Tapis dans l'ombre, Zwey patienta le temps que les hommes les plus proches s'éloignent. Ils émettaient des grognements forts et graves très désagréables à entendre, et le loup brun ne fut pas mécontent de ne plus les entendre. En revanche, un chien s'obstinait à tourner sans but dans les environs. Zwey secoua la tête.
Stupide créature.
Le loup recula prudemment et contourna la zone. Il s'avança entre les caisses à l'écart des hommes et s'approcha avec répugnance d'un feu. En général, c'était par là qu'ils dissimulaient les choses les plus intéressantes.
Le loup brun s'assura que ni chien ni homme ne le regardait, puis saisit un sac de toile entre ses crocs et le tira hors de sa caisse.
Un poids grondant chuta brutalement sur ses épaules et des crocs à nu crochetèrent sa nuque.
Zwey aboya de concert avec le chien qui venait de lui sauter dessus, sentant une vive douleur irradier dans son cou : il se retourna avec la vivacité d'un serpent et mordit cruellement l'animal à la cuisse. Son agresseur couina et le relâcha. A peine fut-il tombé dans la terre balayée que Zwey se jetait à sa gorge en grondant, étouffant un aboiement dans l'oeuf : il luttèrent quelques minutes dans les ombres qui succédaient à la lueur du feu, jusqu'à ce qu'à la faveur d'une ouverture, le loup ne réussisse à égorger son attaquant.
Le chien gémit et s'affaissa : son corps tressauta dans la pénombre, puis ce fut tout, et seul le sang continua à couler en abreuvant le sol d'une couleur proche du noir.
Et maintenant, Zwey était mal barré. Les hommes n'allaient pas tarder à débarquer.

Plus le temps d'hésiter cette fois, comprit le loup.
Abandonnant le cadavre du chien derrière lui, Zwey fit volte-face et bondit sur le sac de nourriture qui lui avait valu quelques morsures aux épaules. Il ne chercha pas non plus à savoir si les hommes s'inquiétaient ou non des aboiements de leur chien : prudence était mère de sûreté, et s'il se retrouvait pris dans ce cercle de pieux, il y laisserait sa peau. Il n'était pas prêt à la confrontation directe, pas sans ses compagnons de meute pour le soutenir.
Le sac de jute lourd entre ses crocs, l'animal roux courut vers la profonde tranchée et y sauta sans hésitation. Il récupéra - avec difficulté - le fusil au passage, avant de s'en extirper tout aussi difficilement. Sa patte tordu faillit céder sous son poids sur le dénivelé.
Mais une fois sorti du chausse-trappe, le loup courut jusqu'à la lisière de la forêt et s'y dissimula avec son butin ; le temps de reprendre haleine.
Il ne voyait plus Plume. Restait à espérer qu'elle ne se soit pas fait prendre de son côté.


[-1 Ration de nourriture]

D’un coup de croc sec, Zwey éventra l’un des sacs de toile dure et rêche qu’il avait arraché au camp des hommes. De la nourriture roula hors de son ventre creux, quelques pommes rabougries que le loup renifla du bout du museau, des miches de pain et des lambeaux bruns et secs qui dégageaient une vague odeur de viande. Le voleur fourragea dans le tas un moment puis, peu regardant sur la nourriture, engloutit en quelques coups de crocs la moitié des lanières séchées et d’une miche dure comme du bois.
Sur ces entrefaites, un éclair blanc l’avertit du retour de Plume Rousse. Elle surgit à sa gauche comme un silencieux fantôme puis, après un bref signe de tête, s’élança à nouveau vers le campement. Zwey la comprit. Abandonnant là leurs butins respectifs, il courut à sa suite.
La nuit était désormais tombée.
Le loup se faufila souplement entre les fortifications une nouvelle fois, et trotta dans l’enceinte du camp, la truffe au vent. Cette fois, il entreprit d’en faire le tour : malheureusement, un chien et son maître débarquèrent à l’improviste, l’obligeant à se tapir dans l’ombre en priant pour ne pas être remarqué.
Décidément, il y avait trop de passage dans le coin.

Une fois qu’ils se furent éloignés, Zwey surgit de son coin obscur comme un diable hors de sa boîte et parcourut en un éclair l’allée la plus proche. Il ne perdait pas de vue son objectif : subtiliser le plus de ressource possible sans se faire remarquer.
Au passage, le jeune loup recroisa le cadavre de sa précédente victime et grimaça : étonnant que les hommes ne l’aient pas encore remarquée. En revanche, lorsque ce serait le cas, ils seraient sur le qui-vive : mieux valait la dissimuler tant qu’il en était encore temps.
Le loup brun saisit le chien mort par la peau du coup et le tira derrière une rangée de caisse, ahanant un peu sous le poids de la bête, visiblement mieux nourrie que lui.
Ceci fait, il repartit vers les tentes et se glissa sous le rabat de l’une d’elle. Un homme était endormi à l’intérieur : la sentinelle mobilisa toute sa légèreté pour s’avancer sur la pointe des pattes et subtiliser délicatement son arme au chasseur.
Tout en douceur, Zwey recula et sortit de la tente puis, le fusil entre les crocs, courut jusqu’à la frontière du camp et jeta son butin dans la fosse.

[-1 arme]