Je me trouve au milieu des montagnes marquant la frontière très nette entre la route que j'avais emprunté lors de l'exode pour fuir le fléau ayant englouti les terres du sud en compagnie d'une demi douzaine d'autres solitaires, ultimes survivants d'une espèce en voie d'extinction. Les loups effectivement mais également les solitaires. Si en temps normal ce mode de vie n'était pas très répandu parmi les nôtres. Apanage des parias, bannis, incompris, individualistes, aventuriers ou des assoiffés de liberté pure il semblait encore moins populaire dans le monde hostile et dangereux qui voyait naître et grandir de nouvelles générations de canidés sauvages. L'union faisait la force dans un monde comme le notre. C'était un fait inéluctable. Les meutes avaient des chances infiniment plus élevés de s'en sortir que les ronins, renégats, mercenaires, fils et filles de ce mode de vie ou tout autre loup qui avançait seul malgré les dangers. Devenir solitaire n'avait pas été un choix dans mon cas mais le destin unique maître de nos vies insignifiantes à ces yeux, cruel décideur à la volonté néfaste avait décidé de décimer ma meute des griffes des deux pattes. Quels choix me restaient ils ? Rejoindre une autre meute serait comme de trahir la mémoire des miens et de ces loups et louves dont j'étais devenu le général peu avant la fin atroce mais digne des guerriers que connurent les enfants de l'Ambre. Peu avant que la mort ne s'abatte telle une chape de plomb sur la vingtaine de loups et de louves, de louveteaux et d'anciens.
Je ne pouvais même pas le concevoir. Qui plus est je m'étais aisément fait à la vie de solitaire, de vagabond et ne la regrettais absolument pas. Devais je remercier le sang de mercenaire coulant dans mes veines pour cela ? Ou simplement mon amour de la liberté, mon sens de la débrouillardise, mon pragmatisme lucide et ma fierté féroce de ne survivre que par mes propres moyens et de ne rien devoir à personne ? Très bon débat que celui ci mais dont la réponse n'a strictement aucune importance. Seuls les faits comptaient. J'aimais cette vie. Elle était dure, dangereuse, compliquée mais bon sang ce que je l'aimais. Ne recevoir d'ordres de personne à part soi même. Faire ce que l'on désire. Être un rôdeur me convenait parfaitement. Je pouvais toujours me mettre à vendre mes services lorsque les temps deviendraient trop durs. Et embrasser la même carrière que Silex seulement lorsque je le décidais. Ou même fonder un petit groupe de solitaires qui se soutiendraient et entraideraient. L'avenir était loin pour le moment et les problèmes également. J'avais suffisamment chassé, m'étais aménagé plusieurs tanières, entraîné et fait quelques rencontres intéressantes. Mon installation s'était bien passée et avait été bien remplie. Pourtant j'avais choisi une nouvelle fois de revenir ici dans ces somptueuses et silencieuses géantes de roches et de brumes. Parce que je m'y sentais particulièrement bien. Nul nostalgie de l'exode dans mon esprit. Cette épreuve m'avait rendu plus fort point à la ligne. Non, c'était le calme solennel de ces monts et sommets qui me plaisait tant. Chaque fois que j'y venais, je me sentais minuscule et gagnais en humilité moi qui avais un ego assez conséquent principalement en raison de mon histoire personnelle. Arpentant les lieux d'un pas mesuré mais nonchalant je vadrouille dans la zone sans but réel. Profitant pleinement du paysage tout en planifiant mentalement mes prochaines séances d’entraînement, je me fige tous les sens aux aguets lorsqu'un fourmillement attire mon attention vers un buisson épineux tout proche.
