J'ai un an depuis peu. Et il n'y a pas à dire. Ce n'est pas la mouise. C'est même plutôt bien. Jamais, enfin de ma mémoire, le garde-manger n'a été aussi plein. Alors pourquoi suis-je là ? Simple balade en plein air. Non, je déconne. Enfin pas vraiment... À la Cave, on s'ennuie au plus haut point. Alors autant sortir et servir à quelque chose, non ?

Me revoilà sur ma piste fétiche. J'ai flairé une odeur de cerf, voilà quelques instants plus tôt, et directement je me suis entreprise de la suivre. À mesure que je m'avance entre les frondes, l'odeur s'intensifie et j'arrive à la cerner. Serait-ce une famille de cerfs ? Une biche, un cerf et un faon ?

Ce serait une telle bénédiction. Mais je ne peux pas me résoudre à y croire. Du moins pas pour l'instant. Les yeux plissés, je continue d'avancer sous l'air nocturne. Le ciel sombre est plein d'étoiles, les grillons chantent dans les fourrés. L’atmosphère est détendue. Le temps semble arrêté.

Et d'un coup, le temps reprend. Je viens de les voir. Ils broutent. Et si tôt la créature de légende, la créature sombre et carnivore de tous les mythes repère sa cible, qu'elle se précipite dessus. Le loup bondit. Et je suis ce loup. Je suis cette créature. Et je bondis.

Je saute en l'air et atterris à seulement une longueur de queue des cervidés. Un peu gauchement je le crains. Ma patte gauche se dérobe sous moi, et, lâchant un grognement - non pas de douleur, plutôt de frustration -, je me relève en secouant la tête.

Mes proies ont déjà détalé. Je crache en toisant mes pattes. Mon épaule saigne doucereusement, mais ce n'est pas non plus une énorme plaie. Je passe ma langue dessus, recrachant la poussière qui y est incrustée. Graah. Quelle déception.

Je vais devoir revoir mes sauts. 

J'incarne à nouveau la créature de légende et des mythes. Le loup. Loup-garou, loup pilleur, loup... Cette créature qui, autrefois, a du terroriser nombre d'hommes. Avouons que cette métaphore peut m'aider à me sentir mieux durant mes chasses. Non ?

La bête sillonne le sentier éclairé par la lueur de l'aube. Elle dresse la tête par moments, narines dilatées, oreilles en alerte. Elle a repérée quelque chose. Elle avance de nouveau. Et son manège se répète, encore, encore. Jusqu'à ce qu'enfin, elle voit sa cible...

Je les vois ! C'est à nouveau une famille entière de cervidés. Je ne vais pas les laisser passer. Pas une seconde fois. Hier ? Hier... C'était différent. Enfin, je sais que je dis ça pour me rassurer.

Le loup bondit. Il touche un cerf à l'arrière-train. Il beugle. Mais se relève. Et, courant vers sa famille, leur hurle de détaler dans leur langage, et quelques instants plus tard, les cervidés ont déjà quittés l'endroit.

Je peste. J'ai été trop confiante après avoir touché le mâle que je l'ai laissé filer. Griffant le sol, je me retourne et entreprends de retourner à la Cave Soufflée. Disons que la prochaine fois, je ne vais pas m'embêter à incarner la bête des légendes, parce qu'honnêtement, elle ne vaut rien du tout.