Noire avait faim. Son estomac gargouillait, mais elle n'avait pas envie de gaspiller le peu de proies qu'elle avait attrapé ce mois-ci. Au lieu de gaspiller de la nourriture durement obtenue, elle préféra sortir de sa tanière, aussitôt que le soleil eut entamé sa descente, pour partir en quête de bon gibier. 
La solitaire noire n'aimait pas lorsqu'il faisait trop chaud. C'est pour cette raison qu'elle sortait toujours en fin d'après-midi, ou même la nuit. Ce jour-ci, elle opta pour ne pas trop attendre, optimisant ainsi sa chasse. Elle sortit donc lorsque le soleil fut légèrement descendu, soit au début de l'après-midi. 
La noiraude prit la direction des Marais Griffes Vertes. La dernière fois qu'elle était venue par ici, elle avait failli se faire attraper par un chasseur et son chien. Mais cette fois-ci, elle se promit d'être prudente. Elle n'avait pas envie de finir en pâtée pour cabot. 
Cependant, à peine arrivée, elle repéra une présence. Pas celle d'un bipède, ni d'un chien. C'était bien un loup, tout comme elle, et qui ne portait pas d'odeur distincte. Un solitaire donc. Noire préféra rester cachée, attendant de voir ce que cet inconnu fabriquait ici, et s'il comptait se montrer agressif ou non. Mieux valait rester prudent. 
Mais décidément, les marais n'étaient pas synonymes de chance pour la femelle. Elle ne pouvait jamais y chasser tranquillement !

Un et un font deux ...

Silencieuse et immobile, Noire attendait, tapie dans l'ombre, comme un chasseur guettant sa proie. Elle ne pouvait pas voir l'iconnu, mais sentait qu'il s'agissait d'un solitaire, d'une solitaire plutôt, comme elle. La noiraude n'aimait pas être dérangée lors de ses parties de chasse. Bien évidemment, elle préférait croiser le chemin d'un autre loup, plutôt que d'un bipède fou-furieux, avec un chien prêt à tout pour la tuer. Mais encore fallait-il que cette femelle soit pacifique.

"Bouh ! pourquoi tu te cache ?"

Noire sursauta, surprise, et bondit hors de sa cachette d'un saut magistral, mais mi-dérapant, mi-tombant. Elle se réceptionna de justesse, et se redressa, le pelage hérissé et les crocs découverts. Une louve blanche apparut alors devant elle, et Noire comprit qu'elle s'était faite piégée. La solitaire l'avait prise par derrière. C'était malin, il fallait l'admettre, mais cela ne suffisait pas à impressioner la noiraude.

"Je ne me cachais pas, je t'espionnais." gronda t-elle les oreilles rabattues en arrière.

Ce qui était faux. Si elle l'avait vraiment espionné avec attention, elle ne se serait pas laissée prendre par surprise... Mais ça, il était hors de question de l'admettre.

Un et un font deux ...

La solitaire blanche l'observa quelques instants, incrédule, et Noire sentit son échine la picoter. Cette intruse venait de foutre en l'air sa journée de chasse, et elle n'appréciait pas ça du tout. Ces marais commençaient fortement à lui taper sur les nerfs, et cette inconnue également. 

"Mouai sa a pas trop marcher .... Diedora, et toi c'est quoi ton petit nom ?"

Diedora ? Voulait-elle dire qu'il s'agissait de son nom ? Noire gronda, les oreilles toujours rabattues en arrière, dans une position de défense, et d'attaque à la fois. Elle n'avait pas envie de papoter avec cette louve, elle voulait seulement chasser tranquillement pour pouvoir se nourrir. Et cette "Diedora", avait littéralement tout gâché.

"Va t-en", gronda Noire comme simple réponse.

Elle n'avait pas envie de lui parler, elle voulait chasser. Et si la louve refusait de partir, Noire s'en irait traquer ses proies plus loin. Elle n'avait pas envie de se battre, car ses forces seraient alors nettement diminuées pour la chasse. Ce qui serait bien dommage.

Un et un font deux ...

"Qu'est ce que tu as ? tu boudes ? faut savoir affronter la réalité en face ... tu n'es pas douée pour te morfondre dans un paysage ... la chasse ne doit pas être bonne tous les jours !"

Noire gronda, les oreilles rabattues sur sa tête. Pourquoi cette solitaire s'acharnait-elle à lui parler, alors que la noiraude voulait simplement qu'elle lui fiche la paix ? Prenait-elle du plaisir à l'embêter ? Noire n'appréciait pas du tout ça. Elle voulait chasser tranquillement, ramener de la viande dans sa tanière, et passer le reste de sa journée sans problèmes.
Mais visiblement, cette Diedora était une peste. Une peste, et un parasite, qui refusait de se détacher.

