Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Kira avait fait une erreur. Une grave erreur même. Sur les terres de son ancienne meute, elle savait exactement où se trouvait la tanière. Mais ici elle n'avait aucune tanière. Et maintenant que le soleil se couchait, elle ne savait où s'abriter. Sentant la panique guetter le moindre signe de faiblesse de sa part, la louve s'arrêta un instant, respira profondément. Si elle ne gardait pas le contrôle elle ne survivrait pas bien longtemps en tant que solitaire. Kira observa les alentours. Sa vue avait déjà considérablement baissée. Il fallait qu'elle trouve un endroit où passer la nuit, et vite. Mais elle ne se sentait nullement en sécurité dans ce village humain. Bien qu'il soit abandonné depuis longtemps, rien n'empêchait les bipèdes de s'y aventurer encore, et elle ne voulait pas se retrouver prise au piège dans l'une de leurs tanières étranges si ils venaient à débarquer. Ils n'auraient alors aucun mal à la tuer, ou pire, à la capturer. Il fallait qu'elle sorte de là. Mais ici, tout se ressemblait et la louve n'était pas sûre du chemin à prendre. Elle pourrait suivre sa propre piste pour revenir sur ses pas, mais cela ne servirait à rien puisqu'elle n'avait rien trouvé d'intéressant auparavant. Elle devait avancer, finir de traverser cet endroit. La louve avança encore un moment, sans trop savoir si elle avait pris la bonne direction. Mais au fur et à mesure, à chacun de ses pas, le soleil baissait et disparaissait derrière l'horizon. Bientôt il laisserait place à la nuit, et alors elle serait plongée dans l'obscurité la plus complète, à la merci de tous les dangers environnants. Soudain, elle distingua une ombre plus loin, devant elle. Plissant les yeux en vain, elle remarqua tout de même qu'il s'agissait d'un loup de forte stature. Kira sentit la peur l'envahir. Était-il gentil ... ou méchant ? Il avançait vers elle, elle ne tarderait pas à le découvrir. «Qui ... qui es-tu ?», bégaya-t-elle d'une voix tremblante. Elle n'eut pas de réponse tout de suite. L'inconnu avançait d'un air calme, mais déterminé. Tout ce qu'elle put voir avant que la lumière du soleil ne la rende aveugle au monde autour d'elle, ce fut deux yeux émeraude, fixés sur les siens.
On peut dire que je suis d'une humeur de chien, et c'est bien peu de l'exprimer ainsi. J'ai survécu. Survécu à la solitude, à la trahison, à l'abandon et même, aujourd'hui, à la fin d'un univers. Alors oui, je m'estime au-delà de tous les autres loups et je me sais plus fort et plus autonome que n'importe quel autre membre de ma propre espèce. Mais, en plus d'être puissant et indépendant, je suis aussi doté d'un foutu caractère de merde et, pour couronner le tout, je suis vraiment, vraiment de sale humeur. C'est d'un regard embrasé par la colère que je fixe la petite chose qui me fait face à bonne distance. Sombre et frêle, j'aurais pu ne pas la remarquer si elle ne marchait pas en plein milieu du chemin et surtout, si elle ne sentait pas si fort la peur. Je la toise avec hargne, l'envie subite de devenir aussi fou que le chien fou des Navnik, me prend aux tripes. Mais je ne suis pas ainsi. Je n'ai rien d'un taré sanguinaire, je ne suis qu'un emmerdeur de première. Alors je m'avance d'un pas sûr, la toisant de toute ma hauteur, et je la détaille comme si elle était déjà morte. Comme si elle n'était rien.
Sa voix hésitante et chevrotante finit d'attiser ma haine. Je lui balance une gifle monumentale dans la face, griffant sa peau au point de faire apparaître le sang à sa surface. Sa tronche démunie me fixe d'un air ahuri, et je continue de la fixer avec autant de rage que si elle avait attenté à ma vie par le passé. Et puis, aussi brutalement que je l'ai frappée, je lui lance un sourire immense, aussi sincère que narquois. Je m'approche un peu plus près pour lui lâcher quelques mots sur le ton de la confidence.
- Fais pas cette gueule de victime, tu s'ra morte demain matin de toute façon, vu ton attitude de perdante.
S'il m'est venu à l'idée de l'aider ? Non mais puis quoi encore ? Elle a déjà décidé qu'elle allait mourir, ce n'est certainement pas à moi de lui donner confiance en elle, j'suis pas sa mère !
