F.18 | A.26 | E.18

Il fallait bien s'y remettre, tôt ou tard. Palladium était sorti de la douceur du sommeil pour se remettre en chasse. L’envie n’était pas aussi présente que d’ordinaire, mais il espérait qu’elle reviendrait une fois sur le terrain. Ce terrain, il l’avait choisi méticuleusement. Il avait tout d’abord exploré la Grotte des Ombres, mais sa noirceur étouffante et ses coulées de lave l’avaient bien vite dissuadé de chasser dans cette partie des souterrains. Les chemins d’aération commençaient à faiblir sous les coulées des Larmes de Foudre, il n’avait donc même pas posé une patte là-bas.
Il s’était donc retrouvé là, sachant parfaitement ce lieu infesté d’humains. Mais la largeur des boyaux, et l’air plus moins décrépi qu’ailleurs qui s’y trouvait l’avaient convaincu que ce pouvait être un lieu regorgeant de nourriture. Et après tout, n’avait-il déjà pas berné quelques humains ? Il était tout à fait capable de se dissimuler dans la pénombre, ces derniers n’y voyaient pas plus loin que le bout de leur nez, une fois dans le noir. Sinon, pourquoi vouloir allumer des feux à tout bout de champ ?

F.18 | A.26 | E.18

Il errait donc, en quête de sa future proie, furetant à droite à gauche, reniflant la moindre crevasse, le moindre trou où quelque chose aurait pu se terrer. Il marchait sans bruit entre les rails du métro, sur le qui-vive, sursautant au moindre craquement, à la moindre goutte d’eau qui s’écrasait sur le fer rouillé. Ses muscles étaient crispés, il était craintif et attentif à tout ce qui l’entourait. Rien ne pouvait le déconcentrer – chose rare ! – lui qui pourtant était de nature assez évasive. Il marcha longtemps dans ce labyrinthe, tournant dans les rames comme une âme en peine, se laissant errer sans savoir réellement où il allait. Peu importait, il suffisait juste de chercher de la nourriture. Il retrouverait bien son chemin tout seul, il ne s’était que rarement perdu. Son instinct lui permettait toujours de retrouver sa route, et il s’était toujours fait la réflexion que dame Nature avait décidément bien conçu ses fils loups. Mais rien ne daignait montrer le bout de son nez. La frustration commençait à envelopper Palladium de ses bras douteux. Il commençait déjà à perdre patience, et également son attention se relâchait plus il avançait. C’est sans doute pour cela qu’il fut surpris par les éclats de voix qui provenaient de derrière lui. Il s’arrêta net et se retourna, le cœur battant, les oreilles dressées. Avait-il rêvé ?

F.18 | A.26 | E.18

Tous ses sens avaient beau être en éveil, il ne décelait aucune présence humaine, bien que les éclats de voix l'aient perturbé au plus haut point. Serait-il victime, à son tour, d'hallucinations auditives? Palladium mit cela sur le compte de la fatigue, du stress, peu importait tant que l'excuse lui semblait valable. Inutile de s'inquiéter, ces boyaux étaient déserts.. Tant et si bien déserts que les proies semblaient ne même plus exister dans ce lieu. Cette absence récurrente de nourriture aurait peut-être dû l'inquiéter - peut-être ces proies fuyaient-elles quelque chose - mais il écarta cette pensée de son crâne, c'eût représenté une crainte à additionner à sa tension habituelle, et il n'en voulait pas. Il poursuivit donc ses recherches, silencieusement, marchant tout contre les murs et, par précaution bien qu'il n'y ai pas lieu d'en prendre, avait bifurqué dans un boyau plus étroit et plus sombre, quittant l'axe principal des rames de métro. On n'est jamais trop prudent.

