Le meurtre accompli, Palladium se redresse et bâille longuement. Il admire quelques instants le cadavre du chevreuil qui git à ses pieds. Encore une belle prise à ramener au garde-manger Sekmet… Le loup brun laisse un instant dériver son regard vers les étoiles qui le surplombent. Que la nuit est belle…
Trêve de rêvasseries. Le loup brun, porté par l’élan fructueux de sa première chasse, décide de continuer dans cette belle lancée. Il prend la précaution de traîner le cadavre de sa précédente prise à l’abri d’un bosquet, avant de se remettre en chemin. Après plusieurs minutes de marche, il s’est un peu éloigné des berges du Styx en descendant vers l’aval du fleuve. A une centaine de mètres, il détecte soudain un geyser de terre qui semble sortir de nulle part. Ses oreilles se pointent vers l’avant, le loup brun est intrigué. Fuir ou rester ? Il s’immobilise, attendant qu’un autre indice l’informe de la nature de ce qui se trouve en face de lui. Autre geyser. La curiosité est plus forte. Il s’approche lentement, sans faire de bruit. A présent, il peut percevoir quelques grognements fébriles, qu’il reconnaît sans mal. Ses jours passés dans les souterrains lui ont fait acquérir une grande expérience des animaux fouisseurs et notamment, celle de pouvoir reconnaître un blaireau sans s’y tromper. Ces animaux, plutôt de nature nocturne, avaient d’abord rebuté Palladium par leur agressivité et leur force au corps-à-corps. Mais après en avoir affronté deux ou trois, le Pantin se sentait beaucoup plus serein bien qu’une petite boule d’angoisse subsiste dans son estomac, en souvenir tenace des jours mauvais. Le blaireau continue sa besogne, creusant le sol avec force, sans avoir remarqué le danger qui le menace. Le loup brun n’attend plus et plonge sur lui, enfonçant ses crocs dans ce qui dépasse du trou que le blaireau commence à s’aménager, c'est-à-dire en plein dans les poils de sa croupe. Couinement de surprise, le temps que le creuseur réalise ce qui lui arrive, il est tiré en arrière par la mâchoire inflexible du loup brun. Ses griffes patinent sur la terre, sans trouver de prise à laquelle se raccrocher. Alors, en désespoir de cause et dans un grondement rageur, il se retourne vers le loup pour lui assener un coup de griffe en travers du museau. Palladium laisse échapper un couinement de douleur. La plaie commence à saigner et le pique. Nouveau coup de griffe, à quelques centimètres de son œil gauche. La mâchoire s’ouvre, le blaireau s’évade. Mais le Pantin n’a pas dit son dernier mot : il rattrape le fuyard qu’il fauche d’un coup de patte et s’empare de sa nuque avec force. Il fait jouer ses crocs sur les muscles qui roulent dans sa mâchoire avec un certain amusement, avant de retourner le blaireau sur le dos. Ce dernier se débat en tous sens et ses pattes arrière labourent la chair molle du ventre de Palladium, qui tient bon malgré la douleur. Ses crocs se referment enfin sur la gorge noire et blanche, et tandis que le blaireau suffoque, le loup sait qu’il a encore gagné.
Lorsqu'il relâche sa prise, il a un léger mouvement de recul et une de ses pattes se dérobe sous lui, plongeant dans le trou que le blaireau avait commencé à creuser. Dans un couinement de surprise, il la retire promptement pour s’apercevoir que son membre est trempé. Une lueur malicieuse passe dans son regard. Voilà ce qui s'appelle faire d'une pierre deux coups! En élargissant le trou, Palladium ne tarde pas à tomber sur une petite flaque d'eau d'apparence potable.

