« Atom ... Tu ... Tu sens le lapin mort. »

Je me retiens de rire. Même sur le point de mourir il fait des blagues. C'est une des choses qui le différencie (encore) des autres. Il ne s’apitoie pas sur son sort, il avance, ... il fait des blagues. Il est un peu mon contraire dans un sens. Mais on dit bien que les contraires s'attirent, ça doit être pour ça que l'on s'entend si bien nous deux. Parce que nous sommes différentes, et la différence est une force. Il a su gérer cette différence, l'utiliser. Des fois mieux que d'autres il faut bien l'avouer, mais la plupart du temps il s'en est plutôt bien sorti ... La preuve il est toujours vivant ! Même s'il a plusieurs fois côtoyé la mort, à cause de diverses choses ... Mais là n'est pas le sujet.
Un dilemme se pose à moi. Rester la journée, et sûrement la nuit, avec lui, ici, ou alors le ramener au camp tant bien que mal ? Les deux ont leurs avantages tout comme leurs défauts. Le choix est difficile, je vous le dis ! Si je décide de rester ici avec Sageeth, son état peut autant empirer que s'arranger, mais aussi et surtout, nous ne serons ni protégé des humains ni des autres animaux sauvages sortant à la nuit tombée. Au contraire, si je décide de ramener Sageeth au camp, nous n'aurons pas à craindre les animaux sauvages, mais il devra fournir un énorme effort, et je ne sais pas s'il en sera capable. Je ne veux pas encore plus l'affaiblir qu'il ne l'est déjà ... Mais au moins, il sera au camp, en sécurité, avec un guérisseur pas trop loin (un con de guérisseur, soit dit en passant). Quoi qu'il en soit, je n'ai pas vraiment le choix au final. Sageeth doit rentrer au camp, coûte que coûte. Cela demandera beaucoup d'efforts au début, mais après il sera au calme et n'aura qu'à aller voir un guérisseur. Le plus dur sera alors passé, ce sera mieux. De toute manière il n'a pas son avis à donner. Même s'il ne veut pas je serais, pour une fois, capable de le forcer à faire ce que je veux. C'est une chose très rare avec lui ! Je vais devoir en profiter ... !
Je le laisse calmement manger son lapin tandis que je me couche près de lui. Son poil est sale, gras. De près, son état est encore plus pitoyable. Mais sale ou pas, je serais toujours là pour lui. Qu'il le veuille ou non d'ailleurs ! Parce que là on dirait pas, mais quand il veut pas, il veut pas le loustic ... Mais la plupart du temps, j'avoue ne rien en avoir à faire et à m'obstiner. Parfois je gagne, parfois je perds, c'est le vie. D'ailleurs, il n'y a qu'avec Sageeth que j'accepte la défaite. C'est une chose impossible à faire avec mes camarades lupin. Son lapin terminé, je me lève et commence à le pousser doucement avec le bout de mon museau.

« Allez debout vieux. Je te ramène au camp. »

Je n’entend qu'un léger grognement. Celui-ci était pour moi, tout ce qui suit, pour sa douleur qu'il tente vainement de me cacher. Je sais qu'il a mal, mais je n'y peux rien. Je ne me sens que plus mal à cause de ça, mais je sais que j'aurais été une bien piètre guérisseuse. J'aurais sûrement tué tous mes patients parce qu'ils m'emmerdaient ! Je le prend doucement par la peau du cou pour l'aider à se lever, puis me colle à lui pour qu'il s'appuie un maximum sur moi. Il est vraiment en mauvais était, et le pire, c'est que je ne peux rien faire pour atténuer sa douleur. Je me sens totalement inutile, et pour cause, je le suis.

