crocs touchent presque la croupe du chevreuil, ce dernier tente un dernier bond en avant pour creuser la distance. Mais le loup brun le fauche en plein élan en se lançant de tout son poids dans ses jambes fines. Les deux animaux glissent dans la terre sur plusieurs mètres et le prédateur, plus prompt à se relever, a vite raison de sa proie.

Chasse:

Le loup brun patiente quelques instants, attendant que le chevreuil expire son dernier souffle. Puis, il profite de quelques minutes de répit pour reprendre son souffle et ses esprits. Il passe une langue rougeâtre sur ses babines baveuses, et contemple le fruit de ses efforts. Un léger sourire se peint sur ses babines. Il est temps de se remettre en chasse. Palladium dissimule le cadavre du chevreuil sous un buisson, puis prend soin de le recouvrir de terre et de feuilles mortes. Puis, il part à la recherche d’un autre gibier.
[…]
Cela fait au moins une heure que le loup brun tourne dans un périmètre d’un ou deux kilomètres et qu’il ne trouve aucune proie digne de ce nom. Quelques merles se sont envolés à son approche, mais il n’a même pas prit la peine de les attaquer. Il revient donc sur ses pas, jusqu’au cadavre de sa proie précédente. Et à l’instant même où il pose les yeux sur la cachette, son poil se hérisse de colère. Oui, un intrus a osé s’en prendre à sa pitance ! Un furet à l’œil fourbe est en train de déchirer à pleines dents la chair du chevreuil que le loup avait pourtant soigneusement dissimulé. Un grondement menaçant s’échappe instinctivement de sa gorge. Le furet suspend son geste, les regards se croisent. Le petit animal choisit la fuite, mais Palladium ne lui en laisse pas le temps : il l’intercepte entre ses mâchoires puissantes et lui sectionne la nuque d’un coup de dent vengeur.

Chasse:

Le loup brun se dirige ensuite vers le nord de la forêt, sachant par expérience que les proies avaient tendance à émigrer vers cette partie des bois. Sa silhouette fauve se fond dans le décor des ombres et des feuillages épais et son déplacement se fait dans un silence quasi-parfait. Il ne tarde pas à tomber sur la piste toute fraîche d’un troupeau de sangliers. Le sol encore retourné de la nuit précédente laisse présager qu’ils ont festoyé de longues heures avant de fuir vers le couvert des arbres une fois le jour levé. Palladium s’élance sur leurs traces et ne tarde pas à les retrouver…
Cependant, il s’arrête, légèrement dérouté. La piste qu’il avait suivie ne laissait pas présager un nombre aussi conséquent de proies que ce qu’il avait à présent sous les yeux. Une dizaine de sangliers adultes vaquaient à leurs occupations habituelles, tandis qu’un nombre tout aussi important de marcassins batifolaient autour d’eux. Le loup était dubitatif. S’attaquer seul à un tel cheptel de nourriture était alléchant, mais à la fois très dangereux. Le Pantin demeure perplexe. S’il voulait récupérer le maximum de nourriture, il allait falloir se montrer discret et prudent. Palladium se coule entre les buissons, se rapprochant au maximum des jeunes marcassins qui piaillent inconsciemment. Il est tout près, il peut flairer leur poil soyeux à quelques mètres à peine. Le prédateur rampe vers ses proies, allonge le cou et tend les crocs. Il patiente, attendant qu’un de ces petits animaux vulnérables se jette dans sa gueule ouverte. Au bout de quelques instants, un marcassin frôle sa cachette. D’un coup de dent, le loup brun l’attrape par une patte arrière et le tire immédiatement dans son repaire. Le jeune cochon lâche un bref couinement qui laisse le reste du troupeau indifférent. Le marcassin n’a d’ailleurs pas le temps de protester davantage puisque Palladium l’a déjà achevé dans un silence total.

