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Malheureusement, les Hommes n’étaient pas les seuls animaux dangereux et imprévisibles de ces souterrains. L’avais-tu oublié, Palladium ? Oui, l’espace d’un court instant, prit par la crainte des Bipèdes, dans sa fuite, il l’avait oublié. Il s’en rappela instantanément lorsqu’un grognement menaçant surgit de la pénombre, quelques mètres devant lui. Son pelage se hérissa instinctivement sur son échine. Quelle sorte d’animal se cachait là ? Il ne tarda pas à le découvrir : un blaireau à la fourrure noire et blanche hérissée de toutes parts sortit bientôt de l’ombre. Il était énorme. Court sur pattes, mais il semblait puissant et avait l’air très agressif. Palladium découvrit ses crocs pour masquer son incertitude et sa crainte. Il regarda à droite, à gauche, pas d’issue. C’était vraiment une proie de grosse taille pour qu’il puisse se permettre de la combattre non sans quelques blessures. Il aurait pu l’attirer dans un recoin pour augmenter ses chances, mais le blaireau n’étant pas un prédateur, si le loup fuyait, ce dernier ne le poursuivrait pas. Il fallait donc bien faire face. Le loup brun s’arma de courage et avança vers la bête.
Il n’y eût pas plus longtemps à réfléchir. Le blaireau lança immédiatement les hostilités en se jetant brusquement sur le Pantin. Ce dernier l’esquiva sans peine d’un bond leste, l’attaque était prévisible. Il allait attendre que sa proie se fatigue pour mieux l’attaquer. Il esquiva trois autres charges, se jetant de côté, chaque fois avec une précision diabolique. Mais le blaireau apprenait vite, et il commençait à se faire observateur, ses charges étaient plus calculées, mieux visées. Le loup en fit les frais lorsque, croyant l’esquiver à nouveau, le blaireau attrapa une de ses pattes et l’enserra de ses fortes mâchoires. Palladium couina et tenta de se retourner pour le mordre, mais la bestiole avait déjà lâché prise. Le loup brun passa donc à l’attaque, il y était contraint. Le corps-à-corps lui déplaisait par-dessus tout mais il n’avait plus le choix… Il se jeta sur son ennemi, entamant une mêlée féroce et sauvage. Le loup mordait partout dans le corps à fourrure épaisse du blaireau, et ce dernier enchaînait son ennemi à coups de griffes et de crocs désorganisés. De tout ce qu’il avait appris, Palladium avait instantanément tout oublié : il se contentait de réagir instinctivement, sans réfléchir. Frapper là où il pouvait, dès qu’il le pouvait, vite et bien. Il commençait à faiblir entre les pattes du blaireau, et parvint à se libérer d’un violent coup de rein. Son museau était en sang. Il décida d’attaquer par vagues successives et rapides. Il tournait lentement, boitant légèrement, autour du blaireau, qui était lui aussi bien amoché. Palladium démarra plusieurs charges, mordant sa prise, tentant de l’affaiblir le plus possible sans toutefois parvenir à entamer les points stratégiques. Ses grognements résonnaient dans le boyau sombre. Le blaireau faiblissait. Palladium crût la victoire proche, et manqua de prudence, ce dont sa proie se servit pour tenter de fuir. Il s’esquiva rapidement pour un animal de sa carrure, ce qui surprit le loup brun. Ce dernier s’élança à sa poursuite et, dans le feu de l’action, sauta sur le blaireau, qui se retourna immédiatement pour lui saisir la peau du ventre. Palladium glapit sous la douleur et se débattit comme un diable pour se libérer. Le blaireau n’eût pas de seconde chance. Malgré la douleur, le loup brun esquissa une torsion de reins, se libéra et saisit le blaireau à la gorge. Il sentit le sang qui battait dans l’artère principale, il sentit son goût de métal se répandre dans sa gueule, et les griffes du blaireau qui entaillaient de moins en moins puissamment ses flancs. C’en était fini. Palladium relâcha son étreinte.