"Ces lieux sont plus abondants en proie ... et si nous chassions ?"

Chasser... A deux ? Noire manqua de s'étrangler sous le coup de la surprise. Cette solitaire débile et insolente lui proposait de chasser ? Alors que c'était tout ce que Noire voulait depuis le début... Mais pas de cette manière. La louve voulait traquer ses proies toute seule, pas avec elle.
Mais ne même temps, Diedora ne la lâcherait pas. Elle voulait l'embêter. Alors au point où elle en était, Noire décida d'accepter. A contre-coeur, il fallait le dire.

"Ouais. Chassons."

Elle fouetta l'air de sa queue, et huma l'air, cherchant une bonne proie à traquer. Elle allait montrer à cette Diedora qui était la meilleure chasseuse.

Un et un font deux ...

La solitaire s'avança de quelques pas, surement pour débuter la chasse, mais s'arrêta presque aussitôt pour se retourner et jeter un coup d'oeil à Noire. La louve sombre lui répondit par un regard hargneux, mais Diedora ne sembla pas comprendre, et lui demanda son nom. La noiraude était agacée par les questions de ce genre, trop personnelles à son goût. Mais il y avait pire encore de lui demander son nom. C'était de lui demander son nom de lune. Noire détestait le dire, et ne le confiait qu'aux loups qu'elle appréciait. 
Reny par exemple, le petit louveteau Esobek.

"Tu es solitaire non ? la vie en meute ne t'interesse pas ?"

Noire soupira intérieurement, de plus en plus irritée. Cette Diedora avait vraiment tout de débile. Son allure, ses paroles, ses gestes, ses propositions, ses questions... Tout en elle agaçait la noiraude, mais elle savait qu'elle était dans l'obligation de chasser avec elle. Sinon, l'autre ne la lâcherait pas, et cela partirait surement en un combat violent. Et Noire n'était pas d'humeur à combattre, elle voulait chasser.

"J'm'appelle Noire. Et oui je suis solitaire, comme toi, tu devrais le sentir, nan ?"

Elle remua la tête, exaspérée, puis avança un peu plus loin en humant l'air. Il était temps de débuter la chasse, et blablater en l'air ne servirait à rien.

Un et un font deux ...

Noire, la truffe en l'air, reniflait avidement l'air ambiant à la recherche d'une trace de gibier. Elle comptait prouver à Diedora qu'elle était capable d'attraper quelque chose, malgré sa présence. Et puis après tout, elle était venue pour ça, n'est-ce pas ? La chasse, c'était tout ce qui lui importait aujourd'hui.
Ses côtes se soulevaient rapidement, au rythme de sa respiration saccadée par ses inspirations trop vives. Noire sentait une trace de viande quelque part, aux alentours de ces marais, mais n'arrivait pas très bien à déterminer l'endroit où la proie se trouvait. Peut-être était-ce parce que l'odeur nauséabonde de l'autre solitaire envahissait tous ses sens ?
Celle-ci lui cracha d'ailleurs quelque chose, en réponse aux précédentes paroles de Noire, mais la solitaire sombre n'y prêta pas attention. Elle voulait tout simplement se remplir l'estomac.
Les deux louves se mirent alors en marche, et Noire gardait la truffe levée vers le ciel, humant l'air profondément, alors que Diedora cherchait une proie en collant son museau contre le sol, comme un chien de chasse. La femelle n'aimait pas cette technique, mais elle sembla pourtant payer plus que la sienne, puisque la blanche s'exclama soudain :

"Notre repas vient d'arriver ... a toi l'honneur ! soit plus discrète que tous à l’heure pour ne pas le faire fuir."

Noire inspira un peu plus, et détecta alors le fumet d'une biche. Une biche, c'était très nourrissant pour deux louves affamées. La noiraude sentit une douce chaleur envahir ses pattes, lui rappelant son récent entraînement avec un mâle solitaire. Ils avaient eux aussi coursé une biche. Mais cette fois-ci, Noire l'attraperait. Il le fallait.
Elle se plaqua au sol, reniflant toujours l'air pour ne pas perdre la piste de son gibier, et commença a avancer au milieu des herbes, en faisant signe à Diedora de se taire et de faire comme elle. Si elle voulait attraper cette proie, il faudrait qu'elles si mettent à deux. Noire n'arriverait jamais à maintenir la biche au sol si la solitaire blanche ne l'aidait pas.
Soudain, la louve s'élança en avant. Elle avait aperçut sa proie, entre deux arbres. C'était bien une biche, d'une couleur brune et aux petits yeux noirs, effrayés. Aussitôt que celle-ci comprit qu'elle était poursuivie, elle s'enfuit dans les broussailles, bondissant au-dessus des obstacles avec une certaine agilité. Mais Noire était animée par la faim et le désir de prouver à Diedora qu'elle savait chasser, et elle accéléra l'allure au milieu de la forêt, sans se demander si l'autre la suivait.
La biche était rapide, mais Noire l'était aussi. Après un petit sprint et deux ou trois buissons évités, elle se sentit toute proche de sa cible et poussa sur ses pattes arrières dans un grognement, plantant alors ses griffes dans l'arrière-train de l'animal. 
La biche s'effondra contre le sol, emportant la solitaire dans sa chute, mais celle-ci réagit au quart de tour et l'immobilisa tant bien que mal, plantant ses crocs dans son cou, sentant ses os craquer entre ses mâchoires. Mais il fallait que Diedora arrive vite. Très vite. Sinon la biche n'aurait pas de mal à ruer et à se débarrasser de Noire, malgré sa blessure saignant abondement à la gorge... Elle n'était pas encore morte. Et il ne fallait jamais vendre la peau de l'ours, avant de l'avoir tué.