Chasse:

Fier de son succès, le Pantin commence à espérer en un succès toujours plus conséquent. S’il parvient à demeurer silencieux et adroit, il a toutes ses chances de faire un véritable carnage. Il se remet dans sa posture initiale, poursuivant dans la même optique de guet-apens qui semble bien fonctionner. Les marcassins sont encore nombreux et avant que les adultes ne s’aperçoivent de leur disparition progressive, le loup brun serait déjà loin. Ce plan est tout simplement parfait. Les griffes du Pantin labourent le sol d’impatience. Tant d’impatience que lorsqu’un marcassin le frôle à nouveau, le loup tend à nouveau la tête et ses crocs claquent trop vite, trop tôt. Le bébé cochon pousse un cri de terreur lorsque les mâchoires se referment à quelques centimètres de son ventre dodu et s’enfuit en galopant et braillant sa peur à qui mieux-mieux. Les cris du goret ont vite fait d’alerter les adultes qui se redressent et commencent à grogner. Palladium sent bien que cette erreur va lui coûter cher, mais il est bloqué dans sa cachette. S’il en sort, il se fera tuer. Il se terre donc dans son buisson, priant pour que le vent ne le trahisse pas. Les porcs sauvages regardent brièvement dans sa direction, et le marcassin apeuré ne quitte pas des yeux le buisson qui a failli lui coûter la vie. Une lueur de rage passe dans la prunelle jaune du prédateur.

Chasse:

Le marcassin, décidément trop effrayé, reste planqué entre les membres secs de sa mère, une grosse laie très charpentée. Palladium aurait bien fait irruption au milieu de cette tripotée de proies pour y faire un massacre, mais c’eut été une action suicidaire. Il est contraint à rester dans ce buisson, attendant patiemment qu’un de ces stupides animaux daigne se jeter dans son piège. Palladium commence à s’ennuyer sec, dans ce buisson touffu où le soleil commence à taper rude. Ses paupières tombent lentement et il vacille. Le sommeil n’est plus qu’à quelques pas de le happer… Soudain, un craquement l’éveille. Il lève les yeux et immédiatement, son cœur se fige. A quelques centimètres de sa cachette, un jeune sanglier flaire le buisson avec suspicion. Il n’est plus tout à fait marcassin, puisque ses taches juvéniles ont disparu, mais pas entièrement sanglier puisqu’il n’a pas encore de défenses. Le jeune mâle émet quelques grognements devant le buisson où le loup se terre. Palladium voit au second plan des têtes curieuses de laies et de cochons se redresser. Cet abruti va le faire découvrir ! Palladium est dans l’incapacité de bondir, sans quoi tous les autres sangliers vont le charger, et dans l’incapacité d’attirer l’animal dans son antre. Il ne sait que faire. Mais le jeune sanglier va le tirer de ce mauvais pas en aventurant inconsciemment sa tête innocente dans le buisson où Palladium se trouve. Ce dernier recule dans la pénombre, attendant que le cochon rentre un peu plus dans sa cachette. Celui-ci semble hésitant. Ses petits yeux noirs fouillent la pénombre. Puis, ses prunelles s’abaissent et tombent sur le cadavre du marcassin. Le loup brun comprend immédiatement qu’il va être découvert et tentant le tout pour le tout, il saute à la gorge du sanglier et l’entraîne immédiatement dans le buisson. Il tente de crier pour ameuter ses congénères, mais le Pantin a emprisonné dans sa gueule ses naseaux et sa bouche. Le sanglier se débat avec force de coups de sabots et de gémissements étouffés, mais le loup brun reste insensible et attend patiemment, un œil fixé sur le troupeau qui ne semble pas avoir compris l’ampleur du drame qui se joue sous ses yeux. Le sanglier s’étouffe dans la mâchoire du loup qui sort une fois de plus vainqueur.

