Dégoûté, Zwey s'éloigna de la flaque d'eau putrescente et s'enfonça davantage sous les décombres. Dans l'ombre des ailes de métal, ses yeux adaptés à l'obscurité fouillèrent le moindre recoin. Il avait déjà bu, certes, ce jour-là : mais ses louveteaux - enfin, ses apprentis sentinelles - étaient toujours rationnés. Et Zwey avait beau ne penser qu'à son propre gosier les trois quarts du temps, il n'en était pas moins conscient que plus la garde du territoire serait faible, plus les chances pour l'ennemis de s'introduire dans leur garde-manger seraient bonnes. C'est pourquoi lorsqu'il tomba sur une nouvelle flaque d'eau miraculeusement pure - il le détecta à l'odeur - il nota mentalement son emplacement afin de l'indiquer à Callian en rentrant au camp. Ça lui ferait un bon entrainement au pistage, tiens.

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La truffe au sol, Zwey parcourut encore un moment les effluves entremêlées de rouille et d'humidité terreuse, ne trouvant pas de nouvelle flaque à laquelle s'abreuver. Il décida de repartir en chasse : le soleil était encore loin de se lever, et peut-être l'humidité se déposerait-elle dans les creux un peu plus tard. Le jeune loup quitta l'abri de tôles froissées et releva la tête avec plaisir, s'ébroua. Il prit le trot, se dirigeant vers la lisière ouest du cimetière, où il savait que nichaient quelques ragondins désorientés par l'empoisonnement de l'eau. Le gibier dépendant des rivières - si minces soient-elles - était le plus affecté par les récents événements : ce qui en faisait à la fois les proies les plus faciles à attraper, et celles dont il fallait le plus se méfier. En effet, comment savoir si leur viande elle-même n'avait pas été empoisonnée par les eaux ? C'était un risque à prendre. Zwey dépassa un filet de liquide blanchâtre dégageant une odeur de mort sans s'arrêter : s'il pouvait boire à cette source sans trop d'hésitation, il ne pousserait pas le vice jusqu'à la conseiller à ses apprentis.
Ni à Yan'Ka, aussi désagréable fut-il à son encontre.

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Malheureusement pour la sentinelle au poil roux, la famille ragondin n'était manifestement pas de sortie. Arrivé en haut du petit tertre délimitant le cimetière, Zwey jeta un regard déçu vers le lit asséché de la rivière, qu'il découvrit désespérément désert. Peut-être ses horaires étaient-ils trop matinaux pour monsieur et madame ragondin. Peut-être avaient-ils déménagé ailleurs depuis la dernière fois.
Chose peu probable : même d'ici, il pouvait sentir leur odeur, musquée, presque âcre. Ça sentait fort, le ragondin échoué.
Peut-être qu'on les lui avait piqué alors, depuis la dernière fois. Cette idée révulsait singulièrement Zwey, parce qu'il n'avait pas vu l'ombre d'un rat d'eau dans le garde-manger esobek ces derniers jours. Ce qui signifiait que si quelqu'un avait prédaté les proies qu'il cherchait à l'heure actuelle, il n'était pas de sa meute.
Ce qui impliquait que Zwey faisait bien mal son travail.
Et ce n'était pas tant le fait même de faire du sale boulot qui le dérangeait ; c'était surtout que s'il faisait du sale boulot, il y aurait moins de bouffe. Et il n'y avait rien de tel que moins de bouffe pour le mettre de mauvaise humeur.
C'est donc avec mauvaise humeur que le rouquin s'aplatit en haut de la dune, par acquis de conscience, pour guetter le terrier très certainement abandonné à présent.