Un et un font deux ...

Noire maintenait la biche au sol tant bien que mal, les pattes plaquées sur sa peau, et les crocs toujours enfouis dans sa gorge. Elle sentait l'odeur du sang autour d'elle, et ses griffes éraflèrent une des côtes de la biche, aggravant son état.
Diedora arriva alors, en retard, et bondit sur la proie, l'immobilisant davantage. Noire gardait toujours ses mâchoires fermées sur la gorge de l'animal, tandis que la solitaire blanche préféra jouer sur le coup des morsures de part et d'autre. Elle arracha donc la peau de la bête par-ci par-là, technique de Noire n'appréciait pas du tout. Elle préférait tuer vivement, rapidement, et proprement. 
Mais la biche finit tout de même par perdre la vie, et Noire desserra son emprise, tandis que Diedora tirait la proie sur le côté, permettant ainsi à la noiraude de se relever. Elle s'ébroua, le pelage tâché du sang de son gibier, et alors qu'elle se sentait plutôt fière de sa prise, la femelle blanche lui lança d'une voix ironique :

"Ne te laisse pas assommer par ta proie ... soit au dessus, pas en dessous."

Noire lâcha un grognement agacé, la queue battante. Son pelage s'était hérissé de lui-même, et elle répondit du tac au tac, sans prendre le temps de réfléchir à ses paroles.

"C'est grâce à moi que cette biche est morte, je l'ai attrapé. Et puis moi au moins, j'ai été capable de la tuer proprement, en visant la gorge. Toi tu l'as mordu partout, et tu nous a retiré de la viande a manger. Tu ne sais donc pas tuer une proie correctement ?!"

La solitaire au pelage corbeau cracha de dégoût, mais ne voulant pas que Diedora s'en aille avec la proie qui lui revenait de droit, elle changea de sujet de marmonna d'un ton toujours agacé :

"On continue la chasse, ou t'es trop crevée ?"

Un et un font deux ...

Les deux louves s'affrontaient du regard, et Noire sentait son coeur battre de plus en plus vite. Pas à cause de l'amour ou de l'amitié, mais à cause de la colère. Cette Diedora était vraiment une ordure de pure race, et le pire c'était que la solitaire était obligée de chasser avec elle. Ce qui voulait dire qu'à la fin, elles devraient se partager le gibier. Quelle horreur de devoir donner une proie chassée par ses soins à une inconnue.... Et une peste en plus. 

"Évitons la jalousie, cherchons une seconde proie, sa nous en fera une chacune ..." 

Mais oui bien sur, pensa Noire avec dédain. Une souris pour moi, et la biche pour elle.
Elle préféra se taire, et partir effectivement à la recherche d'une nouvelle proie. Et s'il s'agissait d'un petit gibier, et bien tant pis, Noire se battrait pour garder la biche. C'était elle qui l'avait attrapé après tout ! Diedora n'avait fait que l'achever, mais c'était la solitaire sombre qui l'avait coursé à travers la forêt et s'était jeté sur elle.

"Si tu était dans une meute tu ne te fatiguerais pas a chasser ... pour rester seule ? sa te noircis le caractère."

Noire préféra ne rien répondre, de peur de s'énerver et de blesser sa coéquipière du jour sous le coup de la colère. Non pas que cette idée lui déplairait, mais la femelle jugea meilleur de se taire et de poursuivre la chasse tranquillement.
Elle leva donc de nouveau la truffe vers le ciel, reniflant avidement l'air ambiant, sans daigner jeter un regard à Diedora. Noire voulait attraper cette seconde proie toute seule. Ainsi, les deux lui reviendraient de droit, et l'autre n'aurait plus rien à dire. Elle crèverait de faim, comme elle le méritait.

Un et un font deux ...