Alors que le monde s'effaçait totalement aux yeux de Kira, elle reçut un puissant coup de patte sur le museau. La louve sentit les griffes de l'inconnu lui arracher la peau, laissant une grande estafilade sanguinolente sur leur passage. Elle laissa échapper un glapissement de douleur en reculant de quelques pas, la queue entre les pattes et l'échine courbée. Elle plaqua ses oreilles sur son crâne, tentant de se faire la plus petite possible, et écarquilla les yeux dans la direction vers laquelle devait se trouver le mâle. Mais elle ne pouvait le voir, elle ne pouvait se repérer au sein de la nuit, son éternelle ennemie. Soudain, elle sentit un souffle chaud près de son oreille et entendit les paroles de l'inconnu. «Fais pas cette gueule de victime, tu s'ra morte demain matin de toute façon, vu ton attitude de perdante., dit-il d'un ton amusé. Il se recula ensuite. Kira aurait voulu hurler, appeler à l'aide, mais elle était pétrifiée par la peur. Que lui voulait-il ? Pourquoi l'avait-il frappée ? Elle regrettait tout à coup d'avoir quitté sa meute, la sécurité de sa tanière et le pelage doux de sa mère contre elle lorsque la nuit étendait son emprise. Ici elle n'avait rien pour se défendre ni se protéger. Allait-elle mourir cette nuit ? Elle n'en savait rien, mais son instinct lui hurlait de réagir, de faire quelque chose. Mais quoi ? Elle tournait la tête en tous sens, tentant de repérer où pouvait bien se trouver l'autre solitaire. En vain. Elle n'entendait que son propre souffle, rendu haletant par son angoisse. Soudain, comme animée par un vieil instinct de survie, Kira fit volte-face et s'élança à tout hasard dans le noir. Elle courait le plus rapidement possible, ventre à terre, espérant que l'inconnu abandonnerait l'idée de l'embêter. Ne pas voir sa progression était une sensation horrible. Elle avait l'impression de ne pas avancer, de courir sur place alors même qu'elle entendait ses pattes marteler les pavés du vieux village. Mais elle eut rapidement une autre indication. Elle heurta avec violence un mur de pierre qu'elle n'avait évidemment pas vu arriver, la tête la première. Poussant un autre glapissement de douleur, elle s'écroula au sol, légèrement sonnée. Reprenant ses esprits, elle recula en rampant jusqu'à être bloquée par un autre mur. Longeant ce dernier, elle se rendit bien vite compte qu'elle était dans une impasse. Kira se blottit dans le coin, tremblante comme une feuille. Elle voulait rentrer chez elle. Elle voulait retourner auprès de sa meute et dormir auprès de sa famille, dormir jusqu'au matin pour ouvrir les yeux et voir la lumière du jour la libérer de son handicap. Mais elle était là, recroquevillée contre un mur de pierre froide, seule, à la merci d'un loup qui ne lui voulait que du mal, le regard fixé sur les ténèbres qui l'entouraient et l'étouffaient. Elle ne voulait pas mourir comme ça, elle voulait voir la lumière du jour, juste voir, tout simplement. Le noir la terrorisait depuis toute petite, mais avec le temps elle avait réussi à calmer cette peur. Mais désormais, elle avait l'impression d'être redevenue un louveteau d'à peine deux mois. Guettant le moindre bruit, elle tentait de calmer sa propre respiration. Elle resta immobile un long moment sans que rien ne se passe. -Il est parti ..., murmura-t-elle à elle-même. Il est parti.» Elle tentait de se rassurer, de se dire que le pire était passé. Mais une étrange sensation lui disait que ce n'était pas le cas ...