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Alors que Zwey patientait en grommelant dans sa barbe contre le manque d'effectifs qui rendait son travail impossible à effectuer convenablement, les premiers rayons du soleil commencèrent à percer à travers les nuages. Ceux-ci, lourds et sombres, ventrus comme des paquets de fumée obèses, peinèrent à leur faire place pour laisser entrevoir des déchirures de ciel rose et or. Ce n'était pas moche à regarder. Voire carrément joli. Pour un loup d'humeur maussade avec le ventre vide, cela dit, le spectacle n'en valait pas vraiment la chandelle.
Quoique.
Alors que la lumière parvenait tout juste au fond du lit asséché de la rivière, les oreilles de Zwey se dressèrent lentement sur son crâne. Là en contrebas, une grosse tête noire dépourvue de cou venait de pointer hors de la grotte qu'il surplombait en silence. Le loup brun s'humecta les babines de la langue. La chance lui souriait. Il se sentit terriblement soulagé.
Avec patience, il attendit qu'un, puis deux, puis trois ragondins s'extirpent de leur cachette. Qu'ils étaient lents et patauds une fois qu'on leur retirait la fluidité du courant ! Deux d'entre eux avaient même l'air terriblement affaiblis. Zwey visa ceux-là en premier.
Il se releva souplement, le plus silencieusement possible. Puis sans plus se soucier de discrétion, il sauta brutalement au milieu des animaux et saisit le plus proche à la gorge.
La grosse bête se débattit avec des "honk" de détresse, mais le loup put se rendre compte à quel point il était faible. Il n'eut qu'à serrer les dents, serrer, serrer, serrer... pour que sa proie cesse de lutter et retombe, lourde et inerte, entre ses mâchoires.

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Zwey eut du mal à se dépêtrer du cadavre du ragondin qui, mine de rien, pesait son poids et lui écrasait à moitié les pattes. Il pesta, poussa de toutes ses forces et le rejeta d'un coup sur le côté avant de, ni une ni deux, sauter par-dessus pour se lancer à la poursuite de ses congénères. Ceux-ci s'enfuyaient maladroitement, chancelant sur leurs courtes pattes de rongeurs. L'un d'entre eux laissait clairement voir sa fatigue, et Zwey le rattrapa avant même qu'il eût le temps de s'essouffler totalement. Le souffle de l'animal était rauque dans sa gorge, mais il ne s'en retourna pas moins pour faire face au prédateur.
Un grondement sourd s'échappa de ses entrailles, qui surprit le loup l'espace d'un instant. Il freina pas réflexe, l'air perplexe, puis se reprit et se jeta sur l'animal. Qui, mine de rien, ne se laissa pas tant faire : le loup brun récolta une bonne morsure à la patte avant et une ou deux griffures. Qu'à cela ne tienne, il finit par casser ces maudites pattes et se pendre à la gorge du gros rat, qui expira dans un cri.
Zwey s'assit à côté de son gibier pour reprendre son souffle, observant le troisième qui s'éloignait. Demander à ses apprentis de les pister jusqu'à leur prochain repère serait une bonne idée... Sans compter que, la bête étant grosse, il allait devoir demander à quelqu'un de l'aider à ramener le second. Callian ferait l'affaire. Il fallait bien occuper les louveteaux dans la journée. Ceci décidé, Zwey saisit sa proie par la peau du coup en grognant sous l'effort et le traîna jusqu'au campement.

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Le loup brun refit son apparition dans le dernières heurs de l'après-midi, après une bonne journée bien remplie. C'est-à-dire, bien rempli de sieste, tour de garde, sieste, deux trois directives balancées à Callian et Saphir, sieste, collation et tour de garde. Il se sentait parfaitement efficace et nullement dans son tort, si quelqu'un voulait lui poser la question.
Bref. Zwey était donc de retour sur son terrain de chasse, prêt à ne pas partager son gibier et à faire des ravages parmi la faune locale.
Sauf que manque de bol, ses ragondins s'étaient enfuis, il avait quasiment décimé la population de lagomorphes du coin, et les renards n'étaient manifestement pas de sortie.
La sentinelle se retrouva obligée de renifler tristement le sol accidenté, en quête de la moindre petite piste intéressante, même ancienne, même ténue. Il détestait se réveiller pour rien.

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