Chasse:

Un cri perçant lui fait redresser la tête. Une chouette hulotte l’observe avec attention, tournant sa tête ronde de gauche à droite. Palladium émet un grognement, et elle s’envole lourdement, sans demander son reste. Quelques cris d’oiseaux retentissent déjà, de l’autre côté du Styx. Le matin ne doit plus être très loin, bien qu’il fasse toujours nuit et que les étoiles ne semblent pas prêtes d’aller se coucher. Le loup brun dissimule habilement ses deux proies et s’élance à travers l’espace de terre sèche qui l’entoure. Les proies avaient tendance à éviter instinctivement les endroits où rôde la mort, il fallait donc s’éloigner au plus vite des lieux de ses précédentes chasses. Il galopait sur la rive droite, lorsqu’un passage sur le fleuve lui sembla viable. Il bondit de pierre en pierre, jusqu’à atteindre la rive opposée. Là, quelques arbres élançaient leurs cimes dans la pénombre. Et, sous leur couvert, le Pantin entendait déjà ce qu’il était venu chercher.
Entre les arbres, des grognements familiers retentissent à qui mieux-mieux. Le prédateur se faufile entre les feuilles et les racines, avec une discrétion diabolique. L’attroupement de sangliers qui profite de la nuit pour se nourrir va devoir se démener pour survivre. Palladium les compte. Il discerne parfaitement leurs silhouettes épaisses, malgré la pénombre. Il y a là trois adultes, et quelques marcassins qui courent en tous sens, si bien que leur nombre est indéterminable. Peu importe. Le loup brun reste plusieurs minutes à les observer, déterminant ainsi lequel d’entre eux était la mère de ces charmants porcelets. Il jette son dévolu sur elle, ainsi il pourra faire d’une pierre deux coups.
Lorsqu’il s’élance, il y a un temps mort pendant lequel toute la forêt s’est tue. Même les porcs sauvages ne font plus un bruit. Puis, c’est la panique. Ca se disperse en tous sens, ça galope et ça beugle des sons suraiguës qui excitent encore davantage le Pantin, le poussant à les tuer tous sans discernement. Mais il reste malgré tout fixé sur son objectif. Mais la mère sanglier court vite, malgré sa corpulence. Alors, en une fraction de seconde, Palladium change de stratégie et opère un demi-tour immédiat, fonçant sur un des porcelets qui s’enfuit en braillant. Le loup brun n’a aucun mal à le rattraper et à le faire chuter. Le petit animal roule sur le sol, sans cesser d’hurler. Palladium le maintient quelques instants cloué au sol, le laissant crier de toute sa force : ses cris suppliciés finiraient bien par faire revenir sa génitrice… Et lorsqu’enfin, le Pantin l’aperçoit, chargeant de toute sa vitesse en sa direction, il exécute rapidement le petit sanglier pour faire face à la mère en furie.

Chasse:

Le choc est rude. Bien qu’il l’ait vue arriver de loin, Palladium n’a pas le temps d’esquiver la charge de la laie en furie. Ses défenses, courtes mais pointues, le percutent et s’enfoncent dans sa chair. Il sent son corps décrire un arc de cercle dans les airs, avant de retomber lourdement sur le sol. Quelque chose craque. Le loup brun se relève prestement, bien qu’une de ses pattes le fasse souffrir. Rester au sol, c’aurait été comme signer son arrêt de mort. Déjà, la truie le charge à nouveau. Cette fois, il l’esquive de justesse : elle le frôle. Nouvelle charge, nouvelle esquive mais cette fois le Pantin met cette esquive à profit : il parvient à bondir sur sa croupe basse et fuyante. Elle accélère alors, pour le déstabiliser mais le loup brun s’arrime au sol fermement de ses pattes postérieures, la freinant considérablement. Il glisse malgré tout, et se raccroche à sa proie en plantant ses crocs dans la fourrure poussiéreuse de sa croupe. Le sanglier ralentit de plus en plus, et finit par s’immobiliser. A présent, il tourne en rond, sur lui-même, pour tenter d’embrocher le loup sur ses défenses une nouvelle fois. Elle grogne, et en même temps le loup peut sentir sa peur émaner de tout son être. Quelque chose jubile déjà dans la gorge de Palladium. Il sait d’avance qui sera le vainqueur. Et comme pour appuyer sa pensée, l’arrière-train du sanglier se dérobe sous ses pattes. Elle chute inexorablement vers le sol et rien, pas même ses efforts et ses cris, ne peuvent freiner sa lente progression vers la mort. Le Pantin consolide sa prise et remonte lentement, morsure par morsure, le long de la colonne vertébrale, puis de l’échine, pour enfin placer ses crocs au niveau de sa nuque. Il peut sentir son pouls rapide et paniqué tambouriner contre sa mâchoire, remonter dans ses gencives et faire vibrer sa langue. Il serre alors les dents de toutes ses forces, et attend tranquillement que la vie, dans la laie, s’essouffle et s’en aille.

