Je suis juste un sanglier comme les autres. J’essaie de survivre dans un monde dévasté, constamment en compétition avec mes pairs et à la recherche de toute la nourriture que je peux trouver … A quand remonte la dernière fois où j’ai mangé un repas digne de ce nom ? Mmmmh je me rappelle encore de ces délicieuses carottes que j’avais chipé chez les humains il y a un an ou deux. Un délice ! Je n’ai jamais mangé rien de tel depuis.

Mais je m’égare. Désolé, je ne suis pas doué pour raconter les histoires. Il faut dire qu’il est très rare que les gens de mon espèce le fassent ; nous n’avons aucune oreille pour nous écouter. Les gens préfèrent entendre des histoires de loups et autres bêtes majestueuses. Nous ? Nous ne sommes que des proies, des êtres considérés comme inférieurs juste parce que d’autres nous mangent. Nous sommes trop occupés à survivre pour être des héros. Aucun de nous n’a même de nom.

D’ailleurs, si cette histoire que je vous conte aujourd’hui vaut la peine d’être retranscrite, c’est parce que je suis entré en contact avec un de ces loups … Et n’en ai pas réchappé. Mais c’est une histoire qui sera vite oubliée ; elle restera dans les mémoires quelques jours, et puis on m’oubliera. On oubliera que j’ai existé.
Quel triste sort qu’est le mien.

Je ne l’ai même pas vu s’approcher. Aveuglé et à bout de souffle que j’étais à cause de la cendre qui envahissait l’atmosphère. La douleur fulgurante que je ressenti lorsqu’il planta ses crocs dans ma cuisse m’arracha un cri de douleur. Je savais que c’était la fin, que je n’avais aucune chance de m’en sortir, et pourtant je ruai pour me débarrasser de mon bourreau. J’allais peut être mourir, mais je n’allais pas perdre la bataille sans même avoir combattu.

Je ruai pour me dégager de son emprise, et ses crocs libérèrent ma chair dans un nouvel éclat de douleur. Après quelques secondes, il bondit de nouveau vers moi, mais je le repoussai d’un coup de groin dans le flanc qui l’envoya un mètre plus loin. Et il retomba sur ses pattes, tel un chat alors que je m’effondrai, ma patte meurtrie incapable de supporter mon poids. Il en profita, bien sûr, et n’attendit pas pour bondir à nouveau vers moi et finir le travail en plantant ses crocs dans mon cou.

Mes yeux et les siens se rencontrèrent un instant avant que ma vie ne s’éteigne. Il avait les plus beaux yeux que j’aie jamais vus, leurs iris émeraude reflétaient une profonde sagesse, et semblaient implorer mon pardon. J’aurais aimé lui dire que je le pardonnais et que je le comprenais. J’aurais aimé lui dire que mon histoire n’était d’aucune importance comparée à la sienne. J’aurais aimé lui dire tout cela, et bien plus encore. Mais après tout, je n'étais rien qu'un sanglier.