Chasse:

Palladium risque un œil hors de sa cachette. Le troupeau fouille toujours la terre à la recherche de nourriture. Le Pantin décide alors de traîner son butin un peu plus loin, pour dissimuler les corps à la vue et aux narines sensibles de leurs compagnons. Le loup brun se saisit d’abord du marcassin qu’il emporte sans encombre et en toute discrétion en lieu sûr. Pour le sanglier, il l’attrape par la peau du dos et entreprend de le traîner sur plusieurs mètres hors du buisson. Il tire, force, ses mâchoires serrent puissamment la fourrure rêche de l’animal. Son arrière-train pousse et sa nuque craque sous le poids conséquent de l’animal mort. Un véritable fardeau. Dans l’entreprise, une branche craque. Immédiatement, les autres sangliers sont en alerte. Le loup se fige. Tous les regards sont tournés vers lui, mais ils ne peuvent le voir, ni le sentir. Fausse alerte, les porcs reprennent leurs activités. Le loup se hâte de sortir de cette posture inconfortable. Et lorsqu’il touche au but, et recouvre le corps de terre, un sanglier le détecte. Soudain, c’est un concert de piaillements, de cris et de grognements qui résonnent dans la forêt. Palladium est à découvert. Un des sangliers, le plus gros, s’approche de lui à pas hésitants. Il flaire l’air, et l’odeur du prédateur emplit ses naseaux. Palladium recule lentement puis, sans crier gare, le mâle le charge brutalement. Le sanglier lancé à fond de train fond sur le loup qui hésite, ne sachant où bondir. Le choc est brutal, le Pantin est projeté plusieurs mètres en arrière. Abasourdi, l’œil hagard, il ne voit plus le sanglier qui le charge à nouveau. Nouveau choc, les défenses le soulèvent, le terrasse, l’allongent et le poussent sur plusieurs mètres. Une douleur surgit au niveau de ses côtes, le faisant couiner. Il faut se relever, ou cette brute va le tuer ! Relents de panique nauséabonds. Le loup brun chancelle et puise dans ses dernières forces pour se redresser avec une lenteur exaspérante. Enfin, il est debout. Il parvient par miracle à esquiver une autre charge et un couloir de buissons s’offre droit devant lui. Il entend le sanglier déraper derrière lui et se met à courir. Il galope sur la terre molle, ne sachant pas trop où aller ni comment, mais il court le plus vite qu’il peut pour échapper à cet enragé. Ses muscles sont douloureux. Il ne sait pas combien de temps il a couru, mais lorsqu’il s’arrête, le silence retombe. Il est seul.
Il se rend bien compte qu'il est trop affaibli pour continuer à chasser. Il faut rentrer au camp. Il se met donc lentement en marche.

Chasse:

Chemin faisant, le loup brun décèle une odeur qu’il reconnaît aisément. Celle d’un lapin. La tentation est forte, mais le Pantin sait bien qu’il ne pourra en aucun cas courser ce petit rongeur agile dans l’état dans lequel il se trouve. Tous ses membres le font souffrir, et la douleur dans ses côtes le lance à chaque inspiration. De surcroît, il boîte légèrement d’un postérieur. Il décide donc d’ignorer la bestiole : une fois n’est pas coutume.
Cependant, l’effluve est tenace et le poursuit. N’y tenant plus, le chasseur s’aventure à sa suite. Il poursuit l’odeur jusqu’à sa source avec une certaine nonchalance. Au bout de quelques mètres, l’odeur s’arrête là. Le loup cherche autour de lui : pas de terrier, ni de cachette. Il se trouve au pied d’un arbre où il n’y a nul endroit pour se terrer. Par pur hasard, Palladium lève les yeux vers le ciel. Et là, il aperçoit le cadavre du petit animal se balançant au bout d’une ficelle suspendue à une branche. Un léger rictus s’affiche sur ses babines. Il a déjà rencontré pareil piège dans les souterrains, alors qu’il côtoyait les Bipèdes d’un peu trop près. Ce genre de piège était une véritable aubaine. Il fournit un dernier effort, se ramasse sur lui-même et bondit. Ses crocs se plantent dans la chair molle, le fil résiste quelques secondes, laissant le Pantin suspendu dans les airs, avant de céder brutalement. Lapin et loup tombent mollement sur le sol. Opération réussie.

Chasse: