Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Troisième jour depuis la libération. Tu ne pouvais plus continuer comme ça, Jasper. Ton instinct te pousse vers les terres neuves, où tu décides de passer à l'action. Il faut que tu chasses quelque chose, que tu parviennes à attraper ne serait-ce qu'un petit animal. Pour éviter la famine, et surtout, la mort.
Au cœur des tourbières, ton odorat, aussi faible qu'il puisse être, détecte de drôles d'odeurs dans les environs. Sous la terre boueuse, les marais et ces litres d'eau sale et terreuse, tes pattes se piègent parfois dans quelques algues et petits végétaux aquatiques. Tu tentes cependant de t'en extirper tant bien que mal en tirant sur tes membres antérieurs. La boue s'agglutine alors sur ton pelage brun, collante, parasite. Tu réussis cependant à te sortir de ce piège et rejoindre un petit endroit où le sol est sec et plat. Tu t'ébroues, et relève la tête avec un peu de mal. Il faut que tu reprennes des forces, et vite. Tes jambes peinent à rester debout et ton corps, fébrile, tremble de froid. Jasper, il te reste encore un peu d'énergie pour trouver à manger. Lors de ta rencontre avec Freki, la louve t'avait rapidement expliqué comment traquer une proie et le chasser. Mais tu sais que ce n'est pas facile et qu'il faudra du temps avant de réussir à attraper ton premier mulot. Mais aujourd'hui, tu es déterminé ; et tu te mets très rapidement à chercher la trace d'un animal. Tu étais autrefois très bon pour dégoter les meilleures débris métalliques des mines ; il doit te rester encore un peu de place pour trouver ces rongeurs. Tu renifles le sol, comme à ton habitude. Tu cherches comme un pauvre cabot en remuant la terre sous tes pattes. Soudain, l'odeur s’amplifie. Elle arrive, forte, jusqu'au creux de tes narines. Les effluves se dirigent vers un petit passage dans la boue ; tu décides de t'y rendre, en trottinant, imprudent. L'odeur de l'animal devient plus forte, tu t'en rapproches. Soudainement, tu sursautes. Tu découvres, sous tes pattes, des crottes de rongeurs sur lesquelles tu venais de marcher. Tu fixes alors l'horizon, et la découvre, cachée dans la boue. La souris blanche devient brune, boueuse et recouverte de cette substance collante. Tu prends appui sur tes postérieurs, ancre tes pattes dans le sol terreux et boueux. Tu ne sais as comment t'y prendre mais, Jasper, tu décides finalement de laisser ton instinct prendre le dessus. Tu t'élances comme un boulet de canon à travers les tourbières et te diriges vers ta proie. Tes jambes s'enfoncent dans la boue, tu peines à garder une vitesse constante. Cependant, tu parviens à t'en extirper en faisant quelques bonds, et à prendre de la vitesse. Tu poursuis ta proie en bondissant, filant comme une flèche et claquant des mâchoires dans le vide, ne sachant comment t'y prendre. Tu dérapes, tombe et te retrouve dans nez dans la boue. Ton corps entier en est à présent recouvert, mais tu te relèves et ne perds pas espoir. Écho du Néant, parviendras-tu à attraper ta proie ? Tu fronces les sourcils, mais continues ta course. Tu fléchis les jambes, bondis une seconde fois et prends encore plus de vitesse. Il te faut cette souris ! Il te la faut, à tout prix. Tu cavales, cavales, galope et vire sur la gauche, esquivant les algues visqueuses qui pourraient te faire glisser. Tu bondis par dessus les souches d'arbres enfoncées dans la vase et sautant par dessus, déploie tes membres et étire tout ton corps. Tu passes maintenant en vitesse de pointe, et continue sur ta lancée. Tu arrives à bonne distance et décide de fléchir les postérieurs pour sauter vers l'avant et retomber sur ta proie. C'est ce que ton instinct te disait de faire ; c'est ce que tu fais alors. Jasper, tu parviens à retomber sur ta proie et à lui mordre l'abdomen. Elle décède, à ta plus grande surprise. C'était ta première proie.
Tu retournes la terre sous tes pattes, fouinant le sol avec intérêt. Tu ne perçois pas toutes les odeurs mais, tu parviens tout de même à identifier celle d'un animal aquatique. Bizarrement, même sous la boue, quelques rares poissons et batraciens réussissaient à survivre sous la vase et la fine couche d'eau qui enveloppait les tourbières. Quelques flaques, parfois, aussi grandes qu'un petit étang, résistaient à la sécheresse et la chaleur accablante. Le soleil tapait ; mais tu sentais que les lapins rôdaient dans le coin. Tu fais alors preuve d'un immense courage pour t'aventurer dans les tourbières la vue à moitié altérée. Tu perçois l'odeur d'un lagomorphe, mais tu ne sais pas où le petit animal se trouve. Tu décides alors de fouiner dans le sol, te mettant de la tourbe sur tout le visage. Éternuant plusieurs fois, tu rencontres énormément de difficultés à traquer ta proie, qui ne laissant plus d'odeur, se dissimula dans les fourrés. Tu le vois, il est là ! Tu prends alors tes jambes à ton cou et te lances dans une course folle ; tes pattes chauffent, tu prends de l'élan ; encore, encore ! Tu ne t'arrêtes jamais. Tu souffres de ta patte gauche à force de courir dans les tourbières, mais décides de continuer, coûte que coûte. Jasper, tu finis par faire quelques bonds pour te dégager de la vase. Ta proie s'enfuis mais tu la suis à la trace, bondissant toujours et encore plus loin. u accélères encore, jusqu'à pouvoir atteindre ta vitesse de pointe. Jeune loup, continue comme ça. Tu y es presque ! Mais le lièvre s'enfonce dans les fourrés et tu tardes trop, Echo du Néant ; dépêche-toi ! Sorti de la boue, tu atteins la terre ferme en prends plus de vitesse. Tu t'élances à travers les fourrés en suivant ta proie, bien que cela soit une tâche assez compliqué pour un loup à moitié aveugle comme toi. Martelant le sol de tes pattes arrières, tu frappes la terre et pousse sur tes arrières, bondissant encore et encore plus loin. Mais le lapin, plus rapide, réussis à rentrer dans un de ces terriers secrets. Tu t'arrêtes devant, u dernier moment, et faillis l'attraper ; mais la proie s'enfonce plus loin sous terre. Tu grattes le sol, mais il t'est impossible d'y entrer. Mince !
Tu as bien progressé. Tu sais comment traquer ta proie, sans te faire repérer ... Du moins tu y arrives progressivement. Jasper, il est tant de t'attaquer aux rongeurs de petite taille. Mulots, souris, rats, il doit y en avoir pas mal par là. Tu te diriges vers le cœur des tourbières, tous les sens en éveil. Il te faut du courage, et de la volonté ; mais pas de panique ! C'est ce dont tu fais preuve chaque jour pour trouver cette "bonne bouffe".
Tu renifles le sol en grattant la tourbe, pataugeant dans cette vase visqueuse. C'est tellement désagréable que tu peines à avancer ; tu tires une tête de dégoût, malgré cette volonté de chasser. Mais il ne faut pas reculer voyons, Jasper ! La récompense t'attends derrière le terrain vaseux, la clé de la réussite. En effet, les petits grouillements arrivent jusqu'à tes oreilles ; non loin de toi. Situé près des bosquets, les rongeurs se chamaillent entre eux, inconsistants.
Finalement, tu réussis à sortir des tourbières. Ton odeur étant masquée par la boue, tu réussis à te frayer un chemin parmi les feuillages épineux pour arriver à bonne distance de ta proie. Tu repères un gros mulot, et décides de te mettre en chasse.
Tu bandes tes muscles au maximum, et, attends le bon moment. Quand soudain, bam ! Tu sors de ta cachette, et te rues sur ta proie en un éclair. Tu bondis par dessus ton buisson épineux avant de prendre de la vitesse ; la proie s'échappe mais tu la prends en chasse. Tous deux vous dirigez vers les tourbières, mais la proie décida de longer la partie boueuse, et privilégie un sol plus dur et plus ferme. Tu cours, encore et encore plus vite, avant de bondir sur ta proie. Mince, raté ! Encore un essai ; tes jambes brûlent, mais qu'importe ! Il te faut absolument attraper ce mulot. Martelant le sol de tes postérieurs, tu prends un élan fulgurant avant de te propulser vers l'avant, élançant tout ton corps.
