Un souffle d’air éveilla les sens su loup brun. Il se rendit compte qu’il s’était assoupi sous l’effet de la fatigue de l’effort qu’il venait de fournir. Il ouvrit un œil, aveuglé par la lumière du soleil brûlant. Il avait trop chaud. Il s’ébroua, bâilla quelques secondes, ouvrant de toute sa grandeur sa mâchoire encore séchée de sang. Il jeta un coup d’œil à côté de lui : le corps du sanglier était toujours là. Ce serait trop bête de se faire voler une si belle proie par des charognards ou pire, par d’autres loups.
Palladium se leva, s’étirant paresseusement. La journée ne venait qu’à peine de commencer, et il se sentait reposé, bien qu’il n’eût aucune idée du temps pendant lequel il avait pu dormir. Il se demanda d’où venait ce bruit étrange qui l’avait réveillé, comme un froissement d’ailes, très léger, mais qui avait suffit à le sortir de sa torpeur. Il regarda autour de lui, intrigué. Rien. Le Pantin était perplexe. Il s’était peut-être réveillé de lui-même, après tout…
Il se retourna vers son sanglier, hésitant à en croquer une bouchée. Il s’aperçut alors de la provenance de ce bruissement d’ailes. Lui tournant le dos, un vautour énorme était en train d’entamer voracement sa pitance ! Le loup brun bondit sur l’occasion, et sans attendre une seconde, s’élança sur l’oiseau de malheur qui semblait ne pas l’avoir remarqué. Le loup brun fut rapide, mais les réflexes du charognard étaient plus vifs, et il s’envola lourdement lorsque le prédateur le manqua de justesse. Palladium roula dans la terre, et se releva aussitôt. Le vautour décrivait au-dessus de lui des cercles de plus en plus rapprochés. Sous lui, le loup bondissait de plus en plus haut, ses mâchoires claquaient de plus en plus près de l’oiseau qui semblait le narguer. Le loup prit appui sur un bidon d’essence qui traînait là, pour bondir plus haut encore. Les dents du carnivore se refermèrent sur les plumes de la queue du vautour, lui arrachant un cri aiguë. Il perdit immédiatement de l’altitude et, sur le point de s’écraser, se retourna vers son agresseur pour lui assener un coup de bec entre les deux yeux. Le loup lâcha immédiatement prise, lâchant un couinement plaintif. L’oiseau pouvait crier victoire, mais il ne demanda pas son reste, et s’éloigna du lieu qui lui avait coûté plusieurs ramiges.

Palladium frotta sa tête sur ses pattes, comme si ce frottis avait pu éliminer la douleur qui le piquait entre ses deux orbites. Avec quelques centimètres d’écart, il aurait bien pu y perdre un œil… Il allait falloir se montrer plus prudent avec ce genre d’oiseau, à l’avenir. D’ordinaire, ces charognards ne posaient pas de problème et l’on n’était pas obligé de les attaquer pour protéger sa pitance, mais les temps étaient rudes et toute forme de vie était devenue comestible. Le loup brun décida d’éviter ce genre de déconvenue à l’avenir, et entreprit de gaspiller plusieurs dizaines de minutes à recouvrir soigneusement le corps raidi du sanglier de terre. Il creusait méthodiquement tout autour de sa proie, pour la dissimuler à la vue de tout autre prédateur. On n’est jamais trop prudent… Une fois son œuvre terminée, il décida de se remettre en chasse. Après tout, il était venu ici pour cela, et le sanglier pourrait être ramené un peu plus tard. Il pouvait s’en éloigner, à présent qu’il l’avait correctement camouflé.

Le loup brun se remit donc en marche, mais avec moins de conviction qu’au début de sa chasse. Il avait dépensé beaucoup d’énergie et de motivation dans la traque de cette grosse proie, et bien qu’il se fût octroyé une petite pause, son corps lui soufflait qu’il ne tarderait pas à aborder ses limites physiques. Encore une proie, une seule, et il rentrerait au camp, c’est promis. Le Pantin posa sa truffe près du sol, à la recherche d’une nouvelle piste odorante qui aurait pu éveiller en lui le moindre espoir de trouver une proie dans cet endroit désolé. Plus vite il trouverait, plus vite il rentrerait. Ses pattes commençaient à être lasses de marcher et de tourner en rond.

