Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Durant la nuit, de puissantes rafales de vent s'étaient mises à déferler sur l'ensemble de leurs terres. Ce matin, Epsilon était sortit faire sa patrouille habituelle. Les arbres du sous-bois semblaient avoir soufferts des intempéries et le sol était humide, mais le vent était heureusement retombé depuis plusieurs heures. Près d'un point d'eau, le loup blanc remarqua un objet humain flotter à la surface. Intrigué, il s'en approcha. Il s'agissait d'une drôle de peau transparente et fine dont il n'arrivait pas vraiment à trouver l'utilité. Le vent avait du l’amener jusqu'ici durant la nuit. Comme il ne savait pas de quoi il s'agissait, il préféra s'assurer que cette peau transparente ne pollue pas leur eau. Il l'attrapa donc entre ses crocs afin d'aller la jeter plus loin.
En chemin, il trouva un autre objet sur sa route. Encore un qui avait du être emporté par la tempête... Cette fois, il s'agissait d'une étrange petite chose blanche et douce comme de la mousse, mais de forme rectangulaire. Epsilon s'en approcha pour le sentir, puis il décida d'emporter cette mousse blanche aussi. Visiblement, de nombreux objets humains s'étaient retrouvés dans le sous-bois durant la nuit. Il entreprit donc de tous les ramasser, un par un. Si il ne le faisait pas, ces ordures risquaient de pourrir et d’inquiéter les proies qui vivaient sur leurs terres. De plus, il ne trouvait rien d’intéressant aux objets qu'il dénichait...
Plus loin, il trouva un collier trop grand et trop large pour appartenir à un chien. Le déplacer ne fut pas facile, en raison de son poids et de sa forme, mais il y parvint tout de même. Ce fut ensuite au tour d'un petit objet métallique, semblable au croc d'une créature étrange. Il saisit le croc entre ses mâchoires et alla le jeter sans difficultés. Il dénicha ensuite une minuscule tête humaine qui ne dégageait aucune odeur, coincée dans un buisson. Après s'être débarrassé de tout ça, Epsilon repartit de plus belle et trouva finalement une chose bleue qui le fit penser à la peau d'un animal inconnu. Il attrapa la peau afin d'aller la jeter à son tour. Le dernier objet qu'il trouva était un petit peu plus intéressant que les autres. En voyant sa forme creuse, il en déduit que cela devait être un contenant, une sorte de pierre creuse. Il l'emporta par le morceau qui en dépassait pour aller la jeter à son tour. La tâche dont il s'était acquittée lui avait prit une bonne partie de la journée et ses pattes commençaient à être lourdes. Il avait hâte d'aller se reposer.
La nuit commençait à tomber sur leurs terres. Epsilon était sur le chemin du retour, revenant de sa patrouille, lorsque des odeurs inconnues lui étaient parvenues. Deux loups, visiblement des solitaires. Ils prévoyaient sans doute d'attendre la tombée de la nuit pour aller voler quelques proies dans leur garde-manger, mais il comptait bien les en dissuader.
Il se mit à suivre leur piste sans plus tarder, se dirigeant vers le cœur du sous-bois. Les Sekmets étaient arrivés depuis peu de temps sur leurs nouvelles terres. Faire respecter les frontières aux solitaires des environs était primordial. Il ne mit pas longtemps à retrouver la trace des deux intrus. Ceux-ci n'avaient même pas pris la peine de se déplacer face au vent afin de camoufler leurs odeurs. Il tomba nez à nez avec un jeune mâle brun, de constitution fragile, accompagné d'un autre à la fourrure noire, un peu plus vieux, mais tout aussi frêle.
Levant la queue au dessus de son dos tout en sortant les crocs, Epsilon leur barra la route.
- Vous êtes sur notre territoire ! Allez-vous-en ! Leur ordonna t-il.
L'un d'entre eux recula, effrayé, mais le plus vieux des deux était plus téméraire. Sortant les crocs à son tour, il le défia du regard, tentant de l'intimider. Cela tombait bien, Epsilon se sentait d'humeur bagarreuse.
Sans plus attendre, il se jeta droit sur le loup noir, lui assenant un puissant coup de patte au visage. Celui-ci recula, désorienté. Epsilon le saisit à la nuque afin de l'y mordre profondément, bandant ses muscles. Entre ses mâchoires, il sentit son adversaire se débattre de toutes ses forces, tendis qu'il le maintenait fermement avec ses crocs. Il commença à appuyer vers l'avant à l'aide de ses muscles bandés, cherchant à faire le faire tomber à terre, lorsque l'autre loup se mit à l'attaquer par derrière, le forçant à lâcher prise.
Epsilon recula d'un bond, grondant. Un combat à deux contre un n'était pas très équitable, mais ils ne semblaient pas être des adversaires très coriaces. Pour les vaincre, il lui suffisait d'être efficace et rapide, tout en gardant un œil sur chacun de leurs mouvements. Il donna un puissant coup de tête dans les cotes du mâle noir avant de se retourner vers le plus jeune. Celui-ci essaya de l'intimider à l'aide de grognements poussifs, mais il n'avait aucune posture de garde. Epsilon n'eut donc aucune difficulté à l’attaquer. Il se rua prestement sur lui pour lui donner un puissant coup dans le corps, le déstabilisant, avant de l'attraper fermement sous la gorge.
Il se mit alors à secouer la peau du mâle brun entre ses mâchoires, le poussant violemment à terre. Lâchant un couinement craintif, le jeune mâle se laissa écraser sous ses pattes sans résister. Le mâle noir vint alors l'attaquer de nouveau, essayant de lui attraper la queue, mais Epsilon ne l'avait pas oublié. Il fit un écart vif sur le coté, libérant le plus jeune pour bondir sur le dos du plus vieux. Plantant ses crocs entre ses deux omoplates, il se mit à le maintenir puissamment en dessous de lui jusqu'à ce qu'il tombe à son tour. Derrière lui, il entendit le plus jeune gémir, puis le vit s'enfuir, la queue entre les pattes. Epsilon força sur ses mâchoires afin d'écraser son adversaire au sol le plus fort possible. Celui-ci tenta de lutter tant bien que mal, mais il finit par abandonner, s'immobilisant en gémissant. Epsilon le relâcha sans aucune délicatesse, poussant un grondement menaçant. Le solitaire à la fourrure noire se redressa tant bien que mal avant de s’enfuir aussi vite qu'il le pouvait. Epsilon s'ébroua, fatigué par ce combat. Au moins, ils n'étaient pas prêts de revenir de si tôt.
Cela faisait plusieurs jours que j'étais affamé, mais la chance semblait enfin vouloir me sourire. Ce matin, j'étais arrivé dans un sous-bois particulièrement giboyeux. A en juger par les nombreuses odeurs de proies qui flottaient dans l'air, c'était l'endroit idéal pour me remplir la panse. Le territoire semblait déjà appartenir à une meute de loups, mais peu m'importait... Si ces imbéciles étaient assez stupides pour essayer de m'en chasser, je les écraserai tous d'un revers de la patte ! Un ours tel quel moi n'avait peur de personne.
En arrivant, je commença par détruire les arbrisseaux qui se trouvaient sur mon chemin. La faim me rendait colérique. Bien décidé à imposer ma présence sur les lieux, je me dressa sur mes deux pattes arrières afin de pousser un grognement menaçant. Au lieu de perdre mon temps à chercher une proie minable, je décida alors d'aller m'attaquer directement aux loups qui vivaient par ici. D'un pas lourd, je m'élança à travers le sous-bois, écrasant tout ce qui se trouvait sur mon passage. Leur odeur n'était pas difficile à suivre, pour un prédateur tel que moi. J'arriverai dans leur campement dans peu de temps. Je m'attaquerai alors aux plus faibles pour les dévorer les uns après les autres. Cette idée me mettait l'eau à la bouche. Continuant de courir, je vit tout à coup une forme blanche se dessiner à l'horizon. Un de ces maudits loup se dirigeait vers moi. Croyait t-il pouvoir me vaincre à lui seul ? Il semblait que j'allais me nourrir plus tôt que prévu.
Ne me laissant pas impressionner, je fonça droit sur lui, poussant des grognements enragés. Le loup blanc avait sortit les crocs. Il se jeta droit sur mon épaule et s'y accrocha fermement. Ses crocs plantés dans ma chair m'arrachèrent un grognement de douleur. Il avait osé s'attaquer à moi ? J'allais le lui faire payer ! Je me dressa à nouveau sur mes pattes arrières, prêt à l'achever d'un coup de griffes, lorsque le loup se dégagea rapidement de moi. Il abandonna le combat et partit en courant dans la direction opposée à la mienne. Il était rapide, mais je n'allai pas le laisser s'en tirer comme ça ! Tant pis pour le reste de sa meute, il serait mon repas !
Je le poursuivis, courant aussi vite que je le pouvais. Ce sale cloporte allait finir broyé entre mes mâchoires ! Sur mon chemin, j'écrasais absolument tout ce qui passait à ma portée, fou de colère. Je le rattrapais petit à petit, mais il courrait vite. Il semblait me mener à l’extérieur de leurs terres. Pourquoi n'allait t-il pas chercher de l'aide auprès de ses congénères, comme les loups savaient si bien le faire ? Je ne comprenais pas. Cela n'avait pas d'importance, après tout ! Je n'avais qu'une envie, lui arracher les entrailles ! Je courrais sans faire attention ou j'allais. Ce fichu loup m’emmenait toujours plus loin, jusqu'à ce que nous soyons hors de ses terres. Si il croyait que j'allais cesser de le poursuivre maintenant, il se trompait ! Je couru encore plus rapidement, toujours aussi énervé. Il se trouvait encore à plusieurs mètres devant moi, mais il ne perdait rien pour attendre. Il ne faisait que retarder sa mort.
