Le Soleil est haut dans le ciel, rien ne semble perturber sa course. Cela fait six ans que je foule le monde en compagnie de ma soeur, et jamais rien n'a su contrecarrer l'avancement du soleil dans le ciel. Il vit là-haut, continue son périple sans jamais se soucier de nos vies misérables, à nous autres créatures insignifiantes qui peuplent le monde et dépendons tant de lui. Son seul compagnon est le temps qui passe, et même lui n'est pas aussi loyal que pourrait l'être un véritable ami puisqu'il vole la vie de l'astre de jour un peu plus à chaque instant. Abrité sous les arbres d'une grande forêt, je baisse finalement le regard vers le sol après avoir fixé les rayons du soleil à travers les branchages denses. Je me suis séparé de Kaya à l'aube, la laissant dormir dans notre tanière en toute sécurité. Je sais qu'au moindre soucis elle hurlera, et je serais sur les lieux avant qu'il ne lui soit arrivé quelque chose. Je ne m'éloigne jamais trop d'elle, de manière à pouvoir toujours intervenir rapidement en cas de nécessité. Elle est ma soeur, la seule qui compte à mes yeux, et jamais je ne tolérerais qu'il lui arrive quoi que ce soit. Je lâche un soupire rauque dans l'air frais de l'automne. Le froid hivernal n'est pas encore là constamment, mais l'air chaud de l'été à définitivement laissé sa place jusqu'à l'année prochaine. Mon pelage argenté remue dans une brise légère, et je m'ébroue énergiquement en tendant la gorge vers le ciel. Après quelques secondes de silence, l'ouïe aux aguets, je distingue l'odeur d'une carcasse. Je hume les effluves uniques de la mort et je ferme légèrement les yeux pour me concentrer sur l'odeur. Je me laisse guider, finalement, par mon odorat. Une carcasse gratuite, c'est toujours bon à prendre. Je repère l'odeur d'un autre loup, mais après tout un combat pour de la bouffe n'est jamais du temps perdu. Je trottine d'un pas léger entre les arbres, et je termine ma course tranquille dans une petites clairière, devant un lac à la couleur étrange. Intrigué, je m'approche de quelques pas jusqu'à percevoir une silhouette en mouvement sur ma gauche. Mon oreille la repère bien avant mon oeil invalide et s'oriente vers elle dans un réflexe naturel. Je tourne la tête pour mieux voir la louve inconnue, et je reconnais rapidement l'odeur de sa meute dans son pelage immaculé. Une Sekmet. Un grondement sourd fait vibrer mes cordes vocales et mes babines se retroussent déjà sur mes crocs puissants, mais je ne suis pas stupide comme les membres de sa meute. J'ai appris depuis longtemps à canaliser mon énergie et à analyser une situation avant de me jeter tête baissée dans la mêlée. Je m'approche d'elle lentement, mais sans le moindre signal d'apaisement. Je n'ai aucune raison de me soumettre à elle, ni à quiconque d'ailleurs. Si je dois être remis à ma place par un supérieur, ce ne sera certainement pas par un vulgaire Sekmet. Je m'approche encore jusqu'à ce que je vois ses oreilles guetter mon arrivée. Apparemment, elle attend quelque chose, ou quelqu'un. Méfiant, je ne cesse pourtant pas d'approcher. J'affiche une grimace à mi-chemin entre le sourire et la moquerie, et je la regarde des pattes à la tête sans aucune gêne.

- J'savais pas que les Sekmet organisaient parfois des déjeuners romantiques.

Le regard ambre, les oreilles portées hautes sur son crâne, le pelage fourni et immaculé, la griffe acérée à souhait, en soit une jeune et jolie louve. Elle ne semble pas impressionnée par mes grondements sourds. Encore une qui sous-estime les solitaires, et qui pense que l'esprit de meute est plus fort que la brutalité d'un loup esseulé. Elle ne sait pas d'où je viens ni qui je suis. Elle ne sait pas que je suis né parmi les siens et que je les ai quitté pour le mal qu'ils m'ont fait, même indirectement. La tête tournée dans ma direction, le regard franc, elle sourit. Moi, jaloux ? Et puis quoi, encore ? A elle seule elle attrape un lapin. La belle affaire ! Kaya et moi, à deux, sommes capables de terrasser un jeune chevreuil. J'extériorise mes dents en une grimace qui se veut ressembler à un sourire, mais je n'aime pas sa meute et par extension, je ne l'aime pas. Elle se lève, abandonnant son repas, et s'approche de moi. Je reste immobile, je me redresse sur mes pattes, les oreilles dressées dans sa direction et la queue portée haute.