F.18 | A.26 | E.18

Il s’était donc engagé dans ce boyau sombre, bien plus humide que les autres, non sans esquisser une moue répugnée. Mais avait-il le choix ? Il traversa plusieurs intersections, toujours en quête d’une proie, tourna à divers embranchements, traversa plusieurs nids de feux éteints. Ces rames étaient en réalité un véritable labyrinthe ! Et c’est à l’intersection suivante que la proie et le prédateur furent surpris, l’un comme l’autre. Le raton laveur le contempla avec de grands yeux ébahis, et le loup brun le regarda avec le même étonnement. Ils ne s’attendaient, ni l’un ni l’autre, à se tomber dessus de cette manière inopinée. Les deux animaux réagirent en même temps. Le raton laveur fit un prompt demi-tour, fuyant dans un conduit obscur qui semblait s’étendre sur des kilomètres. Le loup sauta par-dessus un enchevêtrement d’éboulis et se lança à sa poursuite. On ne tombait pas souvent sur des proies de cette taille, il ne fallait pas la laisser filer. Bien que visiblement maigre et affaibli, l’animal courait à vive allure dans le dédale, mais pas assez vite : Palladium gagnait du terrain. Il se rapprochait de sa proie avec une vélocité déconcertante et, pour une fois, il sentait serein. Il allait réussir. Le sombre conduit finit par déboucher sur la rame principale du métro, que le loup avait préféré contourner. Qu’importe, il était à présent obnubilé par sa chasse. Mais la proie n’avait pas dit son dernier mot : elle semblait connaître les lieux comme sa poche. Le raton laveur ralentit soudain, et le loup crût son affaire rondement menée. Encore quelques mètres, et le tour serait joué. Mais le petit animal se faufila entre deux lattes de bois, fuyant entre des caisses encastrées dans le mur. Palladium eût à peine le temps de ralentir pour éviter une collision douloureuse. Frustré, il émit un grondement sourd. Il n’abandonna pas, cependant. A l’aide de ses griffes, il tenta d’entamer le bois humide qui le séparait du raton laveur, sans succès. Pris dans la frénésie de l’action, il décida d’employer ses crocs à défaire cet abri de fortune. Il s’acharna tant et si bien sur le bois, ignorant la douleur qui élançait ses mâchoires, qu’un premier craquement vint saluer ses efforts. Le bois s’effritait sous ses dents, lentement mais sûrement, et le loup brun était de plus en plus euphorique. Il avait des champignons et des éclats de bois plein la gueule, mais peu importait : la victoire était proche. A l’intérieur de la cache, le raton laveur commençait à feuler, sentant le dénouement imminent. Enfin, toute la structure craqua et une planche céda entièrement. Palladium rua sa tête à l’intérieur, oubliant toute prudence. Un coup de griffe lui entailla le museau, lui rappelant que la précipitation n’est pas bon conseiller. Profitant de son effet, le raton laveur tenta une sortie mais le loup brun attrapa le fuyard en plein élan, et le tira hors de sa cachette. Un grognement joyeux lui échappa lorsque ses crocs s’enfoncèrent dans la gorge de l’animal.

F.18 | A.26 | E.18

Palladium s’étendit quelques instants sur le flanc, pour lécher ses plaies qui le piquaient légèrement. Cette saleté de raton laveur avait des dents fines et pointues qui faisaient des ravages, sans parler de ces petites griffes tranchantes qui s’étaient plantées avec une facilité déconcertante dans son museau. Il s’ébroua. Il était temps de se remettre en chasse, le garde-manger n’allait pas se remplir tout seul. Il se leva, attrapa le cadavre de sa proie encore chaude, et la dissimula entre les caisses où elle avait bien failli lui échapper. Il reviendrait la chercher là plus tard, rien ne pressait. Il regarda rapidement autour de lui pour analyser l’endroit et se souvenir de l’apparence des lieux.
Le Pantin sursauta au son de pas dans le couloir où il se trouvait. Encore ces stupides éclats de voix, aussi furtifs que la première fois. Son imagination lui jouait encore des tours, il ignora une fois de plus la crainte qui l’avait saisit et se dirigea en quelques bonds vers un second boyau où il espérait trouver sa pitance.

F.18 | A.26 | E.18

Le loup brun explorait depuis déjà quelques minutes le souterrain dans lequel il s’était engagé, sans rencontrer âme qui vive. Il furetait à droite, à gauche, espérant déceler la piste d’un quelconque animal qui aurait pu satisfaire son objectif de chasseur. C’est alors qu’à quelques mètres, il aperçut ce qu’il cherchait : un gros rat, qui semblait ne pas l’avoir vu, trottinait ça et là dans la pénombre, visiblement en quête de nourriture, lui aussi. Mangé ou être mangé. Palladium s’affaissa immédiatement sur ses pattes et progressa avec une lenteur infinie vers le rongeur, soignant avec précaution chacun de ses pas pour ne pas faire le moindre bruit. Il parvint à s’approcher du petit animal à moins de trois mètres lorsqu’il donna l’assaut. Il bondit en avant, mais l’animal avait visiblement d’excellents réflexes. Il fila entre les pattes du loup brun, sans demander son reste. Le prédateur se lança à sa poursuite sans perdre de temps, mais le rat avait visiblement une cachette puisqu’il plongea dans un trou placé quelques mètres plus loin. Mais la partie n’était pas perdue, Palladium n’avait pas dit son dernier mot. Il plongea donc son museau à la suite du rat et, voyant l’étroitesse de la cachette, commença à creuser frénétiquement la terre de ses pattes avant. Ses griffes retournaient la terre tant et si bien qu’au bout de quelques minutes, il se trouvait au milieu d’une immense trouée dans le sol, sans aucune trace de ce fichu rongeur.
C’est lorsqu’il le vit réapparaître à une centaine de mètres derrière lui qu’il comprit que le petit animal l’avait aisément semé. Bêtement, il avait pensé qu’il s’agissait là d’une simple cachette alors que le rongeur avait érigé tout un réseau de galeries pour se protéger des prédateurs. Trop malin pour le loup brun, qui resta immobile en voyant le rat lui fausser compagnie dans la pénombre.