Elle ne réagit pas. Pire, si elle pouvait se terrer au fond d'un trou, elle le ferait sans hésiter, je le vois à son attitude. Elle transpire la peur, elle est tétanisée par l'appréhension du monde. Elle est seule et vulnérable, et je suis fou de rage. Encore une qui s'est fait larguer par ses vieux. Je pourrais presque me prendre de pitié pour elle. Mais elle n'est rien pour moi. Rien qu'un caillou sur mon chemin. Et puis, avant que j'aie le temps de l'insulter grassement ou de lui flanquer un autre coup, la gamine s'élance dans l'obscurité, fuyant pour sa vie. J'écarquille les yeux. Pendant une seconde, je suis prêt à la laisser s'échapper. Je suis prêt à oublier son existence. Et puis, je me rappelle mon angoisse, ma propre peur il y a trois ans de cela. Je sais ce qu'elle vit. Je sais ce qu'elle ressent et, malgré la colère sourde qui brûle en moi, je la comprends. Je m'élance à sa suite sans plus attendre. Je me concentre sur la course saccadée de l'inconnue. Bientôt, un choc sourd me fait freiner des quatre pattes. J'hésite entre une détonation et un heurt. Aurait-elle percuté quelqu'un d'autre ? Un adulte de sa meute qui la cherchait ? J'avance désormais à pas de loup, je la traque à l'odeur et ne perçois celle d'aucun autre. Et lorsque je la retrouve, tétanisée dans un coin de mur, l'évidence s'élève : personne. Non bien sûr, aucun adulte ne la cherche. Comme moi, elle n'est qu'un bébé, une bouche de plus à nourrir. Alors sa disparition n'a marqué personne, tout comme moi. Elle semble complètement perdue. Complètement seule. Et l'espace de cet instant, je suis pris de compassion. Je la fixe longtemps avant de me décider. Je devrais la laisser là, mais je vois en elle un peu plus finalement, qu'un cadavre mouvant. Je m'avance, lui bloque la seule issue.
- Trouvée.
Son corps tressaute, et la peur emplit de nouveau mes narines. Je la fixe d'un air dur, impitoyable.
- Allons, est-ce ainsi que tu remercie ceux qui t'ont abandonnée ? En pleurnichant dans un coin ? Vas-tu leur donner raison de t'avoir condamnée ?
Et puis quoi encore ? Deviendrais-je sentimental ? Non, ce n'est que ma revanche sur la vie et tout ce dont elle m'a privé.
Kira ne bougeait plus d'un poil. Elle essayait de ne pas faire de bruit, de ne pas se faire remarquer, mais son souffle saccadé trahissait sa position et, contrairement à elle, le mâle voyait très bien lui. Les quelques secondes qui suivirent lui semblèrent être des heures. Et soudain, une voix qui lui glaça le sang se fit entendre juste devant elle. «Trouvée. Kira se ratatina dans son coin. C'en était fini d'elle, elle allait mourir ici parce qu'elle était trop faible, trop bête. Elle regrettait amèrement de ne pas avoir trouvé d'endroit pour passer la nuit. Si seulement elle n'avait pas entrepris de traverser ce village alors que le soleil se couchait déjà à l'horizon alors rien de tout cela ne serait arrivé, elle serait en train de dormir tranquillement et se serait levée aux premières lueurs du jour, en pleine possession de ses moyens pour reprendre son chemin. Elle aurait vu l'inconnu au loin, aurait pu l'éviter en faisant un détour. Mais rien de tout cela n'allait arriver. Elle allait juste mourir loin de tout, seule. -Allons, est-ce ainsi que tu remercie ceux qui t'ont abandonnée ? En pleurnichant dans un coin ? Vas-tu leur donner raison de t'avoir condamnée ? Les tremblements de Kira se calmèrent un peu. L'inconnu avait parlé d'un ton dur, mais il semblait moins énervé qu'auparavant. Avait-elle une chance, la moindre petite chance de s'en sortir ? Même si elle ne pouvait le voir elle savait grâce à sa voix qu'il se tenait juste devant elle et lui empêchait toute fuite. Elle était bloquée dans cette impasse, entre un mur et un loup qui allait potentiellement l'étriper si elle tentait quoi que ce soit. Retrouvant le peu de courage qui se terrait au fond d'elle, Kira se redressa quelque peu, restant toutefois sur ses gardes et alerte. Elle poussa un petit grognement qui se voulait impressionnant mais qui ne l'était nullement. -On ne m'a pas abandonnée., dit-elle d'une voix encore hésitante. Laisse-moi partir maintenant.» Elle se doutait que la compassion ne faisait pas partie du vocabulaire de l'étranger, mais elle ne pouvait se résoudre à le laisser la vaincre sans rien tenter. Elle devait partir, elle voulait vivre. Mais pour cela elle allait devoir vaincre ses peurs. Encore une fois.
