Sombre. Triste. Errant sur ces terres qui se meurt peu à peu chaque jour. L’esprit vide, je marchais sans savoir où aller. Passant à côté de ces monstres de fer. Sillonnant ce monde qui n’était que ruine et désespoir. Je me retrouvais vers ce pont qui tenait à moitié debout. Des débris de véhicule jonchaient le sol. Je levais la truffe en l’air, reniflant toute les odeurs qui m’entouraient. La puanteur de la source de vie de ces bêtes d’acier était omniprésente. Je baissais mon nez, observant les alentours. Un petit lapin semblait s’être faufilé dans une de ses machines. Le parfum des monstres était tellement fort qu’elle cachait l’odeur des petits mammifères. C’était plus qu’intelligent de venir s’abriter ici, toute les odeurs sont cachées par la pestilence des véhicules. A force d’être mélangé à cette odeur, leur pelage prend le même parfum nauséabond, ce qui rend la traque plus difficile. Je devais donc me fier à ma vue. Par malheur, cette petite créature allait bientôt perdre la vie. Je l’arracherais à toute sa famille, comme ce meurtrier qui m’avait pris ma sœur.

Je m’approchais de la carcasse du grogneur avec toute la souplesse que je pouvais avoir. J’arrivais enfin au dessus du grogneur après avoir effectué plusieurs petits sauts. Plongeant la tête dans la carcasse inanimée du véhicule je cherchais du regard ma proie. L’intérieur était trop étroit pour que mon corps puisse entrer complétement. Avec mon museau j’essayais tant bien que mal de faire bouger les objets qui m’empêchaient d’accéder à mon butin du jour.

«Enchanté, je suis Reflet. Un apprenti guérisseur des Sekmets. Qu'est-ce qui t'amène dans le coin ?»

Je relevais le nez des décombres pour observer celui qui venait de m’adresser la parole. Un mâle avec un pelage aussi sombre que mes pensées les plus secrètes. Il avait un regard envoutant. Je descendais de mon support pour être à sa hauteur.

« Ravis de faire ta connaissance Reflet. Je suis Xilven, chasseuse des Sekmets. Je suis ici pour trouver des petits cœurs à détruire, et toi ? »

Mon regard s’était noyé dans le sien. Jamais je n’avais vu des yeux aussi mystérieux que les siens. Il m’intriguait. Non, c’était son regard qui m’hypnotisait.

Le noir semblait bouleversé par ma réponse. L’avais-je choqué ? Ses paroles étaient comme inaudibles. Ce regard d’azur… Tout disparaissait autour de moi, la puanteur des grogneurs ne pénétrait plus dans mes naseaux, le son de sa voix n’existait plus. Mon esprit avait effacé la présence du petit mammifère qui était encore caché dans la carcasse du monstre d’acier. Pourquoi cette voûte céleste me fascinait tant ? Il y avait quelque chose. Sans savoir pourquoi je continuais à le fixer.

Dans ses prunelles si mystérieuses, je la voyais. Refaisant surface dans mon âme. Ma moitié revenait d’entre les morts. Sa mort hantait mes nuits. Souffrance. Tout n’est que souffrance et désolation. Pourquoi n’arrivais-je pas à l’oublier ? Le cœur remplit de chagrin je fermais les yeux.

«Xilven ? Tu es sur que ça va ?»

Le souffle du mâle me sortit de mon passé. Le regard détourné de Temps Secrets. Je revins à la réalité. Toutes les odeurs reprenaient leur place. Et elle aussi, morte. Dévorées par les insectes.
Depuis ce jour j’aimais prendre la vie des autres, les voir souffrir était devenu une passion. Rêvant de retrouver celui qui avait pris ma moitié. Pouvais-je lui dire ? Avais-je le droit de me confier à lui ?

