Une ou deux fois, la sentinelle crut déceler une odeur qui, après l'avoir suivi pendant de longues minutes, le fit déboucher sur une fausse piste. Un terrier abandonné depuis des jours ou une zone de marquage à l'abandon. Des odeurs d'urine et de musc ternies par le temps et la poussière, des touffes de poils enfoncées dans la boue, de la salive moisie sur l'écorce des arbres ; rien de révélateur.
Cependant, après un long moment passé à tourner en rond, le loup brun tomba sur une piste un peu plus fraîche. De la biche, voire du cerf, à première vue. Il la remonta patiemment, la perdant une fois ou deux entre les arbres pour la rattraper plus loin. Il traversa le bosquet bordant le cimetière pour déboucher à sa lisière, de l'autre côté. N'étant jamais venu jusque là, il parcourut la plaine désertique des yeux... jusqu'à ce que ceux-ci tombent sur deux formes solitaires à l'abri des arbres. Un léger tremblement électrique se répandit dans ses veines : la biche et son faon.
Et à l'attitude tendue, tête relevée, oreilles dressées de la biche, il était repéré.
Zwey les fixa un bref, très bref instant, puis tenta le tout pour le tout : d'un bond puissant motivé par sa faim, il se projeta dans la direction du duo et se mit à courir vers eux à un train d'enfer. Restait à savoir qui serait le plus rapide, la biche ou lui ?
Il vit sa proie se détourner d'un bond gracieux et entamer sa propre course. Tirant sur les muscles de ses pattes, il accéléra l'allure : les loups étaient des sprinteurs, les ongulés nettement plus endurants. Cependant, en sa qualité de sentinelle, il possédait plus de réserves que ses congénères.
Ce qui ne l'empêcha pas de voir la petite touffe blanche de la queue de sa proie rapetisser progressivement alors qu'elle s'éloignait dans son champ de vision.

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La biche était trop rapide et il manquait trop d'avance. Zwey jura entre ses dents serrées par l'effort. Il fut sur le point d'abandonner la poursuite.
Et puis, il aperçu le faon. Malhabile sur ses longues pattes trop fines, il ne devait pas être bien vieux : et tout comme le loup, il s'était fait distancer par sa mère. Une lueur d'espérance s'alluma dans les yeux de la sentinelle qui, bandant tous ses muscles pour un dernier sprint, accéléra encore l'allure.
Ventre à terre, il rejoignit le faon qui, perdu, appelait sa mère à grand renfort de cris désespéré. Les pleurs des petits n'avaient jamais éveillé chez Zwey une pitié quelconque. Rien de plus qu'un vague agacement ou, dans le cas présent, de la convoitise. Du coin de l'oeil, il vit la biche se retourner et perçut son cri d'angoisse, mais il était trop tard. En un instant, le loup fondit sur le faon et un vagissement plus tard, tout était fini.
Au loin, l'ombre de la biche détala en laissant dans son sillage un choeur de lamentations. Zwey saisit le faon par la peau du cou et entreprit de le tirer à sa suite sans plus de remords.

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A priori, c'était jour de fête. Zwey décida donc de pousser la chance, au milieu de la nuit, et quitta carrément sa ronde pour aller faire un tour au cimetière, voir s'il ne pouvait pas dégoter deux trois choses intéressantes.
S'avançant lentement entre les tombes, il entendit soudain un croassement fort et bravache traverser la brume du milieu de la nuit. Un sourire de loup traversa ses babines comme une cicatrice. Viens ici mon petit ami. Que je te croque les ailes.
Le plus silencieusement possible, la sentinelle s'approcha de la tombe occupée par le corbeau, que l'obscurité dissimulait à sa vue presque mieux que le brouillard. Mais qu'à cela ne tienne, il connaissait son odeur mieux que son allure, et fut rapidement capable de le repérer malgré les conditions défavorables.
Il n'allait pas regretter son petit détour pour une fois... songea-t-il avant de sauter d'un coup sur la pierre, cueillant miraculeusement le corbeau au vol et l'aplatissant au sol dans un croassement étranglé. L'oiseau se débattit. Zwey le mit à mort dans un tourbillon de plume et de gouttes de sang frais.

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Zwey commença par enterrer sa proie, puis décida de se consacrer à la recherche d'eau. Avec le brouillard, peut-être la condensation aurait-elle formé quelques flaques ici et là, que la mousse blanche n'aurait pas encore polluées. Au passage, il renifla tout de même çà et là, à la recherche d'un éventuel camarade corvidé ou de quelques lapins égarés. Ce serait toujours cela, pour remplir un garde-manger dont la hauteur ne cessait de l'inquiéter.
Malheureusement, il eut beau fouiller les environs, pas de trace d'animal vivant en vue. Visiblement, la journée de la veine elle-même devait s'arrêter un jour. Peut-être la lune avait-elle terminé son cycle sans qu'il s'en aperçoive.