- Quel est ton nom ?

- Tu manques cruellement de tact, mais ça ne m'étonne pas, venant d'une Sekmet. Vous n'êtes pas réputés pour votre délicatesse et encore moins pour votre sociabilité. Je m'appelle Isha. Mais je doute que tu aie suffisamment de culture pour connaître la signification de ce mot. Et puis, ça n'a pas la moindre importance. Tu chasse sur des terres qui n'appartiennent pas à ta meute. Qu'est-ce que tu fais dans le coin ? Tu attends ton amant Esobek peut-être ?

Que de provocation, et j'aime ça. J'attends patiemment de voir ses limites, de la pousser dans ses retranchements. Une petite bagarre ne serait pas de refus, et je ne vais pas faire de différence juste parce qu'elle est une femelle. De plus, c'est une Sekmet, et je haie sa foutue famille, ma misérable meute natale. Je m'approche d'elle à mon tour, seuls un ou deux mètres nous séparent. Je la toise, l'analyse, cherche des points faibles physiques, au cas où.

Elle rit à gorge déployée, et je comprends aussitôt qu'elle n'attend ni un Esobek, ni aucun amant de quelque genre que ce soit. Une indépendante, hein ? Quand on fait partie d'une meute, c'est quand même délicat. Les oreilles pointées dans sa direction, je m'amuse de sa répartie. Elle n'est pas agressive, et elle semble prendre autant de plaisir que moi à me taquiner. Copiner avec un loup n'est pas dans mes habitudes, et encore moins avec une Sekmet. Mais puisque celle-ci semble avoir plus de bon sens que les membres de sa meute, pourquoi ne pas en profiter un peu ? Ce n'est pas tous les jours qu'on rencontre un Sekmet qui ne pense pas qu'à sauter à la gorge de sa propre race toutes les dix secondes. Je n'ai de cesse de la regarder, de la détailler, de la contempler. Elle est pas mal, faut l'avouer. Même si, évidemment, elle n'arrivera jamais à la cheville de ma petite soeur. Je lui lance un regard suffisant et un sourire en coin, histoire de la taquiner encore un peu.

- Je m'appelle Isha.

Je me souviens de ce matin brumeux, jour où la tête de ma soeur a été mise à prix. Notre père aurait pu simplement la tuer pendant l'une de mes parties de chasse obligatoires. Il aurait eu mille et une façon de m'éloigner d'elle le temps nécessaire à un meurtre. Mais il a choisi de lui gâcher la vie, de la rendre misérable, de la salir devant tout un chacun. Il a décidé que la mort serait trop douce pour elle, et qu'elle méritait de souffrir, d'être éloignée des siens, d'être jetée comme un cadavre putride qu'on laisse sur notre chemin après avoir léché jusqu'à la dernière goutte de calcium dans la moelle des os. Ce jour-là, lorsque les Alphas ont rendu leur jugement, j'ai haï mon père jusqu'aux tréfonds de mon âme. Et je me suis juré, quand j'ai montré sauvagement les dents à la meute entière, que plus jamais un Sekmet ne bénéficierait de ma pitié. Les années ont passé, certes, mais la rancoeur est toujours là, enfouie dans mon esprit, toujours au bord de déclencher en moi une tornade de fureur. Pourtant, face à la louve immaculée, je reste stoïque, comme si mes pensées n'allaient pas toute dans la même direction : un meurtre vengeur. Je ne suis pas stupide. Je sais bien qu'elle a de grandes chances de remporter un combat. Il y a bien longtemps que je vis en solitaire, en reclu avec ma soeur, me contentant de n'utiliser mon mental et mes armes que pour chasser et nourrir Kaya. Je n'ai pas d'intérêt à lui lancer un défi, ce serait une perte de temps, à l'heure actuelle. Je me contente d'un sourire moqueur.

- Je m'suis fait larguer par une Sekmet.