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Il avait fallu à Palladium de nombreuses journées passées à se prélasser au camp Sekmet pour que ses plaies se referment. Du sang collé à ses poils ne restait qu’un vague tiraillement, effet secondaire de la cicatrisation, qui ne prendrait guère plus de temps. Il avait ramené sa pitance – chèrement gagnée – au garde-manger, et avait convenu que les métros étaient réellement un bon endroit pour chasser. Il était donc revenu en ce lieu pour ouvrir une nouvelle partie de chasse.
La froideur des rails entailla ses coussinets lorsqu’il posa les pattes sur eux, tous ses sens étaient en alerte. Il avançait ainsi, la truffe contre le sol, à la recherche d’une nouvelle proie. La fièvre de la chasse montait lentement en lui, lorsqu’il tomba sur la piste toute fraîche d’un lièvre. Un vague sourire s’esquissa sur ses traits tirés par la fatigue. Il voulait une chasse facile, cette fois-ci, ce n’était pas coutume. La chance avait visiblement décidé de lui sourire, puisque quelques minutes plus tard, il tomba sur le promis lièvre, visiblement en difficulté. Il était étrangement suspendu par les pattes à trois bons mètres du sol, se balançant de droite à gauche, la tête en bas, accroché par une longue ficelle. L’occasion était trop belle. Palladium s’inquiéta durant quelques instants de toute la facilité que requérait cette proie. C’était un piège, évidemment conçu par les Hommes. Mais était-ce un piège à lapin, ou un piège à loup ? Il regarda autour de lui avec méfiance. Rien ne lui paraissait suspect, autant voler ce lièvre aux Bipèdes, avant qu’ils ne reviennent. Ils ne devaient pas être très loin. Le loup brun s’approcha, toujours avec prudence. Il s’arrêta sous le rongeur, visiblement paniqué de se trouver si près d’un carnivore aussi redoutable. Il s’agita encore plus. Le loup se ramassa sur ses pattes, et bondit vers le haut. Ses mâchoires claquèrent dans le vide. Encore un autre essai, infructueux. L’entreprise n’était pas si aisée que ça. Palladium chercha donc à prendre de l’élan, courant sur quelques mètres avant de s’élancer, ce fut un autre échec. Il commençait à ressentir une certaine frustration lorsqu’une idée lui vint. Se trouvaient là des caisses de bois, visiblement solides. Il se dirigea vers elles, et poussa tant bien que mal à l’aide de son museau et de ses pattes une des caisses sur quelques mètres. Il prit un peu d’élan, courut, bondit sur la caisse et se ramassa sur lui-même, sautant vers le lièvre. Il attrapa entre ses crocs sa tête, et retomba lourdement. Quelque chose produisit un bruit flasque, des tissus qu’on déchire. Dans l’entreprise, la tête du lièvre s’était brisée dans la mâchoire de Palladium et une de ses pattes était restée accrochée à la ficelle. Peu importait. Il ne fallait pas traîner ici. Palladium se releva et s’enfuit de ce boyau-ci ventre à terre.

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C’était trop simple. Beaucoup trop simple. Palladium lâcha le lièvre, qui tomba mollement sur le sol. Il avait beau retourner le problème en tous sens dans son crâne, il ne parvenait pas à cerner le piège. S’il y en avait réellement eu un, ne serait-il pas déjà aux prises des Bipèdes ? Ne serait-il pas déjà mort ? Mais il ne pouvait considérer qu’il n’y avait pas de piège. Ce lapin, cette occasion, tout était trop beau, trop parfait, trop facile. Il haletait encore dans le tunnel, jetant des coups d’œil furtifs et inquiets derrière lui. Il ramassa sa proie, et s’élança à nouveau dans la pénombre : mettre de la distance, entre lui et cette chasse trop étrange. Il courait, encore et toujours dans le noir, le corps frêle du lièvre pendant entre ses mâchoires, l’empêchant de respirer convenablement. Mais peu importait. Il fallait fuir. Vite, et loin.

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Il s’était arrêté de courir. Il estima qu’il avait couru suffisamment longtemps. La Peur le taraudait toujours, mesquine engoncée dans son ventre : elle ne le quittait plus. Mais son esprit commençait à redevenir réaliste : quel que soit l’Homme qui ait tendu ce piège, il ne pourrait pas parcourir la distance que Palladium avait prit le soin de mettre entre eux avant une bonne heure, ou même deux. Ce qui lui laissait aisément le temps de récupérer l’énergie qu’il avait dépensée. Il prit tout de même le soin – paranoïa ? – de chercher quelques minutes un recoin où il pourrait s’étendre, histoire de ne pas être vu par le premier être vivant passant dans ce couloir. Il trouva une sorte de renfoncement dans la roche qui constituait la paroi du souterrain. La cache était étroite, et visiblement inconfortable, mais le loup brun s’en accommoda. Il lança le lapin au fond de la petite grotte, et s’en engouffra en se tortillant quelque peu. Il se roula en boule, le museau dissimulé entre ses pattes et, presque aussitôt, le sommeil vint piquer ses paupières.

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Il était seul, terriblement seul, et la Peur le taraudait sans qu’il sache pourquoi. Il devait fuir, à tout prix. Pourquoi ? Il n’en savait rien, mais quelque chose le poussait à courir. Il courait à présent sur un sol hérissé de toutes parts de sortes de crocs de loup. Ses pattes saignaient, et s’entaillaient un peu plus à chaque pas. Il ignorait la douleur et continuait de courir, incapable de se retourner. C’était sûrement la Chose qui avait fini par le rattraper. Il courait de toutes ses forces, il était fou, ses yeux étaient révulsés dans leurs orbites. Soudain, il trébucha et s’affala sur les crocs du sol. Il sentit, sans douleur, son ventre s’ouvrir et ses entrailles diffuser leur chaleur humide sur ses postérieurs.
Brusquement, il se réveilla, le corps tétanisé et les pattes tremblantes. Il avait la gueule sèche, et un goût amer et métallique s’était répandu dans sa salive. Il dû attendre quelques instants pour se rappeler où et qui il était, et avant de pouvoir esquisser un mouvement, encore paralysé par la peur de ce cauchemar. Il regarda à côté de lui : le lapin était toujours là.