Le loup brun avançait lentement parmi les décombres, analysant chaque espace, chaque cachette, chaque trace dans le sol qui aurait pu lui indiquer la présence d’une proie, quelle qu’elle soit. Encore une dernière, et on rentrerait au bercail, songeait-il. Mais rien ne se montrait à l’horizon. Palladium escalada une des barres de métal qui tenait autrefois la grande roue, et s’aventura jusqu’à cet ancien guichet, qu’une bombe avait visiblement décapité depuis longtemps. Il n’y avait rien ici non plus.
Le loup brun s’apprêtait à faire demi-tour lorsqu’un léger effluve, tout à fait reconnaissable, se fit sentir à sa truffe frémissante. Une odeur de viande légère, connue, qu’il avait l’habitude de chasser dans les souterrains. Un lièvre se tenait non loin de là. Palladium renonça à faire demi-tour et se mit immédiatement à la recherche du rongeur, qui ne devait pas être bien loin. Les nuages commençaient à obscurcir le ciel en ce début d’après-midi, et le loup voulait attraper sa proie avant que la pluie ne vienne. Il mit plusieurs minutes à trouver ce qu’il cherchait. Lorsqu’il détecta enfin le lapin, l’animal était en réalité pris au piège de la façon la plus ignoble qui soit. Une sorte de mâchoire de métal avait emprisonné une de ses pattes arrière, labourant la chair à chaque mouvement que le rongeur effectuait. C’était sûrement encore là un méfait de ces foutus Bipèdes. Mais pour une fois, Palladium allait pouvoir tirer profit de la situation. Une barrière de débris le séparaient du lapin, et il dû escalader de nombreux barils, et maintes fois il faillit glisser sur le fer lisse qui n’offrait aucune prise.
A son approche, le lièvre s’agita dans son piège, s’arrachant encore des lambeaux de chair. Le loup n’était pas pressé, il s’approcha calmement, regardant autour de lui avec soin – un autre piège tel que celui-ci pouvait être dissimulé quelque part. Il baissa les yeux sur le lièvre, et fit craquer sa mâchoire sur son crâne fragile, qui céda immédiatement. Il tira plusieurs fois sur le corps inerte de la bestiole, jusqu’à ce que la patte coincée finisse par s’arracher, pour s’en aller avec son butin. Il fallait à présent rentrer au camp.

Palladium, ignorant tout du méfait qui s’était produit à son nez et à sa barbe, avait ramené le sanglier au garde-manger Sekmet, ce qui en tout lui avait prit un peu plus d’une heure. Il était revenu sur son terrain de chasse pour chercher sa seconde proie, qu’il n’avait pu inclure dans un seul voyage. Le soleil avait définitivement quitté le ciel, et une fine bruine avait commencé à tomber. Au final, lorsqu’il parvint là où il avait laissé son butin, une averse tombait drue sur le sol et rendait la terre mouillée et glissante. Palladium eut beau chercher sous ce déluge, il ne retrouva jamais le lièvre qu’il avait laissé enterré. Etait-il possible qu’il se fourvoie totalement, et qu’il ait oublié là où il l’avait enterré ?! C’était peu probable, mais c’était la seule hypothèse envisageable : aucun vautour ne pouvait lui avoir volé, il était trop bien caché. Cette disparition demeurait un mystère. Il fureta partout, mais la pluie avait lavé les odeurs, et impossible de retrouver la cache avec exactitude.
Pour réprimer sa frustration et éviter d’avoir fait le déplacement pour rien, Palladium décida de se remettre en chasse. La pluie ne l’aiderait pas, mais qu’importe. Le poil trempé, il avançait dans le jour grisâtre, cherchant sa pitance d’un œil averti. Un léger mouvement sur sa droite éveilla son attention : près d’une flaque, une lapine se désaltérait en compagnie de ses lapereaux. Palladium en compta cinq. Cinq chances de plus de ramener de la nourriture au camp Sekmet. Il se mit en position de traque, avançant au plus près de la petite famille, bien décidé à faire un véritable carnage, lorsqu’un bruit sec retentit. Un éclair venait de faire gronder le ciel, et avait fait sursauter Palladium ainsi que les lapins. Les proies étaient désormais sur le qui-vive, et le loup brun n’attendit plus : il bondit au milieu du tas, et ses mâchoires claquèrent dans le vide. Les lapereaux fusaient comme des flèches entre ses pattes, et il ne parvenait pas à se concentrer sur un seul d’entre eux. L’effet de groupe lui donna le tournis, il fut incapable de n’en saisir aucun. Il décida donc de reporter son choix sur la lapine, un peu plus à l’écart, qui s’échappait en quelques bonds précis. Il s’élança à sa poursuite, les gouttes fouettant son museau. Le rongeur zigzaguait entre les débris, tentant de semer son poursuivant dont les pattes arrière glissaient dans les virages trop serrés que le lapin imposait. La proie et le prédateur galopaient sous la pluie depuis quelques minutes, et le loup commençait à s’essouffler de tourner en rond et de devoir fournir des efforts considérables pour garder l’équilibre. Il se laissa distancer, et abandonna la poursuite.