Chasse:

Lorsque le Pantin desserre les dents autour de la nuque de sa nouvelle victime, il la traîne sur quelques mètres pour la placer à côté du corps sans vie de son rejeton. Puis, il s’assoit confortablement sur son arrière-train et contemple son chef-d’œuvre. Sa langue passe lentement sur son museau, signe de satisfaction la plus totale. Il prend de plus en plus de plaisir à tuer, à semer la panique chez ses proies. Il en deviendrait presque cruel. Les cris du porcelet paniqué entre ses pattes, lui avaient procuré une immense satisfaction. Sa mise à mort avait été rapide, il n’en avait tiré aucun plaisir. En revanche, la joie la plus intense, la plus délectable était sans doute celle qu’il avait pu éprouver au moment même où il avait senti qu’il allait vaincre la mère sanglier. Ce moment où la proie se rend compte qu’elle n’a plus d’échappatoire, où tout est fini mais qu’elle est encore en vie, ce moment où la bête agressive et combattive n’était plus qu’une chiffe molle, empestant la peur et tremblant devant la mort. Voilà ce qui lui plaisait. Rabaisser la vie, lui faire peur. Mieux valait être porteur de mort, que porteur de vie. C’était l’unique leçon qu’il avait tirée de son rang de chasseur. Et sans doute une des plus utiles…

Chasse:

Il en était là, perdu dans ses pensées, assis devant deux cadavres, l’œil vide et satisfait, quand un bruissement se fit entendre. Immédiatement, il sursaute et se retourne vivement, aux aguets. Son œil jaune parcourt rapidement les alentours, fouillant les buissons et derrière les troncs d’arbres. Ses oreilles frémissent, il est tout ouï à ce qui l’entoure. Rien ne bouge… du moins, durant quelques minutes. Progressivement, quelque chose s’avance le plus silencieusement possible dans un buisson là-bas, à une centaine de mètres. Sans s’en rendre compte, le Pantin s’est déjà mis en posture de chasse. Ses muscles sont bandés, ses yeux sont rivés sur le mouvement dans les feuilles. Un groin humide et frémissant ne tarde pas à se montrer. Un de ces marcassins s’est réfugié dans ce buisson au cours de la tuerie, le malin ! Palladium aurait pu songer à lui laisser la vie, pour cette preuve d’ingéniosité. Malheureusement, l’instinct d’un loup n’a d’égal que celui du meurtrier : tuer, encore et encore. Pas de place pour la pitié. C’est un sentiment bien trop humain. Le marcassin semble hésiter à sortir de sa cachette. Cette hésitation lui coûtera cher. Sans perdre une seconde, le loup brun contourne le buisson dans un silence presque parfait. Les oiseaux n’ont toujours pas recommencé à chanter, la tragédie est encore bien trop récente. Les yeux du loup, durant sa progression, n’ont pas quitté un instant le buisson où se cache sa proie. Il court presque, et parvient sans mal juste derrière le fameux bosquet d’où il se redresse, plongeant son regard par-dessus les branches et les épines. Le petit sanglier a consenti à sortir sa tête entièrement. Le loup attend. Il sait que s’il bondit maintenant, le marcassin replongera dans sa cachette et il sera impossible de l’en déloger. Lentement, les sabots tremblants s’acheminent hors de l’espace protecteur des feuilles. Un après l’autre, il les avance avec hésitation et il est mort de trouille. Cette trouille qui monte jusqu’aux narines du loup brun et qui le rend déjà hystérique. Il trépigne, ses griffes labourent le sol d’impatience. Une branche craque, le marcassin se retourne brusquement. Ses petits yeux noirs s’agrandissent de terreur, mais le loup est déjà au-dessus du buisson, tous crocs dehors. Il atterrit sur le porcelet et lui brise la nuque sans autre forme de procès.