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Lorsqu’il parvint à esquisser un mouvement, il décida de s’en aller. Il n’avait aucune idée du temps qui s’était écoulé pendant son sommeil, il en avait perdu la notion. Il sortit non sans peine de sa cache, estimant que des Bipèdes pouvaient toujours être en chasse derrière lui. Il fallait partir, ne pas prendre de risques. Il décida de laisser là sa proie. Elle était bien dissimulée et il viendrait la récupérer plus tard. Il se glissa dans l’ombre, décidé à chasser de son esprit ce cauchemar qui continuait de le torturer, en partant à la recherche d’une nouvelle proie.
Il ne tarda pas à tomber sur la piste d’un second lièvre, qu’il suivit immédiatement, truffe plaquée au sol. Les pensées s’entrechoquaient dans son esprit, il ne parvenait pas à se concentrer, il perdit la trace plusieurs fois, contraint de retourner maintes fois sur ses propres pas. Il découvrit enfin le rongeur, occupé à glaner ça et là quelques fonds de conserves délaissées par les Hommes. Palladium se positionna non loin de lui. Il courait sur ce champ de crocs. Concentre-toi. Il s’élança, comme pour se débarrasser du cauchemar, bien trop tôt. Il atterrit un bon mètre avant le lièvre, qui s’esquiva d’un bond. Le loup brun le prit en chasse. Ses entrailles se vidaient sur le sol. Concentre-toi. Il n’anticipa pas le virage prompt que fit le rongeur, se faufilant habilement sous un éboulis. Palladium s’arrêta, hésitant sur la marche à suivre. Il n’abandonnerait pas. Il se dressa sur ses pattes arrières, prenant appui sur un gros rochers de ses pattes antérieures, et commença à essayer de déloger le lièvre avec force de grognements menaçants. Mais le lapin n’en avait cure, il restait caché. Le loup brun poussa de toutes ses forces sur cette pierre, s’arc-boutant contre elle de tout son poids. Ses membres tremblaient sous l’effort. La roche roula enfin sur le côté, libérant un espace dans lequel le loup glissa sa tête. Le lièvre, à l’intérieur, n’avait pas perdu de temps. Il tentait de se frayer un passage dans les éboulis. Le prédateur devait faire vite. Il s’appuya sur une autre roche, cette dernière entaillant son épaule, et poussa à nouveau autant que ses forces le lui permettaient. La pierre céda, millimètre par millimètre, et le loup redoubla d’efforts. Elle finit par rouler, mais il peina à l’esquiver, et elle roula sur sa patte arrière droite, lui arrachant un couinement de douleur. Malgré cela, il n’avait pas perdu de vue son objectif. Le trou était assez large pour lui permettre d’attraper sa proie. Il se coula à l’intérieur, mais le lièvre avait disparu. Palladium pesta.

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Palladium s’extirpa de l’éboulis de roches qui l’oppressait. L’échec était cuisant, tant de moyens déployés pour si peu… Cela l’irritait grandement. Il s’ébroua, pour ôter la poussière qui souillait son pelage fauve. Il fallait se remettre en chasse, ne pas se laisser décourager par ce malheureux lièvre qui l’avait berné aussi facilement qu’on aurait pu berner un louveteau. A cette pensée, ses mâchoires se serrèrent. Il fallait qu’il trouve autre chose, autre chose sur lequel déverser sa colère et sa frustration. Etait-il un si piètre chasseur ? Une force extérieure le poussait à penser qu’il était mauvais de rester à l’endroit où l’on avait subi un échec. Il décida donc de tenter sa chance plus loin. Il s’engagea au hasard dans un nouveau tunnel, qu’il n’avait pas encore exploré. Peut-être que la chance lui sourirait à nouveau…

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Le loup brun avança longtemps dans ce tunnel, flairant le sol, les parois, quêtant un effluve qui aurait pu lui redonner espoir, lui signifier qu’il était sur la bonne voie, mais rien ne se présentait sous sa truffe attentive. Il emprunta un conduit, puis un autre, et encore un autre, sans jamais rien trouvé. Il s’était trop éloigné de la voie principale de métro, qui lui avait été bien plus fructueuse. Mais la peur des Hommes courait encore dans son ventre, et il préféra s’escrimer à chercher une proie dans ces chemins tortueux. Cependant, malgré tous ses efforts, il ne parvenait à rien débusquer. Il marcha longtemps dans le noir, tous ses sens en alerte, les muscles crispés et l’œil en éveil. Rien. Le poids de la frustration pesait de plus en plus lourd dans son âme. La prochaine proie qui lui tombait sous la dent - s'il y en avait une - il ne la laisserait pas s'échapper, c'était assuré. La roue semblait avoir, une fois de plus, tourné en sa défaveur.