Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
La pluie n'avait pas cessé de tomber depuis des heures, gorgeant le sol d'eau jusqu’à le rendre boueux à bon nombre d'endroits. Elle venait tout juste de se calmer - ce qui ne s'était pas produit depuis des heures - lorsque Véga était finalement sortie de son abri.
Au dessus de sa tête, le ciel était d'un gris sombre et l'atmosphère lourde présageait de nouvelles averses. Sa fourrure avait gonflée à cause de l'humidité et ses pattes étaient complément trempées. Elle n'avait pas mangé depuis plusieurs jours et ce n'était pas tout ces détails qui allaient l’empêcher d'aller chasser. Véga avait faim, et elle comptait bien profiter de cette pause entre deux averses pour trouver une proie qui aurait eu la même idée. Silencieuse, la louve fauve commença sa traque par le Sud de la forêt, là ou elle avait le plus l'habitude de trouver du gros gibier.
Elle avait repéré quelques traces de biches en arrivant dans la forêt. A en juger par leur taille, il devait s'agir d'un groupe de jeune mères accompagnées de leurs faons, ce qui en faisait des proies idéales. Avec ce type de sol, il était assez simple de pister une proie, d'autant plus lorsque cette dernière était aussi lourde. Véga suivit les traces durant plusieurs minutes, jusqu'à découvrir une grande clairière ou plusieurs biches et leurs petits étaient en train de paitre. Son regard se riva sur l'un d'entre eux, éloigné du groupe. En s'y prenant bien, elle pourrait l'avoir avant qu'il ait eu le temps de retourner auprès de sa mère. La louve fauve se déplaça en silence sur les cotés, tentant de se rapprocher un maximum du faon qu'elle avait en ligne de mir. Ses crocs se dévoilèrent. Là, il était parfait.
Elle s’apprêtait à partir lorsque les biches semblèrent s'agiter. L'avaient t-elle repérée ? C'était étrange. Elle était parfaitement dissimulée et son odeur n'allait pas dans leur direction. Un coup de feu retentit soudain, faisant fuir les cervidés à toute allure. Véga entendit l'aboiement de chiens, puis l'odeur caractéristique des bipèdes emplit les environs. La louve savait qu'elle ne pouvait pas rivaliser avec eux. Elle se retira en arrière, courant le plus rapidement possible afin d’éviter d'être prise en chasse à son tour. Tout compte fait, elle ne mangerait pas aujourd'hui...
Suite à sa malchance de la veille, Véga devait absolument trouver de quoi se nourrir aujourd'hui. Elle avait passé une très mauvaise nuit à cause de sa faim, et rester sans rien faire n'était pas pour arranger son cas. C'était une des choses les plus difficiles dans sa vie de solitaire : trouver de quoi se nourrir seule et ne pouvoir compter que sur ses propres capacités. Si elle flanchait, elle mourrait. La Mercenaire n'était pas mauvaise à la chasse, mais il y'a des jours ou l'on n'a beau faire tout son possible sans qu'aucune proie n'apparaisse. Elle commençait à s’inquiéter à ce sujet. La dernière fois, la louve avait été dérangée par la présence de chasseurs humains. Elle espérait qu'ils étaient loin à présent.
La pluie tombait toujours, mais elle n'attendait pas que l'averse se soit calmée cette fois. Elle avait trop faim. Depuis ce matin, elle n'arrêtait pas de sillonner la forêt de fond en comble, cherchant à trouver la piste du moindre animal. Sa queue était basse, son corps souple, et elle avançait au milieu des bois en silence, usant de son flair malgré la pluie et la faim qui la déconcentraient.
