Le jeune mâle est furibond, et malgré son inexpérience il se bat avec force et témérité. Nous nous affrontons sans pitié, l'un assénant à l'autre des coups toujours plus violents, sans jamais avoir pitié de son adversaire. Lorsqu'il me mord furieusement, je me débats à coups de pattes puissants et enfonce mes crocs dans son pelage, moi aussi. Le combat semble durer une éternité, alors qu'en réalité il se passe si peu de temps. Nous sommes tous deux acharnés, décidés à faire battre l'autre en retraite. Il n'a pas la moindre chance face à moi, mais il à l'intelligence d'ignorer volontairement cette réalité pour se battre jusqu'au bout, dépasser ses limites. S'il n'était pas l'un de mes ennemis, je serais presque fier de lui, de voir à quel point il protège les siens sans se soucier de sa propre santé. Il est un loup honorable, probablement. Pas de chance qu'il m'ait moi, en face de lui. Lors du combat, chacun rend à l'autre les coups qu'il reçoit. Mais aucun ne se décide à laisser gagner l'autre.

Et alors que je tiens fermement sa nuque entre mes crocs, l'Esobek se blesse davantage en se positionnant de manière à enfoncer plus profondément sa chair tendre et sanguinolente dans ma gueule. Il ignore la souffrance avec superbe, je ne peux le nier. Une telle morsure doit être atrocement douloureuse et pourtant, il parvient à réfléchir suffisamment pour enserrer mon avant-bras dans ses mâchoires. Il gronde, hors de lui et dans sa voix, je perçois aussi la douleur intense qu'il doit encaisser. Mais moi aussi, je gronde. Je mêle ma voix à la sienne pour évacuer la douleur des élancements dans ma patte. Sa morsure est sèche, bien placée. Il tient mon os entre ses dents mortelles, et je sais qu'en un mouvement bien réfléchit, il serait capable de briser mon os. Et il ne bouge plus, il attend certainement que moi, j'abandonne. Il se trompe lourdement, et me connaît si mal qu'il me sous-estime. Grondant, je resserre mes dents sur son échine et dans le même temps, il fait de même sur mon os si fragile. Il n'y a qu'une issue.

Appuyant tout mon poids sur ma patte prisonnière, je viens caler ma seconde antérieure sur la gueule du jeune mâle, enfonçant le tout dans la neige froide et sanglante. J'appuie sur les os de ses mâchoires. Malgré la douleur, je continue d'appuyer jusqu'à risquer de lui casser un croc et quelques dents l'entourant, et ce n'est que lorsqu'il est forcé d'ouvrir sa mâchoire que je retire vivement ma patte sans lâcher sa nuque. Je le garde sous mon emprise ainsi de longues secondes, attendant qu'il étouffe comme le ferait une vulgaire proie, et finalement c'est la voix d'Appledore qui me sort de ma transe. Je relève brusquement les yeux, réalisant seulement qu'autour, les combats ont cessé. Le regard de mon jeune comparse est lourd de sens, et mes oreilles se dressent dans sa direction alors que mon corps est bloqué sur celui de ma victime. Il me réprimande comme l'aurait fait mon père autrefois, mais sans la violence qui allait de paire avec les mots. Je fixe les autres loups, puis je relâche ma prise en tardant.

Appledore fronce le regard, visiblement je ne vais pas assez vite pour lui. Il insiste sur les ordres de notre Alpha, et je n'ai d'autre choix que d'abandonner là ma victime dans un état lamentable ainsi que mes "amis", pour m'éloigner sans un mot de plus avec mon jeune compagnon. Je ne laisse alors pas mon regard se poser ne serait-ce qu'une dernière fois sur le groupe de loups. C'en est terminé pour moi, je n'ai plus rien à faire ici et il semblerait que les autres combattants aient également décidé de cesser leurs combats. Déjà, les Esobeks les plus forts se soutiennent pour repartir. Ils n'auront plus qu'à ramasser les déchets de leur inexpérimenté protecteur. Boitant suite à sa morsure qui m'a malgré tout laissé des traces, je m'éloigne aux côtés d'Appledore et nous disparaissons dans les sous-bois. Si Skull ordonne, Isha obéit.