Mon amie s'approche de moi, me déposant le lapin encore chaud devant le museau. Je la regarde un instant, plaçant mon regard dans le sien, et aussitôt je ressens une étincelle de réconfort. Maintenant Atom est là, je n'ai plus à m'en faire, ça va bien aller. Je le sais. Parce qu'à chaque fois qu'elle est là, tout va bien. C'est comme ça que vont les choses. Je pourrais même dire que la louve est mon Joker, puisque j'ai l'impression qu'à chaque fois que je me fourre dans une situation désespérée, elle apparaît comme par miracle au bon moment, pour me sortir du pétrin. Ou alors, peut-être est-elle mon ange gardien ? Quoi qu'il en soit, je lui dois bien plus que je ne pourrais jamais lui rendre ...

Et puis, tandis que je m'avance pour dévorer l'animal mort, déchiquetant sa chaire de mes crocs puissants, et goûtant le parfum exquis de la viande fraîche, Atom vient se blottir contre moi. La chaleur que dégage son corps souple m'envahit, et un instant, j'ai l'impression que la douleur n'est plus. Le soulagement arrive durant cet instant, je vais déjà beaucoup mieux. Je reprends des forces lentement. Je puise dans l'énergie apportée par le contacte de mon amie, et également dans celle du lapin que je suis en train de dévorer. Oh, il n'y en aura pas assez pour battre la maladie, c'est inconcevable. Mais au moins j'en aurai assez pour rejoindre le camp, j'en suis persuadé. J'espère seulement ne pas me tromper ...

Et à peine j'en ai fini avec le rongeur sans vie, dont il ne reste plus que les os nettoyés par mes coups de langue, Atom est déjà debout, en face de moi, soutenant mon regard. Je gémis légèrement de frustration face à la perte de contacte, mais la louve me toise du regard.

« Allez debout vieux. Je te ramène au camp. »

Ce n'est pas une question, encore moins une suggestion. C'est un ordre, clair net et précis, bref c'est Atom. Mais c'est ma sœur, et en tant que telle elle fait partie des deux personnes ayant le droit d'employer ce ton avec moi, la seconde étant mon Alpha. Et puis, elle a raison. Plus je reste ici, plus mon état va s'aggraver, et plus je vais reperdre mes forces fraîchement acquises.

Mais malgré l'énergie que j'ai quelque peu retrouvée, la douleur n'est toujours pas partie, ma tête tourne encore. Je sens un frisson me parcourir du bout de la queue à la truffe, et encore un gémissement plaintif m'échappe. Pourtant Dieu sait que je ne suis pas du genre à me plaindre ...

- Encore 5 minutes ...

Mais à peine ma réplique prend fin, dans un souffle misérable, je sens la mâchoire de la louve blanche venir se poser dans mon encolure, et bientôt me porter vers le haut. Alors à contre coeur, je ne résiste pourtant pas, et me relève sur mes 4 pattes, dont les tremblements semblent s'être estompés.

- Hum ... Mon ange gardien, je dis à voix basse à la louve, d'un air taquin. Peut-être est-ce pour la rassurer, lui montrer que je vais pas si mal que ça. Ou peut-être est-ce pour me rassurer moi, pour les mêmes raisons ? Ou tout simplement pour garder ce lien si particulier qui nous relie. A vrai dire, je ne sais pas du tout pourquoi je dis ça. C'est surtout un réflexe, un inconscient qui a refait surface avec la proximité d'Atom. Et avec cette remarque, je ne peux m'empêcher de souligner l'esquisse d'un sourire sur le coin de mes lèvres.

Mais enfin, lorsque je suis appuyé contre la femelle, et stable pour le moment, je reprends un air sérieux et sincère. Et finalement, c'est un "Merci" qui vient clôturer cet échange pratiquement silencieux. Merci d'être là. Merci de ne pas m'abandonner. Il n'y a pas besoin de beaucoup de mots pour exprimer ce genre de choses. C'est dans ces instants là que le coeur est le seul à parler.

Et dans un silence de mort, mais pourtant un climat d'adoration et de confiance, nous disparaissons dans les bois, à mon rythme, dans la visée d'atteindre notre camp au plus vite.