Pourquoi dire la vérité ? Ma vie ne l'intéresse pas, et je mettrais ma soeur en danger si je lui apprenais son existence. Mieux vaut qu'elle me pense seul, son ignorance pourrait un jour me sauver la vie, et je sais garder mes atouts en toutes circonstances. Je devrais peut-être lui demander son nom, à mon tour, mais s'il y a une chose que je déteste, c'est montrer de l'intérêt à quelqu'un, et encore plus lorsqu'il s'agit d'un Sekmet. Alors j'attends patiemment qu'elle prenne d'elle-même l'initiative, et si elle désire garder son identité secrète, qu'elle le fasse. De toute façon, avec ou sans nom à poser dessus, on n'oublie pas la beauté quand on la rencontre.

- Et comment s'appelait ta dulcinée ? Peut être que je la connais.

Elle me renvoie l’ascenseur, comme si l'échange était un amusement pour nous deux. Un partage amical, un passe-temps agréable. Je réfléchis à toute allure. Un nom, il me faut un nom. Ca ne peut pas être une louve trop jeune, ni trop vieille non plus. Pas une qui ait quitté la meute entre temps, et surtout pas l'une de celles qui sont déjà casées. Je cherche dans mes souvenirs, vieux de trois ans et plus, un nom qui pourrait paraître crédible. Un seul nom me vient en tête, même si je ne sais même plus si j'ai eu une quelconque relation avec elle. Elle, ce sera crédible. Elle a eu pas mal de relations par le passé, alors ça semblera plausible. Rien que quelques secondes se sont écoulées, mais ça peut passer pour des secondes de trop. Quoi qu'elle se dira sans doute que je me pose la question de savoir si j'ai envie de partager cette information avec elle ou non. Je lâche dans un soupire qui se voudrait mélancolique, mais je sais que le sourire sur mes babines trahit l'absence de mélancolie dans mes souvenirs.

- Nilaya.

Ce qui m'amuse le plus, c'est que malgré le souvenir de ce nom, et du fait qu'elle ait souvent enchaîné les relations avec des mâles de toutes sortes, je ne me souviens ni de la couleur de son pelage, ni même de son âge ou de sa place au sein de la meute. En fait, je n'en n'ai jamais rien eu à faire, des rangs de chacun, pourvu que ma soeur allait bien et que personne ne lui portait préjudice. Là était le seul objectif de chacune de mes journées, et je me fichais pas mal de savoir si les autres Sekmet allaient bien. Je me demande même si j'ai un jour connu quelques Sekmet qu'ils soient. Si j'ai eu des amis, ou même des connaissances. Oh, des connaissances j'ai dû en avoir. J'ai forcément appris à connaître quelques loups, puisque je n'étais pas non plus imperméable à tout ce qui se passait au coeur de ma propre meute. Et puis les parties de chasses, ça ne se fait pas en solitaire, même chez des déjantés comme les Sekmet. J'ai forcément dû connaître certains ex-compagnons. La vérité, pourtant, c'est que la haine à pris le pas sur les souvenirs, et que je ne me rappelle pas un seul membre de mon ancienne famille. Si elle fut un jour considérée comme telle par ma soeur ou moi. J'attends patiemment la prochaine tirade de la jeune louve. Notre échange me fait passer le temps, ça me détend entre deux longues chasses pour nourrir ma petite mais précieuse famille.

La louve immaculée, dont je ne connais toujours pas le nom -chose qui m'amuse plus qu'autre chose- semble surprise. Evidemment, elle ne s'attendait probablement pas à ce que j'ai un nom à lui fournir. Au pire devait-elle penser que je protégerais l'identité de mon "ex-compagne" pour qu'elle ne soit pas châtiée d'avoir fricoter avec un solitaire. Eh bien non, je ne suis pas le genre protecteur de ceux qui n'ont pas la moindre importance à mes yeux. Et puis honnêtement, si je peux attirer quelque désordre dans la meute que je haie tant, je ne vais certainement pas me gêner et encore moins culpabiliser. Ce sera une petite victoire supplémentaire sur ces enfoirés qui ont osé bannir ma tant aimée soeur alors qu'elle ne méritait pas un tel traitement. Je revois encore le visage satisfait de mon père lorsque la sentence à été donnée, mais je me console en repensant à la tête qu'il a tiré quand je suis parti avec elle, sans un regard en arrière.

- J'attendais mieux de toi.

Nouvelle tirade, mais elle me tend la perche sans probablement s'en rendre compte. Elle s'attendait à mieux de ma part ? Elle ne m'aurait pas imaginé avec ce genre de louve ? Je ne me souviens pas suffisamment de ma vie dans sa meute pour me faire une idée juste, aujourd'hui, de ce qu'était Nilaya. Cependant, le fait qu'elle "s'attendait à mieux de ma part" fait naître sur mon visage un sourire fortement amusé. Je la regarde de bas en haut, des pattes à l'échine et de la queue à la truffe. Alors comme ça, en quelques minutes, elle s'est déjà fait une idée de mon genre de louve ? Je lui tourne autour sans chercher à déclencher un conflit, mais dans un seul soucis de l'embêter encore un peu. La drague, c'est drôle, et d'autant plus quand l'interlocutrice semble d'une humeur tout aussi joueuse que la mienne.

- Dis-moi donc, jeune inconnue. Puisque tu semble si bien me connaître, je serais curieux de savoir quel est mon genre de louve.

Elle m'explique qu'elle n'imaginait pas que je serais prêt à prendre la première louve venue. Je n'ai de cesse de sourire, parce qu'autant que j'en apprends sur elle, j'en apprends sur une membre de sa meute. Si Nilaya est une louve facile, c'est un atout pour la Horde. Je pourrais bien partager cette information avec Skull, et peut-être pourrait-elle envoyer l'un des autres mâles draguer la Sekmet pour notre compte. Qui sait, une relation interne pourrait nous donner un sacré avantage. Et pour peu que Nilaya soit un peu bavarde, on aurait vite de gros atouts pour mettre à terre toute la meute. Et puis, deux petits mots m'interpellent et je dresse les oreilles dans sa direction en la fixant intensément. J'affiche un sourire aussi taquin que charmant, amusé par la situation qui prend une tournure aussi inattendue que plaisante.

- Dommage ? Ah oui, parce que tu avais certains espoirs, peut-être ? Vrai que j'suis beau et très demandé, t'es pas la première qui me fait des avances.

Elle semble réfléchir, comme si elle cherchait des informations dans mon regard pour savoir ce que je recherche chez une femelle. Il est vrai qu'à six ans, ne pas avoir de compagne est assez exceptionnel. Mais d'un autre côté, étant donné que je n'ai pas de meute, je n'ai trouvé aucun intérêt à trouver une louve depuis trois ans. J'avais ma soeur et elle était tout ce dont j'avais besoin. Même si ces derniers mois, en dehors du désir de vengeance qui m'a toujours animé, j'ai parfois ressenti le besoin de fonder ma propre meute, avec ma soeur à mes côtés. Mais une soeur n'est pas une compagne, et je me suis résigné à rester solitaire justement parce que je n'avais personne pour marcher à mes côtés.

- Pourquoi Nilaya ?

Elle me pose une colle. D'abord parce que j'ignore si elle me demande pourquoi j'ai sorti ce nom au hasard, ou pourquoi je suis tombé amoureux de Nilaya. Je réfléchis. Peut-être le temps est-il venu de faire cesser ma plaisanterie, de toute manière je n'ai pas grand chose à ajouter. Mais quand je la regarde, elle m'a l'air d'être tombée dans le panneau. Il semblerait qu'elle croit réellement à mon histoire d'amour avec sa compagne de meute. Quoi que pour me dire ouvertement que Nilaya est une traînée, elle doit probablement ne pas la porter dans son coeur. Finalement, j'ai bien envie de jouer encore un peu. Augmenter la durée de notre rencontre, ne pas lui donner une raison de repartir tout de suite. Je lui souris de toutes mes dents.

- Ce que j'ai aimé chez elle ? Oh depuis l'temps, j'ai oublié.

Bon, je fais tomber ma propre blague à l'eau. Après tout, un loup qui éprouve une telle haine envers toute une meute pour un amour perdu, n'a forcément pas oublié ce qu'il aimait chez son ex-compagne. De plus, si je réponds aussi vaguement c'est simplement parce que je ne me souviens vraiment que du nom, et je n'ai aucune idée de la tête qu'avait cette louve. Alors pour peu que la jeune louve blanche réfléchisse un peu, elle va rapidement deviner que je me paie sa tête depuis le début. Quoi que je la soupçonne d'avoir des doutes depuis notre premier échange.

Elle m'appelle à continuer l'aventure. M'incite à forcer un peu, à m'accrocher pour l'attirer à moi. Je ne suis pas un dragueur, et encore moins le genre de loup qui cherche à se faire un tableau de chasse personnel avec dessus, les têtes de toutes les louves qu'il aura conquises et trahies dans sa vie. Je n'ai pas été avec Nilaya, et je n'ai aucune intention d'être avec elle. Mais le "tu aura beaucoup plus de mal à me faire tomber sous ton charme qu'elle" sonne à mes oreilles comme un défi, et j'entends plutôt "si tu veux, tu peux". Après tout, c'est pas comme si elle m'avait dit qu'elle ne tomberait jamais sous mon charme. Décidément, elle a une sorte de don, qui me pousse à afficher un air radieux alors que j'aurais d'habitude poussé le sarcasme jusqu'au bout, au point de pousser mon interlocuteur dans un combat sans merci. Je crois bien que j'apprécie partager mon temps avec elle. Quand je fais ma remarque sur Nilaya et "notre" passé sentimental, la jeune femelle lâche un rire amusé. Je ne comprends pas bien si elle est stupide, ou si elle se plait vraiment à entrer dans mon jeu avec autant d'entrain. Ca pourrait m'agacer, me donner envie de partir, mais le doute subsistant me pousse à continuer, à rester à ses côtés encore un moment.

- C'est que tu ne devais pas aimer beaucoup de choses. Je te comprends.

- Eclaires-moi d'un doute. Quel est l'intérêt de faire partie d'une meute dont tu n'apprécie pas les membres ?

Je suis peut-être tombé sur le seul cas qu'elle n'aime pas dans sa supposée famille, mais étant donné qu'elle n'apprécie visiblement pas Nilaya, et que c'est là le premier Sekmet que j'ai cité, il y a également possibilité pour qu'elle déprécie plusieurs de ses semblables. Alors je me pose des questions, à savoir pourquoi elle reste dans un clan qui ne lui ressemble pas, ou dont les pairs ne sont pas suffisamment semblables à elle pour qu'elle se trouve des points communs avec eux et qu'elle apprenne à les aimer chacun pour ceux qu'ils sont. Si ça se trouve, elle à dans ses projets de devenir solitaire ? Pourquoi ne pas pousser notre rencontre pour en tirer un jour un quelconque avantage ? Un solitaire ne peut pas cracher sur une éventuelle alliance, et je ne vais certainement pas laisser passer une potentielle bonne entente avec une louve si agréable, autant à voir qu'à écouter.

Elle m'a l'air de réfléchir, comme si ma question la laissait face à un doute immuable. Puis elle se ressaisit, et répond franchement. J'en viendrais presque à regretter de lui cacher des choses et lui mentir depuis le début. Mais non, je ne regrette rien, parce qu'elle ne fait pas partie des miens et que je ne lui dois rien. Je pourrais même me servir d'elle que je n'en ressentirais pas la moindre culpabilité. Mais, à défaut de ne pas avoir de compassion pour elle, je ne ressens pas l'envie de me jouer d'elle. Simplement ce désir d'apprendre à la connaître, de finir un jour par savoir si elle est digne d'avoir un peu de mon attention, si elle mérite que je m'intéresse de près ou de loin à elle. Une curiosité certaine, en soi. Elle me parle d'un loup ne qui elle semble avoir pleinement confiance. Je souris d'un air mesquin, attiré par une nouvelle taquinerie.

- Tu semble avoir confiance en ce loup dont tu parle. Mais est-il fiable au point qu'il te suivrait si quelque chose arrivait, et que tu te voyait dans l'obligation de quitter ta meute ?

S'il est une qualité que je porte fièrement, c'est ma loyauté pour les miens. Au point d'avoir abandonné mon propre père et toute une meute, la sécurité d'un clan, pour suivre ma soeur au bout du monde lorsqu'elle à été trahi par les nôtres. Et je n'ai jamais connu de loup plus fidèle à ses idéaux que moi. Alors, quand j'entends parler de confiance, j'avoue rire doucement parce que, aussi prétentieux que ça puisse paraître, je ne connais pas de loup plus loyal que moi. Et rares sont les loups qui, comme moi s'ils existent, pourraient tout abandonner par simple fidélité envers un autre loup.

