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Ils sont bien ici. Parfois, des mouvements viennent de l'extérieur, les poussant, les massant contre les parois. Parfois, il étire son corps et percute une autre masse, minuscule comparée à lui. Il s'agite, remue dans tous les sens mais il n'est pas conscient de ce qui se passe, il n'est pas conscient de sa propre existence. Mais depuis quelques jours, quelque chose les dérange. Le corps protecteur les repousse, les violente à certains moments. L'autre masse s'est affaiblit avec les contractions des jours précédents, et celles qui ont lieu aujourd'hui sont les plus brutales, les plus douloureuses. Alors, il ouvre parfois sa petite gueule, sans le savoir, sans y réfléchir, et aucun son ne sort à travers le liquide qui emplit ses poumons noyés. Mais, alors qu'il est clairement réveillé par le grabuge au dehors, quelque chose se passe. Il se sent déplacé, violenté, rejeté. Le corps protecteur ne veut plus de lui en son sein, et il est attiré dans un passage étroit où sa petite masse est comme broyée de tous les côtés. Il faut un temps interminable pour qu'enfin les douleurs cessent dans ses os et ses membres.
Mais alors que les souffrances ont cessé dans son corps, c'est au plus profond de ses organes que la violence refait surface. Il ouvre la gueule et une brûlure infinie s'empare de ses poumons, l'arrachant définitivement au confort inconscient de l'utérus maternel. Alors, le premier réflexe de survie, le hurlement de la douleur, s'échappe enfin du fin fond de sa gorge. Son premier cri. Et puis, salvatrice, la chaleur humide de quelque chose de mou qui vient le frotter avec ardeur. Il piaille encore, de plus belle, mais il se sent mieux à chaque nouveau contact. Un jour, il oubliera toutes ces souffrances. Un jour, l'odeur d'un père et d'une mère seront une identité propre dans sa mémoire, et demeureront à jamais gravées. Mais pour l'heure, c'est l'effluve sucré et chaud de la rédemption qui enivre ses narines, et alors que son corps est poussé vers une nouvelle masse chaude et velue, son second réflexe de survie prend le dessus sur tout le reste : la succion. Sa petite gueule s'ouvre, attrape frénétiquement l'un des boutons tendres qui l'appellent, et il se met à téter goulûment le liquide vital qui s'en échappe.