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En revanche, dame Nature n'était pas encore totalement insensible à ses charmes. En effet, alors que, dépité par l'absence d'autres proies dans le périmètre, Zwey s'apprêtait à s'éloigner du cimetière pour rechercher un peu d'eau, une odeur aquatique s'imposa soudain à sa truffe comme un mirage. Levant la tête, il la perdit l'espace d'un instant et se demanda s'il n'avait pas rêvé : mais en revenant au niveau du sol, il fut capable de suivre l'effluve douce et fraîche jusqu'à une petite mare de condensation, ayant pris confortablement ses quartiers dans une dépression du métal composant les carcasses de voitures empilées non loin. Zwey se dressa sur ses postérieurs pour la renifler avec satisfaction. Il préviendrait Reaven de son existence dans le courant de la nuit : il lui semblait que le vieux guérisseur était de sortie pour récolter dieu sait quoi. Ça ne pourrait pas lui faire de mal.

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Le jeune loup prit le large pour fureter encore un peu, mais il semblait que cette fois, il ait épuisé tout son stock de chance de la journée.
Tant pis, songea-t-il en inspectant une dernière fois les tombes, il avait plutôt bien rempli son quota pour cette fois, personne ne pourrait le lui reprocher. Pas même, peut-être, son estomac insatiable et tyrannique.
Et puis, ajouta-t-il en s'éloignant, pour clore cette discussion avec lui-même, il avait toujours un tour de garde à terminer.

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Un jour de plus au paradis.
Songea Zwey, le museau couvert de terre meuble. Il éternua bruyamment, faisant quasiment trembler les parois du terrier dans lequel il se trouvait enfoncé jusqu'aux épaules. Le problème étant que cette magistrale démonstration de sa présence ne fit pas remuer la plus petite portion de fourrure, patte ou oreille dans le fond du tunnel. A priori, le fond du terrier était tout aussi mort et vide que l'odeur de renard que la sentinelle tenait au bout du museau.
Le loup brun pesta et, pédalant des postérieurs dans la terre, entreprit de s'extraire de cet ennuyeux chausse-trappe. Lorsqu'il émergea à l'air libre, le soleil se levait à peine et il était toujours aussi bredouille. Mais le chasseur ne s'en inquiéta pas : au début, pendant ou vers la fin, la quête de nourriture devait toujours passer par une phase d'un calme plat assez inquiétant.

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Mais Zwey était confiant en ses capacités.
Et puis, la preuve : il n'eut qu'à dresser les oreilles pour percevoir, à priori à quelques mètres, les croassements aigus et frénétiques d'un groupe de corneilles surexcitées. A tous les coups, ses chères amies devaient avoir chopé une carcasse bien fraîche qui excitait leur répugnant appétit.
Enfin, répugnant... quand on a faim on se tait hein.
C'est ce que pensait très justement Zwey en s'approchant du groupe de corbeau d'un pas souple et silencieux. On pouvait dire que les loups n'étaient pas doués pour la traque en comparaison des félins, mais attendez voir si les piafs allaient le repérer un peu. Le rouquin eut une pensée affectueuse pour ses stupides camarades de banquet avant de leur sauter dessus avec un aboiement tonitruant.
Un nuage noir de plumes s'envola, tandis que les crocs de Zwey se plantaient dans une chair ferme et chaude. Il les enfonça avec plaisir, habitué à ce torrent de plumes fouettant sa gueule et aux serres griffant son museau. Il avait l'habitude des corbeaux.

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Zwey acheva sa proie en quelques coups de crocs, après un rapide combat, il faut le dire, légèrement à la défaveur du corbeau. Petite pensée attendrie pour cette boule de plume, meilleure amie de ses jours de famine.
Puis le jeune loup repoussa la proie fraîche sur le côté et se pencha sur le cadavre plus défraîchi qui avait été le repas de son repas. Miam, il était à peine moisi en plus.
Le rouquin nettoya consciencieusement les os de ce qui devaient l'être, fidèle à l'adage "tout est bon dans le raton" - parce que oui, ça avait vaguement la forme d'un raton laveur, malgré ce que le grand air et les charognards avaient fait de la carcasse. Puis il se redressa, se pourlécha consciencieusement les babines, et alla enterrer son gibier sous un peu de terre.

Puis il repartit en chasse, déjà sur une nouvelle piste. Elle était fraîche et prometteuse et pour cause : mêlée à l'odeur douce et fruitée de la biche, une fragrance salée de sang laissait un marquage alléchant dans son sillage. Impossible de la rater, et s'il n'avait été plus gros qu'eux, tous les petits carnivores du coin auraient déjà été aux trousses de la jolie bête. Les charognards non loin sur leurs talons.
Mais en l'occurrence, Zwey passait, il avait l'avantage de la taille, on lui laissait la place. La biche n'avait aucune chance, et apparemment elle était elle-même au courant. Quand il la retrouva, sa proie était déjà à genoux, trop faible pour se relever. Quelqu'un avait visiblement fait le travail à sa place : les flancs de l'animal, soulevés par une respiration erratique, étaient labourés de profondes marques de crocs. Il ne voulait pas savoir à qui il piquait son repas au juste, mais ce dernier devait l'avoir mauvaise. Le jeune loup s'approcha doucement tandis que la biche esquissait quelques derniers faibles mouvements de fuite, en vain. Il attendit le bon moment et lui sauta simplement à la gorge, pour l'achever vite et bien.
Puis il laissa le cadavre sur place pour aller demander à quelques compatriotes de lui filer un coup de patte.

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