- Tu es un solitaire, n'est ce pas ? Tu vis seul ? Tu ne t'ennuie pas parfois ? Je veux dire, rester tout le temps tout seul, ... n'as-tu pas envie de parler à quelqu'un parfois ?

Je souris davantage. Solitaire, ce n'est pas le mot. Et vivre seul n'est pas non plus valable pour moi. Preuve que j'ai véritablement bien caché les informations me concernant depuis le début de notre rencontre. Moins elle en sait sur moi, et mieux c'est. Je n'ai aucune confiance en elle, et aucune raison d'en avoir, d'ailleurs. Je ne la connais pas, et je suis bien placé pour savoir que les Sekmets sont des manipulateurs par nature, et que toute rencontre semblant agréable peut tourner au carnage d'une seconde à l'autre.

- Je dirais plutôt que je suis un indépendant.

Je tire profit des situations qui se présentent et c'est tout ce qui m'intéresse. Après tout, survie oblige, non ? Parler à d'autres, certes, ça peut parfois s'avérer tentant. Mais jusque là, je n'ai pas rencontré grand monde de suffisamment intéressant pour perdre mon temps avec. J'affiche une mine charmeuse avant de lui faire remarquer qu'en cet instant, je ne suis pas seul.

- Ne suis-je pas en train de discuter avec toi ?

Il y a une chose que je vois clairement dans le regard de la jeune louve. C'est la confiance, cette lueur cristalline qui brille dans ses yeux noisettes quand elle parle de son ami, et je comprends qu'elle croit dur comme fer en leur amitié, leur fraternité ou leur couple. Car après tout, j'ignore qui est ce loup pour elle. Pas que ça m'intéresse plus que ça, après tout, mais je n'ai pas l'intention de juger ses relations alors même que je ne connais pas son nom. Tout ça ne me concerne en rien. Je reconnais dans sa voix franche qu'elle ne laisse planer aucun doute sur leur relation, et je pense qu'elle me défie même d'oser prétendre une quelconque possibilité de trahison de l'un ou de l'autre. Je souris, mais je n'ajoute pas un mot. Si je me sais le loup le plus loyal au monde, je respecte la confiance mutuelle que peuvent se porter mes semblables même si je n'y crois jamais franchement. Mais après tout, libre à eux d'avoir foi en ce qu'ils veulent. Moi, je crois en l'avenir de ma soeur, et en la vengeance que je pourrais bientôt réaliser contre la meute que je haie tant. Contre mon père. Visiblement, la jeune femelle immaculée a décidé de laisser de côté sa naïveté pour analyser enfin mes paroles les unes après les autres. Elles ignore royalement mes dernières répliques, pour porter mon attention sur un sujet qui visiblement, lui tient à coeur. Je vois dans son regard, remplaçant la lueur brillante de tout à l'heure, un désir brûlant d'en savoir plus. Elle me demande si je connais la Horde, mais cette question reste une affirmation silencieuse à laquelle elle ne me demande pas de réponse. Elle enchaîne aussitôt pour me demander mon avis sur leur cas. Alors que je tournais tranquillement autour d'elle depuis de longues secondes, je m'immobilise face à elle, le regard luisant de curiosité, et je m'assois dans un sourire complaisant.

- C'est une aubaine pour moi, évidemment. Enfin l'occasion de me venger de ce que m'ont fait subir les tiens.