F.18 | A.26 | E.18

Mais le Pantin, resté sur ses positions, crût pouvoir saisir une deuxième chance lorsqu’un second rat, encore plus gros que le premier, fusa d’un second trou, plus près de lui que le premier. Le loup s’élança à sa poursuite avec la frénésie du chasseur fraîchement frustré. Il galopait dans les couloirs, zigzaguant derrière sa proie qui tentait de le mettre en déroute, se servant de sa queue comme balancier pour ne pas perdre l’équilibre face à cette minuscule proie bien plus agile. Ils débouchèrent tous deux sur le chemin que Palladium avait quitté précédemment, ce dernier poursuivant à présent sa proie entre les rails du métro, sautant d’un côté, puis de l’autre, slalomant entre les éboulis tombés du plafond. Malgré les difficultés, il commençait à gagner du terrain et la course lui semblait plus facile que de coutume. L’exercice commençait à le forger physiquement. Il était presque assez proche du rat pour se permettre de bondir et de l’attraper, quand soudain, des éclats de voix se firent entendre, encore plus proches que tous ceux que Palladium avait pu entendre jusqu’alors. Instinctivement, il pila net, laissant s’enfuir sa proie, les oreilles aux aguets. Il fouilla du regard la pénombre, prêt à détaler au moindre humain qui montrerait le bout de son nez, mais il ne vit rien, et n’entendit plus rien. Etait-il possible que son imagination lui joue de tels tours ? Le doute commençait à s’installer dans l’esprit de Palladium, en même temps que la crainte. Il préféra, par précaution, rebrousser chemin pour s’éloigner de l’endroit où il y avait vraisemblablement des hommes.

F.18 | A.26 | E.18

Il restait là, ne sachant plus trop où aller, perdu dans les méandres de ses pensées qui lui dictaient à la fois de fuir, et de rester. Fuis, avant de te faire abattre par les Bipèdes. Reste, ce ne sont que des hallucinations dues à ton cerveau un peu trop embrumé ces derniers temps. Il repensa à Arawn, il repensa à ces vagues de souvenirs qui avaient bousculé son train-train quotidien. Il regrettait déjà le temps qu’il avait passé à se prélasser, insouciant, dans l’antre des Sekmets. Tout avait changé. Plus rien ne serait jamais plus pareil. Le Pantin secoua la tête, comme si ce mouvement pourrait lui permettre d’effacer ce flot continu et ininterrompu d’ondes négatives. Il s’élança dans le boyau qu’il avait commencé à emprunter, et en parcouru toute la distance d’une seule traite, le plus rapidement qu’il pouvait. Il s’arrêta à sa fin, regardant à droite à gauche dans la sorte de grotte sur laquelle il avait débouché. Il regarda autour de lui. La place était spacieuse, et quelques dalles lisses comme la surface d’une eau non troublée par les vents s’étalaient sous ses pattes griffues. Il semblait ne pas y avoir âme qui vive et, sans savoir pourquoi, cet endroit lui faisait froid dans le dos. Malgré le manque d’air, il retenait sa respiration pour ne pas avoir à faire trop de bruit. Sait-on jamais, à tout instant il pouvait passer du statut de prédateur à celui de proie.

F.18 | A.26 | E.18

Cette fois-ci, il n’avait pas rêvé, c’était certain. Un éclat de voix avait bien résonné sur l’asphalte de marbre, il n’était pas fou. Il était désormais persuadé que des Hommes étaient dans ces boyaux, comme lui. Le traquaient-ils ? La crainte hérissa la fourrure de Palladium. Une ombre glissa lentement le long d’une paroi et, instinctivement, le loup brun recula dans la pénombre. Il fallait se tirer de ce mauvais pas, fuir. Fuir, ou affronter ces bipèdes. La pensée de lui, loup effacé et discret, rapportant un Homme entier au garde-manger, fit soudain tapage dans son crâne. Ce serait tellement glorifiant… Mais ses pattes tétanisées et les battements sourds de son cœur contre ses tempes lui rappelèrent qu’il n’avait jamais eu l’étoffe d’un grand combattant, ni d’un héros. Il avait toujours laissé ce rôle prestigieux aux autres, ce n’était plus l’heure de changer sa personne. Il était couard, et il allait en profiter. Il fit brusquement demi-tour, pour s’enfoncer dans la noirceur protectrice du tunnel d’où il venait. Il trouverait de la nourriture ailleurs, mais loin de ces animaux dangereux et imprévisibles.