Je penche les oreilles dans la direction et laisse mon ouïe faire son travail et me confirmer la présence d'une proie. Avant de faire le moindre mouvement, je laisse mon museau humer les alentours afin de vérifier. Mon odorat me confirme qu'il y a bien un rongeur là dessous. Un lièvre pour être exact. Un lièvre à l'effluve délicieusement alléchante. Faisant claquer ma langue sur mes crocs, je m'approche en position du chasseur de la position de l'herbivore devenu proie. Mais au moment ou je m’apprête à essayer de le faire sortir de sa cachette le lièvre jaillit des fourrées comme oiseau de son nid et détale à toute allure devant mon museau. Bandant mes muscles, je pousse sur mes pattes arrières brusquement afin de donner impulsion à ma masse corporelle. Je m'élance à la suite de ma proie du jour avec un entrain bien réel. Cours le lièvre tu finiras mort et entre mes crocs. Je te le garantis. Je galope à toute allure à la suite du petit animal à la vélocité impressionnante. Je bondis par dessus un rocher se dressant sur ma route ou plutôt sur ma piste puis au dessus d'un tronc sur la même trajectoire. Je garde le regard résolument fixé sur le petit rongeur qui traverse les sentiers avec une habilité me forçant à l'imiter. Je galope à toute allure dans la vallée bordant l’immense montagne se détachant sur l'horizon. Si le galopin tente de se faire la malle en altitude je vais devoir faire attention à là ou je pose les pattes ce qui signerait probablement la fin de ma traque acharnée.
Le lièvre connaît d'ailleurs probablement mieux ces terres que moi. J'ai donc un désavantage certain. Pourtant, je redouble d'effort et augmente encore la cadence tout en gravissant une pente au triple galop. Seulement le terrain escarpée et la montée m'épuise plus rapidement et je suis contraint de ralentir quand le rongeur continue de foncer à toute allure. Je ralentis peu à peu lorsque je le vois se jeter dans un terrier. Bah, bien joué le casse croûte. Je salue l'effort de survivant mais abandonne vite la déception car une autre odeur attire bien vite mon attention.
Je me remémore l'effluve désagréable de l'essence et de la ferraille des monstres de fer bipèdes. Quelle puanteur. Une effluve de deux pattes flotte également dans l'air frais de la montagne. Intrigué je m'ébroue et abandonne le lièvre à sa victoire salvatrice avant de me diriger vers la source de ces odeurs désagréables au petit trot. Tant pour récupérer que pour rester sur mes gardes. Mes muscles sont déjà au travail au cas ou je devrais fuir précipitamment la zone. Ma curiosité me pousse à presser le pas en remontant la piste mais la prudence m'impose de jeter des coups d’œil au quatre coins des environs comme si je redoutais qu'un autre monstre de fer ne déboule de nul part et me prenne soudainement en chasse. Je bondis de rochers en rochers et jette un coup d’œil en arrière. Si je veux m'éloigner de ce chemin dangereux que je suis en train d'emprunter c'est le moment ou jamais. Après, je serais trop proche pour faire demi tour. Je secoue la tète pour chasser mon appréhension. Tss.Je n'entends strictement rien. La montagne est aussi paisible qu'à l'accoutumée. Ces barbares de deux pattes font toujours un vacarme d'enfer habituellement. Pestant contre mon hésitation inhabituelle je reprends la route vers la trouvaille qui n'attend que moi.
Il faut bien me comprendre. La dernière fois que j'avais vu et eu affaire à des bipèdes. Ma meute avait été décimée par des bâtons de feu et des chiens rachitiques mais aux armatures de fer et bardés d'explosif. Alors oui, ma peur n'était pas franchement irraisonnable ou étonnante. Je connais mes limites et c'est ce qui fait ma force. Rien n'aurait pu arrêter les deux pattes de noir vêtus rompus à la destruction et au massacre. Alors me trouver de nouveau sur leur route me collait la fourrure sur l'échine et me donnait des frissons glacés. Mes muscles sont bandés sous ma fourrure d'ébène et mes crocs dévoilés lorsque j'atteins finalement ma destination mais je ne tarde pas à me relâcher lorsque je vois le monstre de fer de grande taille gisant à même le sol, tombé sur le coté. Je m'approche au trot en reniflant et humant l'air du coin afin de m'assurer que je suis bel et bien seul avec ce tas de ferraille mourant. Gisant tel un gigantesque prédateur blessé, n’attendant que de se faire achever. Je fais le tour du camion à une distance respectueuse en le toisant autant qu'en l'observant sous toutes les coutures. Je finis par m'approcher doucement du mastodonte renversé et sens une odeur de sang humain.