Palladium se détourna de la lapine : elle avait gagné, cette fois-ci. Il n’en avait pas toujours été de même dans les souterrains. Cette pensée le réconforta. Il finirait bien par trouver quelque chose d’autre à se mettre sous la dent.
La chance sembla lui sourire, puisqu’il tomba par hasard sur le piège d’où il avait extirpé le lièvre quelques heures auparavant. L’intérêt du piège, c’était que la patte qu’y avait laissé son ancienne proie y était restée, et qu’une belette s’affairait autour des dents de métal pour récupérer cette nourriture facile d’accès. Palladium songea immédiatement que le petit carnivore avait très bien pu lui voler le lièvre tout entier : après tout, les belettes étaient connues pour être des animaux malins et sournois. Il se mit donc en chasse, bien décidé à punir ce voleur pour ses méfaits. Il avançait prudemment dans les débris, évitant soigneusement de se frotter d’un peu trop près à tout ce qui pouvait ressembler à un piège du même type : il n’avait aucune envie d’expérimenter ces dents d’acier sur sa propre chair. Il parvint sans un bruit à proximité de la belette, la pluie masquant son odeur à la perfection. Il s’élança, un peu trop loin pour éviter le piège, et manqua sa cible. Immédiatement, le petit animal s’enfuit à toute vitesse. Sans perdre de temps, Palladium se lança à sa suite. Tout comme la lapine un peu plus tôt, l’animal zigzaguait pour faire perdre du temps au loup. Celui-ci gagnait cependant du terrain : la belette était moins agile que le lapin.
Soudain, elle vira court sur la gauche, et plongea sous un baril de métal. Sans hésiter, Palladium le percuta de plein fouet, et le baril tomba sur le flanc. Un peu déséquilibré, le loup brun mit quelques secondes à retrouver ses appuis, le temps qu’il fallut à la belette pour lui filer entre les pattes. Il fit volte-face, et la poursuite recommença. Cette fois, la belette opta pour une caisse en bois et se réfugia dessous. Le loup bondit sur la caisse, puis attendit. Cet animal était trop rapide, il allait falloir ruser. Il attendait, posté sur le sommet de la caisse, guettant le trou par lequel la belette était entrée, dans un silence absolu. Il attendit longtemps, la pluie détrempant sa fourrure. Mais il ne se déconcentra pas une seule fois. Il commençait à perdre courage, lorsque le museau pointu de la bestiole émergea de sa cachette. Elle regarda à droite, à gauche, sortit prudemment la tête. Elle se coula avec une lenteur infinie hors de la caisse, et ce ne fut que lorsqu’elle pensa à lever les yeux qu’elle put se rendre compte qu’il était trop tard. Le loup était déjà tombé sur elle de toute sa masse et l’avait tuée d’un rapide coup de crocs porté à la nuque.
Il attrapa le cadavre dans sa mâchoire, et s’apprêtait à rentrer au camp lorsqu’une idée traversa son esprit. Il pouvait, grâce à cette belette, faire d’une pierre deux coups et ramener au garde-manger avec lui sa nouvelle proie, mais également le voleur du lièvre. Il déposa donc le corps de la belette au même endroit que celui où il pensait avoir laissé son lièvre, et parti d’un pas nonchalant. En réalité, il se cacha quelques mètres plus loin derrière un container, attendant avec impatience le moment où le voleur daignerait venir.