Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Alors qu'elle s’enfonçait de plus en plus profondément au cœur de la forêt, un bruit de pas l'alerta. Près des buissons ou elle se trouvait, elle sentit l'odeur de chiens ainsi que celle d'un humain qui devait se trouver un peu plus loin. Était-ce les mêmes qui l'avaient dérangée la première fois, avec les biches ? Sans doute. Cela n'avait pas spécialement d'importance. Il fallait qu'elle s'en aille d'ici avant d'être repérée.
Silencieuse, elle fit marche arrière, espérant que les chiens ne flaireraient pas sa trace. Dieu seul savait combien ils pouvaient être nombreux, sans parler de leurs humains, armés jusqu'aux dents. Ce n'était pas qu'elle avait peur, mais on l'avait cent fois avertie des dangers que ces derniers représentaient. Elle avait beau ne pas se considérer comme faible, elle ne devait pas non plus se montrer irréaliste. Comment lutter contre de tels êtres ?
Aujourd'hui serait son dernier jour de chasse, qu'elle soit fructueuse ou pas. Il fallait qu'elle quitte cet endroit, la présence humaine devenait trop dangereuse. En plus, la forêt commençait à devenir un terrain de chasse trop ennuyeux. Cela faisait plusieurs jours qu'elle était là et voir toujours la même chose commençait à la lasser.
Après s'être assurée qu'aucun chien ou humain de se trouvait dans les parages, elle était donc sortie à la recherche d'une proie. Son corps était parfaitement reposé. Elle avait bien dormi cette nuit. Véga entreprit de passer par la clairière centrale puis de remonter jusqu'au Nord, par ou elle quitterait ce territoire. Attentive, la louve commença à rechercher une proie.
Il ne lui fallut pas longtemps avant de tomber sur une proie, cette fois. Au centre de la clairière, un corbeau était en train de picorer le sol. Ce n'était pas une bête bien grasse mais ça ferait l'affaire. Véga longea discrètement le contour extérieur de la clairière, cherchant à prendre le volatile par surprise. Elle devait frapper vite si elle espérait en faire son repas, car en cas d'échec, elle ne pourrait évidemment pas en faire son repas.
Se plaquant au sol, la louve profita de l'absence de vent pour se couler doucement dans les hautes herbes. Le corbeau ne semblait pas avoir remarqué sa présence, trop occupé par ce qu'il était en train de trouver sur le sol. Véga s'arrêta à quelques mètres, armant ses crocs. Elle allait passer à l'attaque d'une minute à l'autre.
Une fois qu'elle se fut parfaitement positionnée, la louve se propulsa hors de sa cachette, tous crocs dehors. Malheureusement, son geste avait du être trop lent d'une ou deux secondes. Elle rata le corbeau de près, celui-ci s'étant envolé en piqué afin d'éviter ses mâchoires. Véga bondit le plus haut possible, mais cela ne suffit pas. Il était déjà dans le ciel. Elle retomba en lâchant un grognement. Comment avait t-elle pu rater ça ? Son regard fit le tour de la clairière. Peut être qu'une autre proie se trouvait dans le coin, une proie qui ne volait pas.
En poursuivant son chemin à travers la clairière, Véga aperçu la silhouette d'une nouvelle proie. C'était un lapin noir plutôt grassouillet. Elle était assez étonné, étant donné le bruit qu'elle venait de faire lors en tentant d'attraper le corbeau, mais l'animal semblait jeune et inexpérimenté. Sans doute ne s'était t-il douté de rien. Affairé à manger près d'un arbrisseau, ce dernier était situé dos à elle. C'était une opportunité en or si elle savait en tirer profit. Aussi discrète que tout à l’heure, la louve se rapprocha silencieusement de sa proie, ses pattes se posant à intervalles réguliers sur le sol humide. Elle devait prendre garde à ne pas faire de bruit en écrasant de la boue.
Une fois située à quelques centimètres de l'animal, Véga prit une profonde inspiration. Si tout se passait comme prévu, il n'aurait même pas le temps de s'enfuir. Ses crocs s'ouvrirent, elle fit encore un pas. Sa queue s'abaissa, elle banda ses muscles. Le lapin redressa la tête, mais elle ne lui laissa pas le temps de la tourner. Fondant brusquement sur son petit corps, la louve le plaqua au sol de ses mâchoires avant de l'y serrer. Il se débâtit en glapissant, marquant le sol de ses griffes, mais Véga ne cessa pas de le tenir. Elle mit un terme à son désespoir en refermant ses mâchoires d'un coup sec. Son cou craqua. Ses muscles se détendirent. Véga pouvait manger.