A travers la vitre brisée, je vois un sans fourrure dans une position improbable du sang coulant de son crane visiblement assommé ou mourant. Je me détourne bien vite. Je l'achèverais bien ou essaierais du moins de le faire mais il semble coincé et je ne voudrais pas lui donner une chance de s'en sortir pour s'en prendre à moi. Des effluves autrement plus alléchantes s'échappent de l'arrière du camion. Je renifle satisfait avant de bondir et grimper dans l'arrière du monstre de fer rempli de nourriture et de produits divers. Je me lèche les babines avant de m’asseoir tant bien que mal. J'ai déjà suffisamment chassé pour ce mois et comment pourrais je trimballer autant de ressources jusqu'à l'une de mes tanières sans attiser la curiosité d'un autre canidé. Mais laisser tant de choses ici serait du gâchis. Je repère une odeur plus prononcée que les autres qui me fait froncer du museau. De la pattée pour chiens. Mon visage s'éclaire d'une lueur victorieuse lorsque je décide de me rendre là ou j'avais senti et repéré des effluves canines peu après mon arrivée au cours d'une exploration. Les chiens se montreraient forcément intéressés par une telle cargaison. Commercer peut toujours se révéler utile surtout lorsque les temps deviendront difficiles. Pour autant j'hésite un instant. Aider les deux pattes non mais sérieusement après ce qu'ils avaient fait. Mais, je balaie ces réserves de la patte. La survie c'est la survie nom d'un blaireau puant. La nourriture n'a pas d'odeur. Le pragmatisme avant tout point à la ligne. On est tous amené à faire des choses qui nous déplaise, à nous salir les pattes à un moment ou un autre sans cela nous ne serions pas des survivants. Je bondis hors du camion et file à toute allure vers la ville morte. Tout en galopant, je repense à toutes les trouvailles que j'avais faite et qui gisaient inutiles dans l'une de mes tanières. Si ces débris pouvaient me rapporter des choses pourquoi m'en priver ? Hein. J'atteins finalement la ville morte une bonne heure plus tard et passe au pas lorsque je m'enfonce dans les ruines à ciel ouvert.
Mon museau m'indique que je ne suis plus très loin. Dans une ruelle sombre un bruit sourd de métal frappant le sol me pousse à me retourner et je vois deux molosses bloquer l'entrée de la ruelle par laquelle j'y avais pénétré. Un sourire en coin étire mes babines. Lorsque ma gueule se reporte sur l'avant je constate que deux autres molosses me bloquent la route. Belle tactique messieurs. Mais, je ne viens pas pour me faire déchiqueter. Ni même vous déchiqueter. Un cinquième molosse émerge de derrière les deux chiens de devant. Plus grand, le regard plus mauvais et les crocs plus aiguisés, je comprends que c'est le chef. Je m'approche de lui d'un pas nonchalant et assuré quand bien même je suis conscient de n'avoir aucune chance si un combat devait se déclarer. Je me fige devant le chef et m'assois face à lui. Je plonge mes yeux dans les siens avant de lui exposer en détail ma découverte dans la montagne et le chemin que j'avais emprunté. Un sourire étire lentement les babines du molosse et ce dernier adresse un signe de tète à ses congénères qui s'écartent des issues. Je fais volte face après avoir échangé un regard lourd de sens avec le chef des molosses et quitte les lieux de ce pas nonchalant qui me caractérise. Montrer une peur à un adversaire potentiel est le premier pas vers la mort. La guerre est avant tout psychologique. Pourquoi aurais je peur nous avons un deal.