Il fait chaud. Et il neige. Paradoxal, vous trouvez-pas ? Les cendres tombent continuellement sur les collines, formant un épais tapis blanc-gris au sol. J'aurai tellement aimé que ce soit de la vraie neige. L'odeur de la neige est bien meilleure. Celle-ci a une odeur de brûlé. Rien de bon...

Je marche d'un pas lent en éventrant ce tapis de cendre. J'avance, oreilles dressées, aux aguets. Les cendres se collent à mon pelage qui ne ressemble plus qu'à des poils sombres et sales.
C'est l'heure de chasser aujourd'hui. Le tas de gibier baisse à vue d'œil et la famine nous guette, tapie, là, dans le noir. Je n'ai pas vraiment démontré de quoi j'étais capable dans ce domaine, alors c'est l'occasion ou jamais. Les autres pourront être fiers de moi !

Je lève la tête, guettant un signe, une odeur, un bruit. Aucune émotion ne me traverse, je suis devenue Personne. Je suis une louve en train de chasser dans les cendres. Je balaye le paysage du regard. Personne n'est en ces lieux. Je suis seule face à moi-même.

Un ciel gris. Et de la bruine. Me revoilà, collines escarpées. Cela fait un petit moment que je ne suis pas venu. Mais cette fois, je trouverais quelque chose ! La dernière fois, les proies semblaient s'êtres volatilisées.

J'arpente de nouveau l'herbe grasse et humide. Le paysage a bien changé. Les neiges brûlantes ont laissé place à des larmes du ciel. Une bénédiction. Je me souviens avoir regardé, depuis le seuil de la cave soufflée, les rafales de pluies fraîche balayer les cendres, comme si elles les chassaient. C'était... Magnifique.

Bon. Aujourd'hui donc, je suis de sortie. Et je compte bien ramener quelque chose ! Je me suis jurée de ne pas rentrer bredouille. J'avance, hésitante. Je secoue la tête discrètement, lève le museau. Je cille pour chasser les gouttes de pluie et continue d'avancer sous le rideau d'eau fin.

La chance n'est pas de mon côté. Voilà quelque dix minutes que je dois tourner en rond ici. Pff... Comment font les autres ? Ils ramènent toujours quelque chose ! Je VEUX me rendre utile. Je n'aime pas la famine. Je me dois de l'éradiquer. Et donc je dois continuer à avancer sous la pluie et trouver quelque chose pour nourrir les miens.

La peine et la honte, commencent à me faire tourner la tête et à ma nouer la gorge. Les autres m'ont vu quitter la cave soufflée. Quelle honte si je rentre sans rien... Et puis, je ne veux pas de soupçons. Je ne veux pas qu'on me regarde comme si j'étais une Sekmet au sein de ma propre meute. Pas comme celle qui sort en disant qu'elle va chasser alors qu'elle ne fait rien.

Soudain, les radars s'agitent. Je viens de repérer une odeur. J'inspire à fond. La bruine ne parviendra pas à me masquer les odeurs. Elle s'intensifie. J'accélère le pas. Je dois me rapprocher...
Oui, non ? Je crois reconnaître l'odeur. Mais je ne suis pas sûre.

J'avance de plus en plus à pas feutrés. Ma proie peut se trouver derrière n'importe quel taillis. Je refuse de la faire fuir. Mes dents se serrent, mon pouls s'accélère de pas en pas, à tel point que j'ai l'impression que ma poitrine est à la limite de l'implosion. Calme... Je respire, bien que doucement pour limiter le bruit, à fond pour me calmer.

Quand enfin je pense être apte à être discrète, je reprend mon avancée avec une marche un peu plus rapide. Je demeure lente dans mes mouvements. Je sens mes os grincer sous ma fourrure, mes muscles tendus, mon sang fait le tour, bouillant.

Là, je le repère. Un sanglier ! J'avais raison. J'avais reconnu l'odeur. J'en étais sûre et en voilà la preuve. Il fouille la terre, il est là, à quelques longueurs de queue devant. Un mauvais mouvement et il m'a en grappe et s'enfuit. Je le fixe, yeux ouverts tel un hibou. Je ne le quitte pas des yeux.

Les babines tremblantes, j'avance très lentement, posant chaque patte avec la délicatesse d'une brise. Je fais ainsi quelques pas. Il ne m'a pas vu. Toujours pas. J'avance encore. Et là. Une voix, celle de Kaïs, ou celle de Kora. Une voix en écho, une voix qui mêle les deux. Elle retentit dans ma tête. C'est un coup de feu, une détente, un signal.
« Vas-y ! »

Je l'entend aussi nettement que si elles étaient là, près de moi. Et n'obéissant qu'à mon instinct, je bondis d'un geste vif. Le sanglier crie et détale à toutes jambes, affolé. Mais je suis plus rapide. À peine s'est-il écarté que j’atterris, gueule ouverte, crocs saillants, sur le dos de l'animal. J'enfonce mes crocs dans sa chair. Le goût du sang emplit ma mâchoire, qui se serre plus fort encore.

Un cri . Un cri d'aide, d'espoir, et il soupire, puis retombe au sol. Je descends de son échine et m'écarte légèrement. Un sourire. JE L'AI EU ! Je contemple, pas peu fière, mon sanglier tout fraîchement tué. Une si grosse proie, tuée par moi, en temps de famine ! Voilà qui va faire des heureux. Et j'en suis la première.

Je suis sur une piste. J'en suis sûre. Voilà une heure que je serpente entre les collines à la suite d'une odeur. Et ce n'est pas rien. J'ai commencé par ne rien trouver, et j'ai ensuite raté une biche. Mais là... C'est une proie sûrement excellente car je suis sur sa piste depuis longtemps.

Je suis "indéconcentrable". Une explosion pourrait survenir, et bien moi, nada, je resterais sur ma piste. Et j'exagère à peine. C'est une effluve... De daim. Je pense. J'ai l'impression de m'en rapprocher. Oui. Je le rattrape.

Je ralentis l'allure, plisse les yeux. Là ! Je le vois ! C'est bien un daim. Je me félicite, enfin je nous félicite, moi, et mon museau... Il s'est arrêté. Il broute l'herbe aveuglement. Il est ridicule. Mais bientôt, il va être mien.

Je m'approche à pas feutrés. Comme à chaque fois, mon pouls s'accèlère tandis que ma respiration ralentit. Un pas. Deux pas. Et je bondis. Je m'élance à la suite du daim. Il est immense ! Je le poursuis à pleine vitesse, me demandant comment je vais réussir à le tuer.

Soudain il trébuche dans un beuglement sourd. J'en profite pour lui sauter à la gorge. Mes mâchoires se referment sur sa nuque. Il se débat, mais j'ai réussi à le coincer sous mes pattes. Toute cette attente a porté ses fruits ! Bientôt, il cesse de se débattre.

Je me décale de quelques pas, fière comme à chaque fois. Je le renifle, prend une petite bouchée d'une patte très peu en évidence puis l'attrape par la nuque. La suite... Vous la connaissez.

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