Moi qui me sentais seul et en marge de ma société, me voilà aux côtés du Bras Droit lui-même, avec deux autres membres de la meute pour trouver et abattre l'un de ces chiens de métal qui posent tant de soucis aux miens ces derniers temps. Si on m'avait dit que je ferais équipe avec Ebène, j'aurais probablement feinté une trop grande occupation ailleurs pour participer à la traque. Pas que je lui en veuille à lui particulièrement -quoi qu'il a quand même oublié ce pourquoi il se battait- mais que le Bras Droit en personne voit à quel point je me suis ramolli, j'aurais très certainement pu m'en passer. J'avance entre les bois, à ma gauche une jeune louve au pelage immaculé et à ma droite, nos deux autres compagnons du jour : Ebène et Leikn. Pas de chance pour cette dernière, elle aurait probablement préféré faire équipe avec deux autres louves de caractère, Anya et Djall, plutôt qu'avec deux mâles à sa tête. C'est que j'ai entendu des rumeurs, voyez-vous ? Je me concentre sur ma tâche, sur l'ampleur de la mission qui nous attend. Le sang pénètre mes narines pour s'y coller, j'ai presque l'impression d'avoir blessé l'animal moi-même tant l'odeur est forte. Une embuscade ? Ca ne m'étonnerait même pas de ces foutus clébards? Je serre les dents, jette un oeil à la jeune louve immaculée. Elle ne semble pas confiance, elle est même distraite. Il va falloir qu'elle se concentre davantage si elle veut rentrer au camp avec toutes ses pattes. Je trottine pour rattraper Ebène et me porte à ses côtés, le regard planté droit devant moi, sur la prairie qui se dessine. Les effluves qui réchappent de l'endroit ne laissent aucun doute sur ce qui s'y passe : notre proie est là-bas. Je chuchote, pour que ma voix ne nous fasse pas repérer par notre cible.

- Comment procédons-nous, Ebène ? Deux et deux pour encercler le trou ?

Ce qui est sûr, c'est qu'il faudra faire preuve d'un maximum de discrétion. Nous ignorons si l'animal est seul à l'intérieur, et s'il est accompagné, nous aurons du boulot. Alors que nous approchons du terrier de fortune, je roule des épaules et m'arrange pour que mes pas soient le plus léger possible. Il serait stupide de se faire repérer avant même d'être entrés.

C'est une morne journée qui défile. Nous voilà à quatre, errant sur les terres comme des âmes en peine et pourtant, nous avons un objectif précis : rapporter une armure de Hellhund à notre Leader. Je ne connais que trop peu les membres de ma propre meute, ayant été trop obnubilée ces derniers mois par la recherche frénétique de mes frères disparus. Pourtant, je sais que je peux avoir confiance en chacun des Navnik, et que même les moins expérimentés sauront se démarquer des autres pour protéger les leurs. Une meute n'est-elle pas une famille, dans le fond ? Peu importe d'où chacun vient, nous allons désormais tous dans la même direction. Nous marchons au pas derrière une Alpha digne et loyale, et chaque nouvelle épreuve que nous traversons nous renforce et nous rapproche les uns des autres. Un jour, peut-être, j'aurais moi aussi un loup aux côtés duquel marcher en cadence. Lorsque j'aurais retrouvé la trace de mon jumeau, c'est nos pelages emmêlés que nous avancerons et plus rien ne saura nous arrêter. Je suis derrière les deux mâles, trottant à bonne allure. Et si mes membres sont douloureux, si mes poumons manquent parfois d'air, je ne fais aucun commentaire et je suis leur démarche sans ciller. Je suis une Navnik, une Sentinelle. Je ne suis peut-être pas la plus puissante des miens, mais je suis malgré tout l'une des leurs et je ferais honneur à mes frères et soeurs de meute. Alors que nous arrivons sur les lieux, une odeur métallique nauséabonde me soulève le coeur. Je suis une bonne chasseuse, d'instinct, mais autant de sang me révulse malgré tout. J'ignore ce qui est arrivé à notre ennemi, mais il est certain qu'il n'est probablement pas en état de se battre. Espérons que le monstre soit disposé à mourir pour nous. Je marche derrière les miens sans prêter attention à la seconde louve qui me suit, et je suis quelque peu distraite par les environs. Pourtant je parviens à rester aussi discrète que possible, du moins pour l'heure, et je continue d'avancer jusqu'à voir mes supérieurs s'arrêter. Les équipes sont formées, je suivrais le Bras Droit où qu'il aille. Je ne suis pas certaine de comprendre l'ironie des paroles du loup sombre, mais je décide de passer outre et de me concentrer sur ma tâche. Déjà, le brun s'avance vers l'entrée de la tanière, suivi de près par ma comparse immaculée. Alors je m'approche en silence du Bras Droit et je lui lance un regard inquisiteur, attendant les ordres.

Je m'assure que Leikn est à mes côtés, et j'entre le premier dans la tanière maudite. Si l'animal est ici -et il y est forcément vu l'atroce odeur métallique- eh bien nous devrions le trouver rapidement. A condition bien sûr qu'il ne se soit pas amusé à étaler son sang partout pour déstabiliser les éventuels prédateurs. L'obscurité nous avale petit à petit, les uns après les autres, alors que l'extérieur semble disparaître doucement dans notre dos et que la faible lueur du jour est avalée par les parois sombres de l'antre au monstre. Je hume les effluves, et rapidement je comprends que l'animal blessé n'est pas seul. Je lance un coup d'oeil à Leikn, j'ignore si sa vue s'est habitué à l'obscurité et si elle peut voir mon visage, mais je sens que mes compagnons sentent eux aussi la présence de l'ennemi. Soudain, une branche craque derrière moi. Je me retourne vivement pour m'enquérir de la situation. La jeune louve blanche aurait-elle fauté avant même d'être entré ? Non, c'est mon Bras Droit lui-même qui vient d'écraser le bois mort dont l'écho se répercute entre les parois comme une menace sourde. Et bientôt, s'ensuivent des grondements légers, profonds, remontant des entrailles de la terre. Le danger est là, il rôde autour de nous, il nous menace de sa voix gutturale, et si je reste campé sur mes membres, si je parais fier et droit, la peur s'immisce en moi comme elle s'infiltre probablement en chacun de mes compagnons. Combien sont-ils à tenir compagnie à leur ami agonisant ? Devrons-nous nous battre ? Je lance un dernier regard à Ebène et à Shiro, leur souhaitant bonne chance d'un mouvement de tête, avant de m'enfoncer dans une première galerie, cherchant à savoir grâce à mon ouïe si Leikn me suit, et essayant de situer les chiens à l'aide de mon odorat lupin.

Je m'enfonce dans les boyaux suivi de près par la louve au tempérament de feu. Je m'apprête à lui parler d'un sujet anodin, comme pour détendre l'atmosphère, mais là dans un virage, un cadavre putride attire mon attention. Je pose un regard dégoûté sur l'animal et l'observe quelques secondes pour m'enquérir de la raison de sa mort. Une créature difforme, peut-être non viable ou alors tuée froidement par les bipèdes. Comment est-elle venue au monde, je l'ignore. Mais elle n'en fait déjà plus parti. Je continue d'avancer, guettant les odeurs qui, cette fois, ne sont pas celles de cadavres pourrissant. Je retient un grondement qui menace de s'échapper. Manquerait plus qu'on tombe dans un piège, nous ne pouvons nous le permettre. Je lance un regard à Leikn. Et toi, louve caractérielle, que penses-tu de notre situation ? Je me couche au sol soudainement, je crois avoir décelé une lueur dans l'obscurité, aussi je me méfie. Mon regard peine à s'accoutumer à la noirceur des lieux, et je manque d'inconscience pour me jeter si facilement dans la gueule des Enfers. Si ennemi il y a, nous l'attendrons ici. Je me colle à la paroi de gauche, espérant que la louve aura l'intelligence de se coller à celle de droite. Si la lueur devait se rapprocher, si un ennemi devait arriver, nous aurions alors l'occasion de lui tendre une embuscade sur son propre terrain, et nous gagnerons alors une belle longueur d'avance. De quoi augmenter nos maigres chances de survie. En espérant que le Bras Droit et la jeune Sentinelle auront également une quelconque forme de chance de leur côté.

PS : On fait quoi pour Ebène ?

Le ciel au-dessus de ma tête me semble empli d'orage, comme statique. L'atmosphère est lourde autour de nous et je crains que rien ne s'arrange à mesure que les secondes s'écoulent et que le Bras Droit reste stoïque. Je crois qu'il a l'intention de monter la garde là, devant l'antre des monstres, en attendant que nos compagnons appellent notre aide ou nous indiquent que la voie est libre. J'hésite longtemps, trépigne presque, impatiente, mais finalement je comprends qu'il ne bougera pas. Alors, enfreignant les ordres du plus haut gradé, je m'élance dans les tunnels à la recherche de mes compagnons. Je reste parfaitement silencieuse, me guidant à l'aide de mon odorat et suivant de près les odeurs posées sur les parois et le sol par Natan et Leikn. Tant pis pour les ordres, Ebène suivra s'il désire vraiment me ramener dehors, mais je ne resterais pas là à ne rien faire en attendant que les miens risquent leurs vies. Il me faut plusieurs minutes avant de rattraper mon retard sur eux, pourtant ils n'étaient pas partis avec beaucoup d'avance. Mais l'obscurité est profonde et les galeries nombreuses, alors je peine à retrouver leur trace. Soudain, me voilà plaquée au sol avec rudesse, et c'est avec une longueur de plusieurs secondes que je comprends enfin être sous la masse du Général. Ouf, je suis sauve ! Il me fait signe de ne pas faire le moindre bruit, et s'écarte de moi pour que je puisse aller me tapir derrière lui, contre la paroi, pour écouter à mon tour les sons. Les grondements sinistres et les bruits inquiétants qui résonnent dans les galeries.

Les deux louves blanches dans mon champ de vision, je reste immobile dans la pénombre et je guette les moindres bruits qui pourraient nous parvenir. Ebène, derrière, est sans doute parti de son côté pour explorer une autre partie des tunnels. A quatre ici, nous nous serions marché sur les pattes. Me voilà forcé de prendre les choses en pattes, et de diriger une louve sexiste et une jeune femelle inexpérimentée. Je me sens dépassé par les événements, mais je sais faire preuve de calme et j'ai appris à cacher mes inquiétudes à mon équipe. Sur mes gardes, je ne quitte pas Leikn des yeux alors qu'elle avance lentement vers les odeurs et les sons, et je me relève à l'instant où ses pattes chevauchent le cadavre. Je fais un léger signe de tête à Shiro pour lui intimer de me suivre, et nous voilà repartis pour la suite de cette aventure. Mais bientôt, si les effluves nauséabonds disparaissent peu à peu de notre proximité, les odeurs de chiens se font plus fortes et les grondements n'auront jamais été aussi menaçants, aussi proches. Je tique, fais un pas après l'autre comme si chacun d'eux pouvait me coûter la vie. Et c'est probablement le cas, en réalité. Encore quelques mètres dans l'obscurité avant que les cliquetis menaçants des armures désormais familières ne nous fassent quitter nos réflexions. Je dresse les oreilles et la tête, me fige dans la direction des sons. Il est là, tout près. Je sens son odeur, mais je l'entends marcher aussi. Pas si invalide que ça, finalement ... Serons-nous seulement assez forts pour nous emparer de son armure et surtout, pour sortir d'ici vivants ? Un plan, il nous faut un plan et vite. Je regarde l'animal une fraction de seconde, et je comprends. Pas une, mais deux armures. Deux dangers mortels, deux objectifs à cette mission suicide. Je plisse les yeux pour cerner chaque détail de la scène. L'un à terre, l'autre debout à faire les cent pas, je ne peux m'empêcher de croire que nous avons une chance. Leikn est une combattante puissante derrière son tempérament difficile, et si Shiro n'a aucune expérience de combat, elle est attentive et volontaire. Nous pouvons nous en sortir. Nous le devons.

Dans les tunnels, l'obscurité est telle que je ne sais jamais où poser mes pattes. Je préfère suivre Natan de très près, voire même lui coller au train pour être sûre de ne pas me perdre. Je n'ai aucune confiance en moi lorsque je suis en équipe, je suis peut-être trop portée sur le groupe ... Je respire silencieusement, inspire profondément et tente de faire le moins de bruit possible. J'ai l'impression que mon coeur battant fait tant de bruit que son tambour résonne entre les parois des galeries. Mais rien ne semble attirer l'attention de mes coéquipiers qui avancent avec un silence pareil au mien. Leikn est en avant, elle a décidé de faire presque bande à part ou de montrer qu'elle peut ne pas obéir à notre supérieur, je ne sais pas trop. Pour ma part, je préfère de loin attendre les ordres de Natan, il est plus expérimenté que moi et je ne saurais comment réagir en cas de problème. J'entends les soupires des chiens au loin, et je comprends rapidement qu'il n'y a pas que notre cible grièvement blessée. Si l'odeur de sang est puissante, celle de la vie est tout aussi présente et je sais que nous ne sommes pas seuls avec notre proie. Je retiens mon souffle alors que nous les apercevons enfin, et je me demande ce que nous pourrions bien faire pour parvenir à piéger l'animal encore debout. Et puis, Natan s'étire de tout son long et ses muscles se tendent. Je vois ses membres se contracter, son regard se figer sur l'animal et, après un bref mouvement de tête pour nous intimer d'attendre un peu, il bondit en avant en grondant sur un ton féroce. Je comprends vite qu'il veut détourner l'attention du chien quand je le vois le contourner sans pour autant l'attaquer de front, essayant de l'attirer pour le forcer à nous tourner le dos. Je lance un regard à Leikn, c'est elle qui me donnera le signal de départ, l'hésitation m'empêche de prendre l'initiative en première.