first light, first hunt

Il était tapi derrière un baril de fer vide, son cœur battait la chamade. Ses griffes torturaient le sol sous la vague impatiente de la mise à mort qui s’annonce. Sa proie ne se doutait de rien, et continuait sa quête de nourriture, paisiblement. Il s’approchait en silence, ses pattes foulant la terre meuble dans une quiétude totale. Ses pattes lui semblaient énormes, tout son corps était disproportionné et immense, et il agissait dans sa chasse comme un automate, bien qu’il n’eût jamais chassé quoi que ce soit de sa vie. Peut importait. Il allait bondir. Il allait bientôt bondir, encore quelques mètres… Encore quelques centimètres. C’est le moment. Il saute, dans un bond qui lui semble durer plusieurs secondes. Il décrit une parabole quasi-parfaite et atterri fermement sur la croupe du sanglier, plantant ses griffes et ses crocs acérés dans la croupe du sanglier, avec une excitation qu’il ne s’était jamais connue. Il se délecte de cet instant, et la ronde de défense commence. Le sanglier tourne sur lui-même, tentant de l’embrocher de ses défenses acérées, mais le loup est plus vif. Ils tournent tous deux, et tout semble facile au louveteau. Les mouvements s’enchaînent avec une aisance hors du commun, comme une chorégraphie qu’il aurait interprété des centaines de fois. Il n’éprouve aucun sentiment de fatigue, aucun essoufflement, alors que sa proie s’épuise et tombe : il la saisit à la gorge. Comment ? Il n’en sait rien, mais il l’attrape fermement. Le sanglier se débat, grogne et crie, mais le loup le maintient, et il se meurt lentement. Tout est grand, tout est beau et le sang coule, sans goût ni saveur.
Un spasme nerveux réveille soudain le louveteau.

first light, first hunt

Le louveteau ouvre les deux yeux, le soleil l’aveugle brutalement. Il n’est pas encore habitué à ce que la lumière puisse l’agresser au sortir du sommeil. Il grogne de mécontentement, encore embrumé dans les vapeurs sulfureuses du sommeil profond dans lequel il avait sombré. Il se remémore quelques instants son rêve, la traque, le sanglier, le sang et la fierté. Il sourit encore à la pensée de cette émotion si agréable. Tout cela lui avait paru si réel, si vrai malgré, certes, quelques incohérences. Ce corps si disproportionné, si grand, la facilité de ses actions et surtout les mouvements qu’il serait bien incapable de reproduire à présent, si la situation se présentait.
Pandémonium bâilla longuement, mais renonça à s’aventurer hors de son abri. Il y était bien, et préféra se prélasser à l’ombre de son baril plutôt que d’aller affronter la chaleur cruelle du soleil qui tapait fort, dehors.

first light, first hunt

Comment Pandémonium aurait-il pu se douter qu’un loup adulte, et de corpulence plus que correcte, chassait non loin de son refuge ? Il vit les pattes du loup fouler la terre cabossée devant son abri, et se ratatina sur lui-même, dans l’espoir qu’il ne l’ai pas vu ni senti. Mais l’autre passa son chemin, et le jeune louveteau lâcha un soupir de soulagement. L’odeur fauve de cet inconnu l’avait inquiété, mais ce qui avait attisé sa convoitise était certainement l’odeur de sang qu’il avait détectée, s’émanant de ce prédateur qui venait probablement de capturer un butin digne de ce nom. Peut-être que des proies surgiraient dans le sillage de ce grand loup… Pandémonium fusa hors de sa cachette, bien décidé à suivre cet adulte qui semblait bien plus expérimenté qu’il ne l’était, lui.
Le jeune loup trottinait donc à une distance très respectueuse du loup adulte, le suivant dans la plus grande discrétion : pas une fois l’autre ne se donna la peine de se retourner. Pandémonium entrevit brièvement ce qui se balançait dans sa gueule : un lièvre fraîchement tué, dont le sang tâchait le sol dans le sillage du loup brun. Jusqu’où pourrait-il bien le suivre de la sorte ? Pandémonium espérait que l’autre n’irait pas jusqu’à l’autre bout du pays : il n’avait pas que ça à faire que de le suivre éternellement. Heureusement, le loup brun s’arrêta bientôt pour lâcher sa proie sur le sol. Il entreprit de l’enterrer soigneusement, puis fit quelques pas, et se retourna vers le louveteau. Immédiatement, ce dernier se terra sous une plaque de tôle, le cœur battant. L’avait-il vu ? En tout cas, il n’en manifesta pas l’impression. Il saisit quelque chose entre ses crocs et son corps s’arc-bouta pour déplacer le gros animal qu’il s’apprêtait à traîner. Un sanglier ! Comme dans le rêve du jeune loup ! Pandémonium nourri alors une certaine admiration pour ce loup au pelage fauve qui avait terrassé un sanglier à lui tout seul. Ce devait être tellement grisant…
Mais son héros disparut bientôt de son champ de vision. Il restait seul sur l’étendue chaotique des restes humains. Seul, face à un cadavre de lièvre enterré. Pandémonium hésita. Ce n’était pas dans sa nature de voler, mais il fallait bien survivre. Et puis, ce loup avait déjà un sanglier à son actif pour le nourrir, un lièvre ne lui coûterait pas grand-chose… Le louveteau s’élança et, d’un coup de crocs rapides, saisit le cadavre par une patte, rebroussa chemin sur-le-champ pour s’enfuir dans une grande galopade jusqu’au baril qui l’avait si bien protégé, bien décidé à déguster le fruit de sa veulerie.