Elle est mon échappatoire à un monde que j'ai laissé me dévorer pendant bien longtemps. Elle est ma dernière chance de prendre ma revanche, et je n'ai pas l'intention de la laisser partir avec mes derniers espoirs. Alors, dans un grondement léger et continue, je la fixe sans détourner le regard. Je la fixe comme si je la menaçais, mais en réalité je cherche à réveiller chez elle ce que j'ai mis bien longtemps à découvrir autrefois : l'instinct. Elle en aura besoin.
Il lui faut du temps. De longues, d'interminables secondes avant d'enfin bouger son corps dont les tremblements perdent un peu d'intensité malgré ma présence menaçante face à elle. Je continue de la dévisager et je continuer de gronder en sourdine, comme pour lui rappeler, l'empêcher d'oublier qu'elle n'est pas seule. Le monde est prêt à la dévorer à chaque instant. Si ce n'est pas moi, ce sera un autre. J'aime autant que ce soit moi.
- On ne m'a pas abandonnée. Laisses-moi partir, maintenant.
C'est à peine si elle ose ouvrir sa gueule. C'est à peine si elle ose respirer alors que je suis là, si prêt, aux aguets. Je la toise comme une pauvre chose inerte et inutile. C'est ce qu'elle est. Mais, derrière son regard vide et ses membres chevrotants, je vois ce que le monde entier n'a pas su voir chez moi à l'époque : le potentiel. Je rejette légèrement ma tête en arrière dans un rire narquois.
- Alors comme ça, ta meute traîne dans les parages et attend ton retour ?
Je ne lui laisse pas le temps ni d'encaisser cette première tirade, ni le temps d'y répondre. Que dirait-elle, de toute façon ? Je suis partie moi-même ? Ils me cherchent ? Je suis en mission ? Laisses-moi rire, et laisses-moi ensuite gerber tes mensonges dans les graviers qui recouvriront ton corps pourrissant. Je la fixe durement, je reprends mon air mauvais.
- Alors quoi ? Où sont les adultes qui sont sensés veiller sur toi ? Où sont ceux qui devraient t'aimer, te protéger ?
Je recule un peu, comme pour libérer le passage.
- Vas. Retrouves vite les tiens qui tiennent tant à toi. Tu semble si épanouie, il serait dommage que tu dessine toi-même un autre Destin si celui-là te convient.
Je la nargue volontairement, je la pousse à douter. Parce que le doute, elle n'aura plus le droit de le considérer à l'avenir.
«Alors comme ça, ta meute traîne dans les parages et attend ton retour ?, se moqua le solitaire. Alors quoi ? Où sont les adultes qui sont sensés veiller sur toi ? Où sont ceux qui devraient t'aimer, te protéger ? Excellente question ... Maintenant qu'elle avait quitté la meute, Kira se rendait compte qu'elle était totalement seule. Personne pour la protéger, pas d'adulte pour veiller sur elle. Personne pour l'aimer. Mais l'avait-on aimée un jour ? Sa mère et son père sans doute. Mais il était normal pour des parents d'aimer leurs petits, non ? Quand aux autres, elle préférait ne pas se poser la question. Rien que penser à ce que lui avait fait Isanagi la mettait à la fois dans une profonde tristesse et une immense colère. Un bruit. Il a bougé. A-t-il reculé ou avancé ? Kira ne saurait le dire. Ce qu'elle sait c'est qu'elle n'est plus sûre de sa position. Mais un petit courant d'air lui indique qu'il ne bloque plus le passage. Mais pourquoi ? Pourquoi lui laisserait-il un échappatoire ? -Vas. Retrouves vite les tiens qui tiennent tant à toi. Tu semble si épanouie, il serait dommage que tu dessine toi-même un autre Destin si celui-là te convient. Kira n'osait toujours pas bouger, mais ses tremblements avaient cessé. Il la laissait partir, tout simplement. Elle n'osait toutefois toujours pas y croire. Elle se redressa légèrement. -Je ... je ne peux pas.», bafouilla-t-elle. Le doute s'installait en elle ... ne pouvait-elle pas ? Ou ne voulait-elle pas ? Et puis elle n'y comprenait plus rien. Pourquoi le solitaire la laissait repartir maintenant ? Etait-ce un piège ? Probablement ... Ou alors il était gentil au fond. La jeune louve en doutait fortement, mais c'était une possibilité. Néanmoins, quelque chose au fond d'elle lui disait de se méfier. Aussi resta-t-elle immobile encore un instant. Qu'allait-il lui dire si elle ne bougeait pas ? Elle espérait qu'il partirait de lui-même, qu'il la laisserait tranquille pour qu'elle puisse ensuite s'en aller sans aucun risque, sans avoir à surveiller ses arrières.