Chasse:

Il avait fallu un certain temps au Pantin pour ramener les tribus qu’il avait chassé jusqu’au garde manger. La truie était lourde à porter, sans compter le chevreuil et le blaireau. En tout, quatre allers-retours avaient été nécessaires. Il avait la mâchoire usée à force de trainer son butin sur de trop longues distances. Mais il était tout de même retourné sur les berges du Styx, prêt à entamer une nouvelle chasse. La journée avait bien avancé et le soleil était presque au milieu de sa course lorsque ses pattes foulèrent à nouveau le sol.
Il ne tarde pas à se mettre en chasse, retournant dans l’espèce de forêt où il avait tué les sangliers. Cet endroit l’inspirait, et nombreuses proies devaient y trouver refuge. Le loup brun tombe bientôt sur les traces toutes fraîches d’un faisan. Il ne tarde pas à le débusquer, somnolant sous un buisson. Somnolence fatale. Dans une cacophonie de cris perçants et apeurés, le loup brun attrape le volatile, faisant voler au passage quelques plumes. Il le traîne hors de sa cachette à même le sol, grondant sous les coups de griffes et de bec indignés qui pleuvent sur son museau. Ces impacts désagréables le mettent en rogne rapidement et il tue impatiemment l’oiseau qui cesse de se débattre à l’instant même où sa gorge gloussante se retrouve emprisonnée entre les mâchoires puissantes.
Palladium laisse tomber le cadavre à ses pieds avec nonchalance. Son regard parcourt la forêt. Quelque chose sur le sol attire son attention : cela reflète le soleil. Il s’approche, pour découvrir une petite flaque d’eau que la terre n’a su absorber. Ce constat le laisse méfiant. Cette eau ne doit certainement pas être potable, pour que même la terre ne daigne s’en préoccuper. Il la laisse de côté, préférant s’éviter de cruel maux de ventre.

Chasse:

En peu de temps, Palladium aperçoit à la suite de cette flaque douteuse, un autre reflet qui lui semble être de bon augure. Il s’en approche et constate qu’entre quelques pierres, un réceptacle recevant une eau à l’apparence potable s’est formé. Un léger sourire illumine sa tête massive, et il décide de faire part de cette petite source à ses camarades : certains en avaient sûrement davantage besoin que lui : il s’était abreuvé tout récemment.
Il se détourne de l’objet de futures convoitises et une odeur familière vient chatouiller ses narines. Une seule image se faufile dans les méandres de son esprit : lapin. Immédiatement, ses yeux fouillent les alentours avec suspicion. Où te caches-tu, petit être ? Son flair le guide jusqu’à un terrier. Il inspecte les alentours, la trace est ancienne. Le lapin n’est pas venu depuis plusieurs heures. Le loup brun jette un coup d’œil au cadavre du faisan, pour s’assurer qu’il est toujours là. Puis, il se poste non loin du terrier, attendant calmement que son habitant y revienne. Lorsqu’enfin, ce dernier pointe le bout de son nez, Palladium est prêt. Il bondit hors de sa cachette et intercepte le rongeur qui, l’ayant vu au dernier moment, s’apprête à foncer tête baissée pour sauver sa peau dans son antre qu’il sait bien gardée. Malheureusement pour lui, le loup est plus rapide et un coup de crocs bien placé l’arrête net dans son élan, lui ôtant la vie dans le même temps.

Chasse: