Un jour de plus au paradis.
Songea Zwey, le museau couvert de terre meuble. Il éternua bruyamment, faisant quasiment trembler les parois du terrier dans lequel il se trouvait enfoncé jusqu'aux épaules. Le problème étant que cette magistrale démonstration de sa présence ne fit pas remuer la plus petite portion de fourrure, patte ou oreille dans le fond du tunnel. A priori, le fond du terrier était tout aussi mort et vide que l'odeur de renard que la sentinelle tenait au bout du museau.
Le loup brun pesta et, pédalant des postérieurs dans la terre, entreprit de s'extraire de cet ennuyeux chausse-trappe. Lorsqu'il émergea à l'air libre, le soleil se levait à peine et il était toujours aussi bredouille. Mais le chasseur ne s'en inquiéta pas : au début, pendant ou vers la fin, la quête de nourriture devait toujours passer par une phase d'un calme plat assez inquiétant.

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Mais Zwey était confiant en ses capacités.
Et puis, la preuve : il n'eut qu'à dresser les oreilles pour percevoir, à priori à quelques mètres, les croassements aigus et frénétiques d'un groupe de corneilles surexcitées. A tous les coups, ses chères amies devaient avoir chopé une carcasse bien fraîche qui excitait leur répugnant appétit.
Enfin, répugnant... quand on a faim on se tait hein.
C'est ce que pensait très justement Zwey en s'approchant du groupe de corbeau d'un pas souple et silencieux. On pouvait dire que les loups n'étaient pas doués pour la traque en comparaison des félins, mais attendez voir si les piafs allaient le repérer un peu. Le rouquin eut une pensée affectueuse pour ses stupides camarades de banquet avant de leur sauter dessus avec un aboiement tonitruant.
Un nuage noir de plumes s'envola, tandis que les crocs de Zwey se plantaient dans une chair ferme et chaude. Il les enfonça avec plaisir, habitué à ce torrent de plumes fouettant sa gueule et aux serres griffant son museau. Il avait l'habitude des corbeaux.

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Zwey acheva sa proie en quelques coups de crocs, après un rapide combat, il faut le dire, légèrement à la défaveur du corbeau. Petite pensée attendrie pour cette boule de plume, meilleure amie de ses jours de famine.
Puis le jeune loup repoussa la proie fraîche sur le côté et se pencha sur le cadavre plus défraîchi qui avait été le repas de son repas. Miam, il était à peine moisi en plus.
Le rouquin nettoya consciencieusement les os de ce qui devaient l'être, fidèle à l'adage "tout est bon dans le raton" - parce que oui, ça avait vaguement la forme d'un raton laveur, malgré ce que le grand air et les charognards avaient fait de la carcasse. Puis il se redressa, se pourlécha consciencieusement les babines, et alla enterrer son gibier sous un peu de terre.

Puis il repartit en chasse, déjà sur une nouvelle piste. Elle était fraîche et prometteuse et pour cause : mêlée à l'odeur douce et fruitée de la biche, une fragrance salée de sang laissait un marquage alléchant dans son sillage. Impossible de la rater, et s'il n'avait été plus gros qu'eux, tous les petits carnivores du coin auraient déjà été aux trousses de la jolie bête. Les charognards non loin sur leurs talons.
Mais en l'occurrence, Zwey passait, il avait l'avantage de la taille, on lui laissait la place. La biche n'avait aucune chance, et apparemment elle était elle-même au courant. Quand il la retrouva, sa proie était déjà à genoux, trop faible pour se relever. Quelqu'un avait visiblement fait le travail à sa place : les flancs de l'animal, soulevés par une respiration erratique, étaient labourés de profondes marques de crocs. Il ne voulait pas savoir à qui il piquait son repas au juste, mais ce dernier devait l'avoir mauvaise. Le jeune loup s'approcha doucement tandis que la biche esquissait quelques derniers faibles mouvements de fuite, en vain. Il attendit le bon moment et lui sauta simplement à la gorge, pour l'achever vite et bien.
Puis il laissa le cadavre sur place pour aller demander à quelques compatriotes de lui filer un coup de patte.

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L'écho rauque de sa respiration tambourinait à ses oreilles. Le martèlement de ses pattes contre la pierre. Régulier. Il ralentissait petit à petit, alors que le loup semblait s'essouffler, tandis que le tapotement rapide des petites pattes devant les siennes allait en s'accélérant avec une vigueur désespérée.
Mais soudain, un grognement étouffé sous son crâne, qui résonna un bon million de fois. L'écho froissé, comme une vague, de la terre balayée alors que ses pattes dérapaient. Le grattement de ses griffes alors que ses coussinets quittaient le sol.
Et puis le choc brutal d'un corps contre un corps, puis contre la terre ferme et humide. Les battements de son coeur à cent à l'heure au creux de ses oreilles.

Et puis soudain, ses tympans se décollèrent et Zwey plongea sur la gorge du renard qu'il ouvrit d'un coup dans un flot de sang frais. Son cousin à quatre pattes émit un dernier glapissement d'agonie, et son corps recouvert de fourrure rousse s'affaissa brutalement entre les pattes du loup. Satisfait, l'Esobek se releva et attrapa sa proie par la peau du cou, priant pour ne pas mettre trop de temps à trouver de l'eau. C'est qu'il pesait son poids, l'animal. Et qu'à la base il n'était pas là pour lui.

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En effet, s'il avait été tiré tôt de son sommeil ce matin-là, c'était par un quelconque sous-fifre de leur alpha toute neuve qui avait visiblement très à coeur l'abreuvement de l'ensemble de la meute. D'où la mobilisation complète des troupes pour aller chercher de l'eau, de l'eau, de l'eau. Et pure, s'il vous plaît. Pourquoi pas bien fraîche avec quelques glaçons tant qu'on y était ? Ce que ses congénères pouvaient être difficiles...
Quoi qu'il en soit, songeait Zwey en traînant péniblement son fardeau, si une foutue flaque ne se montrait pas très vite, leur eau, ils pourraient s'asseoir dessus. Ils n'auraient qu'à lécher la rosée sur les feuilles tiens, ce serait toujours ça de pr...
Ah, tiens.
Zwey grogna en apercevant, au détour d'une carcasse de voiture, un petit bout de ciel brillant dans un minuscule trou d'eau. Un peu trouble, mais apparemment pas mousseuse. Eh bien, il était veinard aujourd'hui. Se contentant de noter mentalement son emplacement, la sentinelle poursuivit son chemin jusqu'à la cave pour aller prévenir qui de droit. Et stocker son ami roux dans le garde-manger tant qu'à faire.

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Le lendemain par contre, la chance était loin d'être au rendez-vous. D'une, un vent glacial s'était mis à souffler pendant la nuit, gelant le sang dans les veines de Zwey et mettant sa fourrure à l'envers. De deux, il avait cherché de la foutue flotte pendant des heures sans en trouver la moindre trace.
Fatiguée de plisser les yeux sous le blizzard, le rouquin secoua la glace prise dans sa fourrure et s'abrita un instant sous une tôle froissée. On pouvait dire que ce jour-là, Mère Nature faisait la gueule. Pas qu'il était immensément fan des périodes de sécheresse et des tempêtes de poussière à rendre un loup aveugle, mais tout de même.
En plus, il y avait si peu de glace que même sucer des glaçons était irréalisable. Parlez-lui d'un manque de bol.

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Oui, il y avait vraiment des efforts à faire sur la grande roue de l'univers ce jour-là, songea Zwey en rampant maladroitement sous les débris, afin de progresser tout en évitant le vent qui hurlait au-dehors et menaçait de lui arracher tant les oreilles que le museau.
Au bout de quelques mètres cela dit il renifla une odeur liquide. Fronçant le nez il s'approcha petit à petit... mais lorsqu'il tomba sur la flaque qu'il avait repéré, seul un grognement désapprobateur quitta sa gorge. Même dans la semi-pénombre qui régnait sous les carcasses de voitures, il pouvait distinguer les rebords du trou, luisants d'une mousse épaisse et blanchâtre. Personne ne voudrait boire là-dedans. Pas même lui, il fallait bien l'avouer. La seule vue de cette chose lui donnait la nausée.
Soupirant, la sentinelle entreprit maladroitement de faire machine arrière dans son tunnel de métal cabossé.

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Malheureusement, une fois extirpé de son abri de fortune, Zwey retrouva exactement le même temps qu'il avait fui en y entrant. A son grand déplaisir.
Comprenant qu'à part faire un petit somme sa dernière tentative pour se soustraire au vent n'avait clairement eu aucune utilité, la sentinelle... tourna résolument le dos à l'extérieur et retourna vite fait se fourrer sous ses tôles de fer. Là-dessous au moins, il faisait relativement bon, et des éclats de glace n'allaient pas de former sous sa fourrure. Sans aucune honte professionnelle, le jeune loup se roula donc confortablement en boule dans son abri et s'endormit presque instantanément.

Quelques heures plus tard, Zwey sortit à nouveau de son tunnel de ferraille, la tête la première cette fois. Le vent c'était un peu calmé, mais le froid persistait. Et la chance ne lui était pas revenue pendant son sommeil, parce qu'aucune flaque n'avait eu le bon goût de se former à l'entrée de sa cachette.

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Zwey renifla, dégoûté.
Enfin, au moins avait-il eu la chance de ne pas voir un de ses supérieurs passer devant son abri pendant qu'il prenait sa pause prolongée. Quelque chose lui disait qu'on aurait pas apprécié de le voir roupiller tranquillement pendant que les autres travaillaient.
Enfin. Il ne croyait pas vraiment au soi-disant travail acharné des autres membres de sa meute, mais bon. Peut-être qu'il se trompait. D'un autre côté, par un temps pareil, qui aurait eu envie de sortir de son trou ?
Alors qu'il parcourait ces intéressantes réflexions, Zwey entendit un croassement moqueur s'adresser directement à lui depuis son dos.
Il se retourna vivement, pour découvrir un corbeau qui le narguait depuis le haut de son empilement de tôles. Le loup grogna un coup : il détestait quand ces emplumés se fichaient de sa gueule. Il allait lui montrer tiens.

Mouais.
Seule remarque que le rouquin parvint à extraire de son cerveau ratatiné de frustration en retombant une énième fois par terre sous les quolibets du corbeau. Cette sale bête était bien trop haut, les carcasses de voiture bien trop lisses, et elle le savait bien.
Heureusement qu'il n'était pas trop mauvais perdant... quoique, un peu quand même.
Zwey passa bien une demi-heure à insulter le corbeau de toutes les manières possibles, imaginables et compréhensibles dans le cadre d'une communication inter-espèces.
Echange passionnant s'il en était.

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Vexé, le jeune loup décida d'évacuer sa frustration sur autre chose.
Il se détourna superbement, la queue battant contre ses flancs, et ignora le corbeau hilare avec fougue en s'éloignant vers les limites du cimetière. Peut-être, par là, trouverait-il un gibier digne de ce nom. Qui ne soit pas du genre à se percher tout en haut d'un arbre pour se foutre de son prédateur incapable d'abattre ledit végétal.
Il trouva son bonheur quelques mètres plus loin, en la personne de maître renard qui tenta de lui échapper sous le couvert boisé - plus ou moins boisé. Quelque part, Zwey n'aimait pas trop tuer les renards. Il lui faisaient trop penser à sa propre espèce. Enfin, trop. De temps à autre. En passant, comme ça.
Malheureusement pour le renard, il avait la dalle.
Donc il tua le renard, ramassa son cadavre et, excédé par le destin qui prenait plaisir à l'emmerder aujourd'hui, rentra à la maison avec soulagement.

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