Je la fixe toujours et, puisque dans l'obscurité elle ne perçoit pas mon regard, je la remercie intérieurement de s'être caché dans ce trou à rat. Ça lui évite de percevoir le désir que j'éprouve de la faire mienne. Elle ne peut ainsi se rendre compte à quel point j'ai besoin d'elle, plus qu'elle n'a véritablement besoin de moi. Elle est mon évidence, le chemin de la gloire dont on m'a longtemps privé. Du peu de lumière que j'ai, je perçois son hésitation.
J'étire un sourire satisfait alors que je constate à quel point elle doute. D'elle-même, d'abord, mais aussi et surtout de ses proches. Viendront-ils ? La cherchent-ils ? Au fond, elle connait déjà les réponses à ses questions qui lui semblent aujourd'hui existentielles. Mais pour l'avoir vécu avant elle, je sais que dans quelques mois ses souvenirs douloureux ne seront plus que des pages brûlées de son histoire. Et elle écrira elle-même la suite.
- Je ... je ne peux pas.
- Bien évidemment, que tu n'peux pas, mouflette. Où voudrais-tu aller ? Rejoindre ces loups qui t'ont larguée ? Pour leur dire quoi ? Que t'as faim ? Que t'as eu peur ?
Je regarde vers l'extérieur et je ne bloque plus le passage. Même, je recule un peu pour le libérer davantage. Plus question d'obstruer quoi que ce soit, chemin faisant elle me suivra tôt ou tard. Je lâche un léger grognement alors que la nuit m'appelle et que mon estomac commencer à me rappeler à l'ordre. Depuis combien de temps n'ai-je pas mangé ? Devrais-je faire d'elle mon repas ? Elle serait une bonne alternative à mon ventre creux.
- Les meutes sont ainsi, gamine. Elles t'aiment tant que tu sers. Mais si tu es trop faible, alors tu peux partir, tu n'manques à personne.
Je parle autant pour elle que pour moi, mais peut-être davantage pour moi. Dans une grimace, je me retire totalement du trou mais reste devant l'entrée, sans pour autant l'obstruer.
- J'ai les crocs, gamine. Si t'as faim, t'as qu'à rappliquer. Seule, tu vas crever mais à deux, on peut p'têt' chopper un truc.
Une nouvelle tirade du mâle s'ensuivit aussitôt. «Bien évidemment, que tu n'peux pas, mouflette. Où voudrais-tu aller ? Rejoindre ces loups qui t'ont larguée ? Pour leur dire quoi ? Que t'as faim ? Que t'as eu peur ?, cracha-t-il. Il possédait un franc parler qui intimidait Kira. Mais elle ne pouvait nier qu'il avait raison. Elle avait fui les Aldark et tout le monde avait dû le remarquer désormais, sa mère et Eren devaient la chercher. Que diraient-ils si elle revenait juste comme ça, en disant qu'elle était désolée. Et croiser Isanagi de nouveau l'effrayait. Elle revoyait encore le regard foncièrement mauvais et le sourire sadique de la louve blanche face à elle, tandis que ses griffes l'éraflaient sans pour autant la blesser. Elle avait pensé à tout. Lui faire peur, lui faire mal sans laisser de traces pour que la louve d'ébène puisse l'accuser. Et personne pour appuyer ses paroles, pour la croire. Après tout, Isanagi avait toujours été la petite louve parfaite et gentille que tout le monde appréciait. Tout le monde ? Pas vraiment. Il y a avait Eren. Mais les deux amis auraient-ils pu faire quoi que ce soit pour mettre fin au petit jeu de la louve ? Kira n'en avait aucune idée, et il était trop tard pour y songer désormais. Le mal était fait et elle ne pouvait retourner en arrière, même avec toute la volonté du monde. -Les meutes sont ainsi, gamine. Elles t'aiment tant que tu sers. Mais si tu es trop faible, alors tu peux partir, tu n'manques à personne., lâcha de nouveau le solitaire. La jeune louve sentit son cœur se serrer à cette idée. Même si elle était persuadée que sa famille l'aimait, qu'en était-il du reste de la meute ? Son mentor Astral avait toujours été froid avec elle après tout. Parce qu'elle était incapable de suivre correctement son enseignement, qu'elle était trop lente. Et en y songeant, elle était persuadée qu'il se fichait complètement de sa disparition. Il devait