Hop, retour au terrier ! C'était quoi ça ? En une seconde, le mulot trouva une issue et se faufila dans un trou qui l'emmenait sous terre. Quelle blague ! Proie perdue, certes, mais il y en avait d'autres là-bas !
Tu as réussi à attraper ta première proie. Il y a eu des échecs certes, mais ce lapin t'a redonné beaucoup de forces. Tu n'as connu que les restes de poulets des hommes, les raclures d'os et tout ce qui restait de leurs repas que l'on jetait aux chiens. Tu prendras du poids si tu continues à trouver ta nourriture tout seul, et cela te permettra de chasser de nouvelles choses, bien que tu ne saches pas réellement comment t'y prendre. Jasper, tu fais alors appelle à ton instinct cette fois encore. Le peu d'odorat qui te reste te permet cependant de trouver la trace d'un autre lapin. Tu avais reconnu l'odeur du premier, et avait maintenant réussi à enregistrer cette trace olfactive dans ta petite tête. Tu suis alors cette piste, le museau contre terre, et suis le chemin qui te mène jusqu'aux fond des tourbières. Tes pattes s'enfoncent dans la vase, mais qu'importe, cela ne semble pas te déranger plus que ça. Chien-loup, tu avances, déterminé, tu essayes de te faire confiance. Tu te répètes sans cesse ces quelques mots sur le chemin. Je crois en moi. Je vais y arriver. Jusqu'à ce que la petite silhouette se dessine. Tu relèves la tête, et ne fais aucun bruit. Tu te dis alors que si tu fais un faux mouvement, ta nourriture prendra ses jambes à son cou et s'enfuira à travers les tourbières. Tu te déplaces sans faire attention à l'emplacement du vent ; tu ne connais pas grand chose des techniques de chasse mais décide de faire confiance à ce que tu savais déjà sur la nature ; mais tu n'y connaissais rien. Tu avances vers le lapin la queue battante, ne prenant même pas la peine de te dissimuler dans la boue. Le lagomorphe, alerté par ton odeur, relève alors la tête. Bam. Cours, Jasper ! Ta proie s'échappe, tu t'empresse de partir derrière elle en frappant le sol des tes postérieurs. Tu tentes tant bien que mal de te défaire de la boue qui t'emprisonnes parfois les pattes et ralentis tes mouvements. Mais en poussant assez sur tes postérieurs, tu parviens à bondir hors de la vase et à t'élancer dans une course-poursuite. Prenant ses pattes à son cou, le jeune lapin cherche désespérément un endroit où se réfugier. Tu cours sans t'arrêter et ne cesse d'accélérer à chaque foulée. Tu bondis, prenant appui sur tes pattes arrières et décollant du sol, allant un peu plus loin à chaque bond. Tu deviens alors de plus en plus rapide et décide d'accélérer la cadence. Tes muscles se bandent alors et c'est dans un incroyable élan que tu parviens à atteindre ta vitesse de pointe. La nourriture que tu avais ingéré t'avait donné énormément de forces et tu le ressens ; maintenant, tu te fixes sur ton objectif. Tu étires tes pattes vers l'avant, élargissant tes foulées et passant par dessus un tas d'algue qui te ferai certainement glisser dans ta course. Tu pousses alors sur tes jambes, fléchis les membres de ton corps et donne une impulsion dans le sol. Tu rejoins un bout de terre ferme qui te permet de prendre encore plus de vitesse et de rejoindre la petite proie. Instinctivement, tu te jettes sur elle et l'attrapa par la nuque. Tu resserres ta prise maladroitement mais réussis à la tuer en hésitant parfois. Il te faudrait de nombreux essais avant de pouvoir enfin tuer sans avoir peur. Ôter une vie n'était pas rien, mais pour un loup, il était normal de se nourrir. Il faut survivre, Jasper. C'est la loi de la nature.