En un instant, le désespoir d'un monde ravagé par la haine s'ouvrit sous ses yeux. Une haine dévorante qui vous ronge jusqu'à la moelle. Qui pourrit dans vos artères, vous rend ignoble, cruel, méprisant. Qui avait grandi dans son coeur pour ne faire qu'un avec son âme. Dans quel monde répugnant devait-il vivre ! A chaque pas, un léger nuage de cendre ternissait son poil, emplissait ses poumons d'une putride odeur de Mort. Car dans ce lieu maudit, tout avait péri. A la fois faune et flore. Il ne restait ici qu'un amas de cendres, de poussières irrespirables, alors qu'autrefois, il y grouillait sûrement la vie. Alors, c'était donc ça, le résultat d'une vie dépravée ? Un profond vide noirâtre laissé par le temps où l'on vous écrase, vous piétine, sans ne plus jamais remarquer votre âme ? Une vaste inutilité. Tout comme Hyden.

D'un regard, le jeune loup balaya la zone, à la recherche d'un abri. La chaleur étouffante du lieu l'oppressait et la faim qui tiraillait son estomac le faisait vaciller. Mais évidemment, il n'y avait rien. Rien que des pins grillés jusqu'à l'os, panés de tout côtés par les flammes ardentes de l'enfer. D'un mouvement nerveux, il traîna sa patte inutile dans un effort familier, sur quelques mètres supplémentaires et s'assit péniblement, la langue pendante. A la chaleur et la faim s'était ajoutée la soif. Quelle idée de partir à l'aventure, à peine remit de ses blessures ? Certes, cela avait été stupide, mais comment aurait-il pu supporter une seule minute de plus la présente abrutissante de tous ces toutous gâtés de bonne fortune ! Il devait chasser. Mais il était faible. Soudain, une odeur qu'il connaissait bien attira son attention. Une odeur savoureuse qui rimait forcément avec un bon repas. Alors, clopinant, il se mit en chasse.

Rampant, tout en traînant sa patte le plus silencieusement qu'il le pouvait, il huma longuement l'air mêlé de cendres, à la recherche d'un rongeur quelconque à gober. Toutefois, ce fut sans trop d'espoir mais l'eau à la bouche qu'il se mit à roder autour d'un buisson. Il ne savait pas vraiment chasser, mais son instinct naturel le poussa à se tapir dans l'ombre. Soudain, une ombre jaillit, aussi minuscule que rapide, et le loup bondit dessus aussi bien qu'il le pouvait. Hélas, son impulsion fut bien courte, ainsi victime d'une poussée trop faible. Maladroitement, il tenta de plaquer ses pattes sur le rongeur, mais ne parvint qu'à glisser et atterrir le museau dans les cendres dans un gémissement de colère. Quel nul ! Il n'était même pas capable de chasser un vulgaire mulot ! Il devait se ressaisir. Il devait recommencer. Mais une autre fois.
La faim tenaillant toujours son estomac, il se traîna, soufflant de douleur, vers un nouveau buisson. Mais alors qu'il allait se laisser aller à un sommeil réparateur, le pelage toujours recouvert d'une épaisse couche de cendre due à sa chute, un craquement de branche retentit tel un orage en plein désert. Se relevant précipitamment, il huma de nouveau l'air, qui lui apportait une mauvaise nouvelle. Il n'était pas seul. Et l'intrus était sur des terres qui n'était pas les siennes. Hanté par des souvenirs trop proches pour être oublié, il se tapit dans l'ombre à nouveau, aidé par les cendres, et et guetta quelques instants. Soudain, quelques secondes plus tard, l'intruse, car c'était une femelle, bondit sur un mulot, et le rata tout comme lui. Une lueur hargneuse dans le regard, Hyden l'étudia une seconde. Grande. Forte. Plus âgée. Toutes ses pattes. Il n'avait aucune chance. Toutefois, il ne pouvait pas se permettre de laisser une inconnue se nourrir des proies de sa meute. Car, dans cette meute, il semblait qu'il avait été accepté. Au moins pourrait-il s'y nourrir un moment avant de déguerpir quand leur garde-manger sera résolument vide. Mais pour l'instant, il devait jouer le membre parfait. Même s'il ne l'était pas le moins du monde.

D'un grognement sourd, de ceux qui terrifient toujours, il attira l'attention de l'intruse, tout en continuant à la fixer de ses yeux bleus mêlés de vert. Il n'était pas fait pour un meute. Il était libre. Sauvage. Et s'il le fallait, il la boufferait vivante. Après tout, ce n'était qu'une de ces ignobles créatures ayant l'incroyable don de torturer toute créature l'entourant.
D'un pas muet puis d'un autre, il sortit des ténèbres, en position offensive, bien que traînant de la manière la moins perceptible qu'il pouvait sa patte inutile, et gronda de nouveau. Bien qu'il voulut l'ignorer, en lui battait le sang d'un loup de meute, qui se devait de protéger le territoire des siens. Dans son crâne, lui, vibrait en boucle le mot liberté, qu'il tâchait d'ancrer dans ses gênes à grand coups de pensées. Alors, découvrant les crocs, il s'approcha, ne laissant résonner qu'un sombre avertissement, et fit face à cette intruse, le regard perçant, le souffle aride, l'âme d'un démon.