Le fantôme s'engouffra dans le trou, les sens en éveil. Danger, danger. Il se forçait à expirer lentement. Il parcourut une courte distance en rampant, le poil au ras de son corps maigre, puis inséra son museau sous le tissu d'une des tentes. Vérifiant qu'il n'y avait personne, le mâle blanc glissa à l'intérieur et resta statique un moment, le temps de s'habituer à la pénombre. La tente était vide, à l'exception d'un carton sale à sa droite. Il en souleva un bord, et l'odeur alléchante le fit saliver. Sans réfléchir, il saisit un petit sac presque sachet au fumet irrésistible, et fit prestement demi-tour. Le canidé passa de nouveau par l'endroit pas accroché, puis par la brèche entre les troncs.

Il s'éloigna en tricotant des pattes et tentant d'être le plus discret possible. L'aube était plus jour que nuit, maintenant. Combien de temps prenait un pillage du genre? Il enterra le petit sac contenant la viande. Quelques minutes, quand il n'y avait personne pour tout vous faire foirer. Il avait encore le temps. Cette pensée lui tournait en boucle dans la tête. Il avait le temps, et un seul sac ne suffirait pas. Il avait le temps, et il y retournait. Tout de suite.

Le fantôme retourna près du campement, les nerfs à fleur de peau. Si cette fois il ratait, il ne réessaierai pas, et reporterai ça au lendemain.

Comme un serpent en traque, le fantôme se faufila jusqu'à la brèche. L'odeur de la viande lui revenait sans cesse en gueule, le faisant saliver à en transformer le sol en boue. Il s'engagea de nouveau à l'intérieur, et à nouveau rentra dans la même tente; il était presque encore moins prudent, tant la promesse de la viande l'enivrai et lui promettait quelque chose à manger. Il n'y avait personne, heureusement pour lui; et le blanc s'avança vers le carton sale.

Ouvrant les battants d'un coup de museau, il renifla l'intérieur; le fumet de nourriture était éventé. Il sonda le fond du bout du museau; vide. La frustration manqua lui arracher un grondement de dépit. Il se retint à temps; mais oui, alerte-donc les humains et leurs chiens, 'spèce d'idiot de solitaire. Aucun humain en vue, d'ailleurs. Il jeta un regard dans l'entre ouverture du tissu mal accroché: personne? Une ombre se projeta sur son museau noir et il recula à l'intérieur de la tente. Chien. Il ne l'avait pas vu, que le quelconque dieu qui lui veillait dessus soi loué. Le blanc osa son museau vers l'extérieur, à nouveau. Cette fois, la voie était libre. Il rampa hors de la tente, son appétit insatisfait.

Hésitant, il regarda une autre construction de tissu, à sa droite. Elle était plus éloignée de la brèche, mais avait-il une chance d'y gagner quelque chose?

Les chiens qui se réveillaient, les hommes qui commençaient à faire de même, tout ça le poussait à fuir, à abandonner. Mais l'odeur, c'était juste trop. Nourriture. Il rampa le plus vite possible sur quelques mètres, tous les muscles tendus. Son corps décharné tremblait dans le début de journée à proprement dit. Il devait faire vite. Vite, vite, vite. Le mâle blanc se glissa derrière la tente, cherchant une entrée. Cet abri-là est bien monté, et aucune ficelle manquante ne permet un passage. Le mâle, sans réfléchir, tire sur un bout de fil qui dépasse d'une boucle. Il y eu un "zouit" et le tissu s'affaissa un peu.

Ebranlant un peu la tente, il pénétra le petit abri, tous muscles tendus à craquer. S'il y avait un chien ou un humain, il le tuerai. Si il y en avait douze, il essaierai de les tuer aussi. Peut lui importait. Il voulait manger, à tout prix.

Le fantôme rampa jusqu'au coin de la tente, suivant la piste des odeurs. Il renversa le couvercle d'une des caisses, et découvrit dedans un gros morceau de viande, trop gros pour l'emporter en entier. La salive du mâle formait des filets jusqu'au sol tandis qu'il s'approchait, avant de découper un bout de la pièce de viande. Enfin, il recula prudemment avec son butin, affamé. Il ressortit par l'entrée qu'il avait créée et hésita avant de s'engager à découvert. Un homme s'engouffra dans la tente qu'il avait précédemment volée. Il profita de l'innatention du bipède et disparut dans la brèche, l'objet de son larcin entre les crocs.

En retournant auprès du camp, en pleine nuit, il ressentait une violente envie de vengeance.

Il avait médité toute sa chasse sur ce qu'auraient pu être les terres sans ces zozos envahisseurs et destructeurs. Des terres verdoyantes, giboyeuses, naturelles. Oh, oui il voulait se venger. Leur montrer ce que c'était de voir sa nourriture diminuer au fur et à mesure, de ne cesser de se prendre des épidémies, de se cacher sous terre quand on vous jette des bombes de partout, de retrouver son territoire dévasté et sans vie, de passer des heures et des heures à chercher sans trouver. C'est dans cet état d'esprit que le fantôme avançait en rampant jusqu'à l'avant-poste, tout son corps frémissant de rage. Tuer? Non, juste jouer avec leurs cadavres et de les saigner sur le sol stérile, les regarder agoniser devant lui... Oh oui.

En attendant, il n'avait aucune chance contre des dizaines d'hommes et de chiens dans un seul endroit renfermé. Mais la vengeance n'est pas toujours directe. Voler leur nourriture, ça suffit aussi. Et c'est le seul moyen d'y gagner quelque chose que cette, encore une fois, vengeance. Les voir dépouillés, errant dans la forêt pour tenter d'y trouver quelque chose, ça aussi c'était une vengeance. Hurm.

Le mâle blanc trouva enfin la brèche, et fut frustré d'y sentir une autre odeur lupine. Oh non. Si un autre loup venait s'incruster dans son moyen de passer, il allait le faire remarquer. Malédiction, comme on dit. Elle semblait récente, sans doute datant de quelques heures. Il s'y faufila prestement, prenant soin de mémoriser l'odeur de son congénère voleur. D'ici, il jeta un oeil aux deux tentes qu'il avait déjà pillées. Rien ne lui disait qu'il allait y retrouver quelque chose ou qu'elles soient de nouveau vides. Devait-il tenter plus loin, ou rééssayer ces deux là?

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