continuer de trier ses fichues plantes dans la même indifférence qui le caractérisait tant, tout en grommelant tout seul. L'indifférence. C'était probablement ce que ressentait toute la meute en ce moment. Ils s'étaient peut-être senti concernés par la fuite de l'une des leurs pendant quelques heures, quelques jours pour les plus sensibles, puis ils étaient retournée à leur morne quotidien, sans se poser de questions. Après tout, ce n'était ni leur Alpha ni leur meilleur guerrier qui avait disparu, juste Kira. Une louve aveugle dans les ténèbres, qui se terrait dans sa tanière à la nuit tombée et qui était toujours apprentie alors que tous les loups de son âge intégraient leurs rangs. -J'ai les crocs, gamine. Si t'as faim, t'as qu'à rappliquer. Seule, tu vas crever mais à deux, on peut p'têt' chopper un truc. Kira sursauta. La voix du loup aux yeux d'émeraude l'avait tirée de ses pensées. Elle en avait presque oublié sa présence. D'ailleurs, elle remarqua qu'il avait encore reculé, sa voix lui semblait un petit peu plus lointaine qu'auparavant. D'ailleurs, que venait-il de dire ? Kira hésita longuement. Que le solitaire étrange lui propose soudain une partie de chasse lui semblait trop improbable, trop bizarre. C'était la chose la plus louche qu'il ait faite depuis le début de cette conversation. Se pourrait-il qu'il soit sincère cette fois ? Pour une fois, Kira décida de lui faire confiance, tout en restant méfiante. Elle n'avait d'autre choix de toute façon. Soit elle le suivait et avait avec lui une chance de passer la nuit sans faire de mauvaise rencontre, soit elle restait seule dans son trou, à la merci de tout autre danger qui ne tarderait pas à lui tomber dessus dès que la menace du mâle se serait éloignée de la bête faible qu'elle était. La jeune louve se redressa lentement, son regard vide scrutant l'obscurité sans rien y distinguer. Elle avança à pas prudents, droit devant en espérant ne pas bousculer le solitaire. Distinguant son souffle sur sa droite, elle s'arrêta et tourna sa tête dans ce qu'elle pensait être la bonne direction. -Je m'appelle Kira.», dit-elle d'une voix toujours tremblante.
La gamine semble réfléchir à chacun des pas qu'elle pourrait faire, mais aussi à tous les mots qu'elle souhaite me partager. Elle se méfie mais je sais, je sens qu'au fond d'elle, elle est consciente que j'ai raison et que je ne parle pas pour rien. Après tout, malgré mon jeune âge, n'ai-je pas l'expérience et la maturité d'un adulte ? A défaut d'être le plus sage d'entre eux, mon histoire a fait de moi un loup aigri mais sûr de lui. Je sais ce que je dis pour l'avoir vécu moi-même, et libre à elle d'aller pleurnicher chez sa meute, si elle veut survivre.
Pourtant elle se rapproche de moi, et ne semble pas sur le point de s'enfuir à toutes pattes. Au contraire, elle a l'air de chercher à me regarder, pourtant son visage s'incline dans des directions qui ne sont pas correctes. L'obscurité lui fait-elle défaut, ou la petite a-t-elle seulement trop peur de me regarder dans les yeux ? Je chasse ces réflexions de ma tête, il sera bien temps plus tard de savoir qui elle est et ce qu'elle vaut exactement. Et puis si vraiment ma revanche sur les meutes ne peut s'effectuer avec elle, je trouverais bien un jour quelqu'un pour assouvir avec moi mes sinistres desseins.
Je m'éloigne du trou où je l'ai trouvée et, la louvarde à mes côtés, je me dirige vers les sous-bois. Il est grand temps de se nourrir, que ce soit elle ou moi. Elle est trop rachitique pour me servir tout de suite, je dois bien investir maintenant pour qu'elle me rapporte quelque chose plus tard, n'est-ce pas ? Alors, dans l'obscurité de la nuit, je laisse ma truffe et mes oreilles me guider tandis que je traverse la forêt en calquant mes pas sur ceux de la jeune femelle, dans le but de couvrir le bruit de notre nombre et de tromper les proies qui se cachent sûrement près de là. Il est temps de manger.