« Quand lui aussi sera dévoré par les insectes, j’irais bien plus que mieux. »

Etait-ce la meilleure des réponses ? Le regard toujours détourné, je lui avais expliqué le fond de ma pensée. Une erreur parmi tant d’autres sûrement. Il sauvait des vies, je lui avouais que mes crocs désiraient en prendre une. N’était-ce pas ironique ?

La vengeance. C’était ce qui m’aidait à me lever le matin. Parcourant chaque jours les terres qui nous entourent. L’espoir de le trouver. L’espoir de le tuer.

Même sans le regarder, je pouvais sentir que je l’avais blessé. J’en était consciente. Je ne pouvais pas redevenir celle que j’étais auparavant. Je ne pouvais plus revenir en arrière. C’était fini. Je m’étais acceptée. Je voulais m’excuser, lui dire que j’étais désolée. Les mots ne sortaient pas de ma gueule, rien ne sortait à part le mot « vengeance ». Ce n’était pas une vie. Je ne le savais que trop bien. Comment renoncer ? Je ne pouvais la laisser moisir sans l’avoir vengée. Des paroles tranchantes, un ton froid, sans cœur. Il devait se sentir mal après ma façon de lui avoir répondu. Il était trop tard pour s’excuser. Je ne cherchais pas à lui faire du mal. Au contraire, je voulais en blesser qu’un seul, et ce n’était pas lui.

«Quand lui aussi sera dévoré par les insectes, tu iras plus que mal.»

A ses paroles, je levais brusquement la tête. Croisant son regard envoutant. Pourquoi cela ne m’étonnais en aucun cas ? Il avait raison. Mais je refusais de l’admettre. Je ne voulais pas qu’on me prenne pour une faible. Que ferais-je après l’avoir tué, après l’avoir arraché de ses proches ? Etais-je un monstre ? Mes pensées tourbillonnaient dans ma tête. Je repensais à elle. Qu’aurait-elle fait à ma place ? Devais-je prendre la vie à mon tour ? C’était ce que je faisais à longueur de journée mais jamais je n’avais pris la vie d’un loup. En serais-je capable ? Pourquoi hésiter ? Pourquoi maintenant ?

Je baissais la tête, les oreilles en arrière. Perdue. Soumise à ses paroles. Ce mal me rongeait de l’intérieur. Depuis sa disparition j’étais détruite par mon chagrin. Je pensais qu’en la vengeant je serais débarrassée de cette peine qui me hante chaque seconde. Je devais être plus forte que tout ceci. Arrêter de vivre dans le passé, mais j’étais faible et j’avais peur d’avancer. Peur d’être seule jusqu’à la fin de ma vie. Depuis ma naissance, elle était à mes côtés. Jamais je n’étais seule, et aujourd’hui, j’étais perdue.

« Que dois-je faire pour retrouver le sourire ? Retrouver ma joie de vivre ? »

Je n’osais plus le regarder dans les yeux. Ma voix était faible. Mon cœur rempli de tristesse. Il avait raison. Tuer ne m’apportera pas le bonheur que je recherche. C’était une excuse que je m’étais inventée pour me donner la force et le courage d’aller au bout de mes actes.

J’écoutais le mâle. Sa voix était toujours douce et apaisante. Je lui faisais entièrement confiance, il était de la meute après tout. Ses paroles touchaient mon cœur. Je n’avais jamais pensé de cette façon. Voulais-je vraiment me faire pardonner ? J’avais honte de mon comportement. Je ne savais plus ce que je devais faire. J’étais prise entre deux choix.

«Ne courbe pas l'échine, tu vas te rendre minable et pitoyable. Redresse toi, tu vaux mieux que cela et tu le sais.»

Je relevais la tête tout en évitant son regard azuré. Il était remplit de sagesse et continuais à m’aider, malgré mes dires que je regrettais au plus profond de mon être. Je pouvais sentir dans sa voix, qu’il avait envi de venir au secours de mon passé. Me soutenir dans ce moment difficile pour moi. Chaque jour je sombrais un peu plus dans les ténèbres du temps révolu. Je désirais plus que tout la mort, mais en réalité j’étais incapable de satisfaire ce désir de vengeance. Il l’avait sûrement compris. Que des mots. Je ne savais que parler et non agir.