Elle crut apercevoir l'ombre d'un lapin se faufiler dans des fourrés. Sur le qui-vive, la louve fauve alla dans sa direction, tous ses sens en alerte. Si il y avait bel et bien un lapin la dedans, savoir d’où il allait émerger n'allait pas être une chose facile. En s'approchant du petit arbre, elle sentit l'odeur du mammifère lui sauter au nez. Si elle ne se retenait pas, elle aurait sauté sans réfléchir dans les fourrés, mais c'était bien la meilleure chose à faire si elle voulait le rater. Elle prit don son mal en patience, attendant qu'il sorte avant de faire le moindre geste. Elle patienta longtemps avant que l'animal ne surgisse tout à coup. La louve se redressa vivement, bondissant dans sa direction. La lapin semblait l'avoir anticipé, car il fit un prodigieux écart sur le coté, la distançant de plusieurs mètres. Elle commença à aller à sa poursuite, évitant branches et troncs d'arbres morts sur le chemin ou il l'entrainait, mais sa proie fut assez maligne pour cesser de courir et aller se terrer dans un trou qui se trouvait au sol. Véga ne pouvait de lors plus rien faire : elle était bien trop large pour y passer, et elle n'allait certainement pas attendre qu'il en sorte. De toute manière, ce lapin avait surement creusé plusieurs sorties à son terrier.
Déçue, la louve repartit en soupirant. Elle avait tellement faim.
Elle poursuivit sa traque à travers la forêt, toujours à la recherche d'une proie, mais la chance ne semblait pas décidée à vouloir lui sourire. Véga ne pouvait pourtant pas abandonner. Elle continuait de chercher le moindre signe de vie. Même un mulot l'aurait contenté, mais elle ne trouvait rien que du vide. La forêt semblait presque inhabitée et la nuit commençait à lever son voile sombre. Sa poursuite du lapin avait t-elle éveillé la crainte des autres animaux ? Elle n’espérait pas. Son corps toujours aussi criant de famine, la louve fauve tenta de se concentrer du mieux qu'elle pouvait afin de dégoter une proie. Elle devait en trouver une !
Alors que la nuit était bel et bien tombée, la louve n'était toujours pas décidée à aller se coucher. Il fallait qu'elle trouve de quoi se nourrir rapidement. Sur le qui-vive malgré sa faim et sa fatigue, Véga poursuivait sa traque le plus discrètement possible. Quelques heures avaient du s'écouler depuis sa poursuite avec le lapin avant qu'elle ne retrouve la trace d'un autre animal. Sur les branches d'un arbres, elle aperçut des goutes de sang frais. Était-ce un animal blessé ? Il ne lui faudrait pas longtemps pour le découvrir.
En toute hâte, la louve fauve se dirigea sur les traces de cette nouvelle proie, débouchant dans une clairière aux herbes folles. Là, elle aperçu facilement le chevreuil qu'elle était en train de poursuivre. Son parfum lui mettait l'eau à la bouche. Il était blessé au flanc, par quoi, elle n'aurait su dire, mais sa plaie ressemblait fortement à la corne d'un autre cervidé qui se serait logé dans sa peau. Ce jeune mâle avait du disputer une femelle auprès d'un de ses congénères plus âgé, et il avait perdu. Ce qu'il ne savait pas encore, en revanche, c'était qu'il allait surement perdre plus qu'un combat, ce soir.
Véga se prépara, sortant les crocs; Il était temps qu'elle assouvisse sa faim. Bondissant hors de sa cachette, la louve se rua à toute vitesse et du mieux qu'elle pouvait en direction de sa proie. Pris par surprise, ce dernier essaya de fuir en vain, mais dans sa panique, il en oublia sa blessure. Sa patte se déroba sous lui, permettant à Véga de lui sauter sur le dos et de s'y accrocher fermement à l'aide de ses puissantes mâchoires. L'animal se débattit, tentant désespérément de la désarçonner puis retombant à terre, lui laissant donner le coup de grâce. Ses crocs fusèrent en direction du cou de l'animal, une fois qu'il se fuit épuisé, et en moins de temps qu'il ne fallait pour le dire, il se retrouva complétement immobile, la vie quittant lentement ses yeux.
Le lendemain matin, Véga se sentait mieux. Elle avait été suffisamment rassasiée par sa proie de la veille, mais elle n'était pas encore décidée à quitter cette forêt. Il lui fallait encore chasser une proie de plus, histoire de pouvoir tenir encore plusieurs jours. Elle continuait donc de chercher au même endroit ou elle avait trouvé le chevreuil. Peut être que le mâle qui lui avait infligé cette blessure n'était pas loin. Elle se sentait en pleine forme pour chasser un aussi gros animal. Comme à son habitude, Véga s'appliquait à se montrer la plus discrète possible. Attentive à chacun de ses sens, elle évoluait dans l'environnement avec la plus grande discrétion possible.
Véga continuait de suivre le sentier qu'elle avait choisi, mais malgré ses précautions pour ne pas se faire repérer, elle ne trouvait pas la moindre proie. Il semblait que la chance aie de nouveau tourné, sans compter la pluie qui avait du faire rentrer la plupart des petits rongeurs dans leurs terriers.
Malgré ça, Véga ne se décourageait pas. Elle savait que rien ne l’empercherait de trouver une proie tant qu'elle tenait encore sur ses quatre pattes. Changeant de direction, elle alla tenter sa chance sur un autre chemin, s’enfonçant un peu plus dans la forêt. Au couvert des arbres, les animaux devaient se réfugier.
Alors qu'elle s’enfonçait de plus en plus profondément au cœur de la forêt, un bruit de pas l'alerta. Près des buissons ou elle se trouvait, elle sentit l'odeur de chiens ainsi que celle d'un humain qui devait se trouver un peu plus loin. Était-ce les mêmes qui l'avaient dérangée la première fois, avec les biches ? Sans doute. Cela n'avait pas spécialement d'importance. Il fallait qu'elle s'en aille d'ici avant d'être repérée.
Silencieuse, elle fit marche arrière, espérant que les chiens ne flaireraient pas sa trace. Dieu seul savait combien ils pouvaient être nombreux, sans parler de leurs humains, armés jusqu'aux dents. Ce n'était pas qu'elle avait peur, mais on l'avait cent fois avertie des dangers que ces derniers représentaient. Elle avait beau ne pas se considérer comme faible, elle ne devait pas non plus se montrer irréaliste. Comment lutter contre de tels êtres ?
Aujourd'hui serait son dernier jour de chasse, qu'elle soit fructueuse ou pas. Il fallait qu'elle quitte cet endroit, la présence humaine devenait trop dangereuse. En plus, la forêt commençait à devenir un terrain de chasse trop ennuyeux. Cela faisait plusieurs jours qu'elle était là et voir toujours la même chose commençait à la lasser.
Après s'être assurée qu'aucun chien ou humain de se trouvait dans les parages, elle était donc sortie à la recherche d'une proie. Son corps était parfaitement reposé. Elle avait bien dormi cette nuit. Véga entreprit de passer par la clairière centrale puis de remonter jusqu'au Nord, par ou elle quitterait ce territoire. Attentive, la louve commença à rechercher une proie.
Il ne lui fallut pas longtemps avant de tomber sur une proie, cette fois. Au centre de la clairière, un corbeau était en train de picorer le sol. Ce n'était pas une bête bien grasse mais ça ferait l'affaire. Véga longea discrètement le contour extérieur de la clairière, cherchant à prendre le volatile par surprise. Elle devait frapper vite si elle espérait en faire son repas, car en cas d'échec, elle ne pourrait évidemment pas en faire son repas.
Se plaquant au sol, la louve profita de l'absence de vent pour se couler doucement dans les hautes herbes. Le corbeau ne semblait pas avoir remarqué sa présence, trop occupé par ce qu'il était en train de trouver sur le sol. Véga s'arrêta à quelques mètres, armant ses crocs. Elle allait passer à l'attaque d'une minute à l'autre.
Une fois qu'elle se fut parfaitement positionnée, la louve se propulsa hors de sa cachette, tous crocs dehors. Malheureusement, son geste avait du être trop lent d'une ou deux secondes. Elle rata le corbeau de près, celui-ci s'étant envolé en piqué afin d'éviter ses mâchoires. Véga bondit le plus haut possible, mais cela ne suffit pas. Il était déjà dans le ciel. Elle retomba en lâchant un grognement. Comment avait t-elle pu rater ça ? Son regard fit le tour de la clairière. Peut être qu'une autre proie se trouvait dans le coin, une proie qui ne volait pas.