Je suis peut-être joueur, mais je ne suis pas un menteur. Et si j'aurais pu de nouveau détourner ma réponse pour lui cacher la vérité sans lui raconter de salades, je m'en abstiens. Pour moi, notre petite plaisanterie à assez duré. Si elle veut savoir des choses, qu'elle les demande maintenant. En revanche, je bannis au fin fond de ma mémoire les informations compromettantes concernant la Horde, particulièrement la désorganisation totale, voire anarchique de ses membres ; ainsi que la présence en son sein de ma soeur jumelle qui, si je révélais son existence, deviendrait rapidement un moyen de pression sur moi. Parce que si Kaya est la plus belle chose qui me soit arrivé en ce monde, elle est également ma plus grande faiblesse. Quoi de mieux pour atteindre un combattant, que de détenir l'être le plus cher à son coeur ? S'il advenait que ma soeur se faisait enlever, je serais et ce malgré toutes mes promesses d’allégeance à Skull, à la merci totale de ses ravisseurs. Et ça, jamais. Je ne suis pas le genre de loup qui se joue d'être sous les ordres d'un autre. Je ne suis pas ce genre qui ressent le besoin viscéral de recevoir des ordres pour se sentir exister. Je n'ai jamais eu besoin que de ma soeur à mes côtés, et si je suis sous les ordres de Skull à l'heure actuelle, c'est uniquement pour servir mes propres objectifs. D'autant que j'ai eu le loisir de constater qu'elle n'a rien d'une Alpha. Elle n'est qu'une mercenaire qui avait besoin de larbins, et qui a trouvé en ses sanguinaires de la chair a canon toute trouvée. Ce n'est certainement pas avec cette bande d'incapables et cette organisation de "meute" chaotique qu'elle mettra le monde à feu et à sang, et je lui ai d'ailleurs clairement fait remarqué. Ca, et le fait que Kaya et moi ne participerons pas à des batailles perdues d'avance. Je suis sous ses ordres, mais je ne suis pas une pantoufle que l'on traîne où bon nous semble. J'ai le bon sens que les Sekmet n'ont pas, moi au moins.

Il lui faut un certain temps de réflexion. Elle me toise de manière insistante et j'en déduis qu'elle cherche à comprendre ce que j'ai insinué là. Ou alors elle a déjà compris ce que mes paroles impliquent, et elle tente de mettre mentalement des mots sur ses pensées avant de les partager avec moi. Contre toute attente, elle quitte définitivement le sentier amical et dévie la conversation sur de belles insultes, qui me font d'abord sourire. Bon, certes elle a le droit de m'insulter, puis-qu’après tout, je suis en train de lui annoncer qu'on a beau s'être bien amusé tous les deux, j'ai dans mes projets de rejoindre un clan qui, pour sa part, à prévu de détruire sa meute à elle. D'un autre côté, je ne m'attendais pas à une réaction aussi impulsive. Comme elle l'a fait depuis le début, j'aurais pensé à un peu de sarcasme ou une quelconque provocation supplémentaire. Mais visiblement, notre petit jeu est bel et bien terminé. Elle a décidé de jouer sur la franchise et elle continue sa tirade, comme pour appuyer ses premières insultes.

- Tu le savais. Depuis le début, tu le savais ! Tu allais rejoindre la Horde pour combattre les Sekmets, pour me combattre, et tu as quand même joué ton foutu petit jeu de drague à la con ! T'es un connard, c'est tout c'que t'es.

Je me lève, m'approche d'elle et la détaille. Elle est furieuse, à n'en pas douter. Elle m'en veut de lui avoir caché la vérité, mais elle n'a pas encore compris toute l'étendue de la situation.

- Allons, ne sois pas si fâchée. Je n'ai pas l'intention de les rejoindre, je fais déjà parti de leurs rangs.

Une vérité dure à entendre, mais pas moins vraie. Avant qu'elle ne me saute à la gorge, je préfère continuer sur ma lancée.

- Cependant, je ne suis pas simplement un chien de guerre sous les ordres de Skull. Comme je te l'ai dit tout à l'heure, je suis un indépendant. Elle a gagné ma force, mais je ne la servirais que lorsque ses objectifs auront un lien avec les miens.

Parce que c'est vrai, et Skull le sait autant que moi. Je suis à ses côtés, avant tout pour protéger ma soeur. Les combats que je mènerais n'auront pour objectif que sa survie à elle.

- Malheureusement, ça inclue effectivement qu'un jour, je ferais partie des combats contre les tiens. Mais avant d'abattre tes amis, j'ai un visage en tête et je ne tuerais les tiens que s'ils m'empêchent de parvenir jusqu'à lui. Je ne suis pas un psychopathe. J'ai seulement une vengeance à réaliser et je n'aurais de repos que lorsque ce visage sera figé par la mort.

Je réalise que j'en ai déjà beaucoup trop dit, mais il est trop tard pour revenir en arrière. Et puis soit, au moins elle connait mes intentions. Je ne suis pas un loup dénué de bon sens. J'ai seulement quelqu'un à tuer, et seul je n'ai aucune chance face à une meute telle que les Sekmets.