Sa question tournait en boucle dans ma tête, Mais la question c'est "te pardonner quoi ?". Je ne savais pas. Je ne pouvais pas répondre à cette question. Si. J’en étais capable, mais je ne désirais pas me souvenir de ce jour maudit. Je ne voulais pas me remémorer cet épisode qui m’avait traumatisé. Mais je n’avais pas le choix. Temps Secrets essayait d’apporter son aide. Je l’avais profondément blessé et en dépit de ce que je lui avais dit, il était passé outre mes paroles pour me venir en aide. Je ne pouvais pas continuer à être aussi insensible à son égard.

Je voulais m’ouvrir à lui. Lui dire tout ce que j’avais sur le cœur. Lui dire ce que je regrettais le plus. Mon regard croisa de nouveau le sien. J’acceptais de lui faire face et de me confier à lui.

« De ne pas l’avoir sauvé. Si j’étais restée avec elle, elle serait encore de ce monde. »

Etait-ce une illusion parmi tant d’autres ? Si durant notre chasse on était restées toutes les deux serait-elle encore de ce monde ? Ou serions-nous mortes toutes les deux ? Aurais-je pu réellement changer quelque chose ?

J’écoutais Temps Secret avec toute l’attention qu’il méritait. Plus rien n’avait d’importance à mes yeux à part celui qui m’avait arraché le cœur, mais ces paroles, eurent un effet que jamais je n’aurais crus possible. Tout ce qui nous entourait était devenu superflu, les pelotes de paille qui roulaient dans tout les sens ne faisaientt plus de bruit. La brise qui contournait chacun de nos poils pour rafraîchir nos corps brûlants ne me faisait plus d’effet. On était seul, sur cette terre qui se meurt à chaque seconde qui passe, l’un en face de l’autre au milieu des cadavres de fer. Mon regard sombrait dans ses yeux azur. Ses paroles me faisaient mal au cœur mais j’avais besoin de les entendre. Je ne le savais que trop bien que ma présence n’aurait rien changé à la situation, je refusais simplement de croire en cette possibilité. Ou bien alors c’était ce que je voulais. Mourir avec elle.

« Je n’avais jamais pensé ainsi, si la situation aurait été l’inverse, je n’aurais jamais voulu qu’elle face ce que je faisais depuis sa mort. Je n’ai pas réussi à honorer sa mémoire, mais j’espère qu’elle me pardonnera. »

J’acceptais cette triste réalité. Le sourire de Reflet me donnait de nouveau espoir en l’avenir. Tous ces rêves que je partageais avec ma sœur deviendront quand même réalité. C’était une promesse. Je désirais plus que tout qu’elle soit fière de moi et de mon futur. Ce ne sera pas facile pour moi d’oublier ma vengeance du jour au lendemain, mais grâce à notre guérisseur j’avais fait d’énorme progrès. La vie m’avait toujours tendu les pattes, je refusais simplement de les attraper, mais aujourd’hui, je me jetais à corps perdu dans sa lumière.

La peur avait disparu de mon cœur, cette douleur restera à jamais enfoui au fond de moi. Mes pulsions meurtrières s’estompaient devant le sourire de Temps Secret. Aujourd’hui était ma renaissance, je vivrais pour le bonheur et la survie de ma meute. Je rendais le sourire de Reflet, mon corps était plus léger qu’une plume, mes ténèbres disparaissaient peu à peu.

« Merci, jamais je ne pourrais te remercier suffisamment pour ce que tu viens de faire. »

Moi qui étais extrêmement fermée au début de notre rencontre, ce loup au pelage sombre ma aidé à quitter mes ténèbres, et il a réussi.