Il bifurqua soudainement sur le coté. Je le suivis dans une pente raide qui débouchait sur un terrain marécageux. Devant moi, le loup blanc continuait de courir. Je le suivit sans réfléchir, pataugeant dans l'eau boueuse. En avançant, je sentais mes pattes s'enfoncer de plus en plus dans la boue. Être ralenti ainsi m’agaçait. Je me mis donc à faire de grands mouvement afin de m'en libérer, mais plus je me débattais, et plus mon poids m'attirais vers le bas. Je finis par avoir le corps complètement immergé dans la vase. Grondant, je me mis à me débattre de toutes mes forces. Devant moi, le loup venait d'en sortir. Il me lança un regard en arrière avant de repartir. Fou de rage, je tenta de le suivre, mais il semblait que je n'allais pas sortir de ce piège facilement... Je ne savais même pas ou je me trouvais. J'allais devoir commencer par sortir de là avant d’espérer dévorer qui que ce soit. Maudit loup, je te le ferais payer !
Epsilon était à la recherche d'une proie, depuis ce matin. Le museau au ras du sol, il captait les nombreuses odeurs qu'il croisait sur son chemin. Quelques lapins semblaient être passés par là, suivis d'un renard et d'un sanglier, mais aucunes de leurs pistes n'étaient fraiches.
Concentré sur ses recherches, il se trouvait sous un grand arbre lorsque quelque chose vint soudainement lui encercler le cou. Surpris, Epsilon recula vivement. La chose lui serra la gorge, l’empêchant de s'en aller. Il essaya de revenir vers l'avant, mais ses pattes étaient piégées, elles aussi. Poussant un grognement, Epsilon se mit à se débattre violemment, mais il ne faisait que resserrer l'étau des cordes sur son corps... Dans sa panique, il trébucha, s'écrasant lourdement sur le sol. Les cordes étaient trop serrées. Haletant, il cessa de bouger, réfléchissant à un moyen de se sortir de là.
Comment avait t-il pu être assez idiot pour tomber dans un piège aussi évident ? En parlant de piège, ceux qui l'avaient posés là allaient probablement venir le chercher bientôt... Il n'avait pas une minute à perdre. Si les humains arrivaient et qu'il était toujours bloqué dans cette position, il serait incapable de se défendre... Il s'imagina, cloué au sol, tendis que les humains s'approchaient de lui, fiers de leur prise. Ils le tueraient avec leur redoutable bâton de feu, ou bien le captureraient afin d'en faire leur esclave. Epsilon pensa aux Hellhounds... Et si ils lui mettaient une armure, à lui aussi ? Si ils essayaient de lui faire attaquer ses semblables ? Il n'avait pas envie de devenir un tel monstre... Si il tombait entre leurs mains, c'était pourtant ce qui risquait de lui arriver. Ils le mettraient dans une cage, comme un chien, puis il l'affameraient et le battraient jusqu'à ce qu'il perde la raison. Serrant les mâchoires, Epsilon ferma les yeux pour se sortir cette image de la tête. Il ne voulait pas de cette vie là ! Il ne voulait pas devenir un de ces hideux Hellhounds ! Il voulait rester libre. Si les humains arrivaient, tout ceci serait pourtant réalité. Il devait s'échapper à tout prix, mais pas en se débattant.
Reprenant ses esprits, le loup blanc saisit doucement la corde qui lui entravait la patte. Il la retira d'un mouvement précis, puis s'attela à la deuxième. Une fois tous ses membres libérés, il utilisa sa patte avant pour écarter la corde de l’intérieur, libérant son encolure à son tour. S'assurant qu'il n'y avait plus aucun piège pour le retenir, il se redressa vivement et arracha la corde de la branche ou elle était attachée. Poussant un grondement, il la jeta au loin avant de s'enfuir rapidement.
Epsilon était partit à la recherche de nourriture. Il avait suivit la piste de ce qui semblait être un lynx, jusqu'à arriver près d'une zone montagneuse. Dressant la nuque, le loup banc sentit l'odeur de sa proie devenir de plus en plus forte. Il n'était plus très loin... Devant lui, l'entrée d'une grotte se dessinait dans la roche. Epsilon avança prudemment sur le sol rocheux et escarpé, pénétrant à l’intérieur. Les parois de la grotte étaient largement espacées, mais elles semblaient se rétrécir, plus loin. Continuant d'avancer, Epsilon s'engouffra de plus en plus profondément, sentant qu'il se rapprochait de sa proie. L'obscurité devenait de plus en plus oppressante, au fur et à mesure qu'il avançait.
Brusquement, il entendit un bruit sourd venir de derrière lui. Le sol se mit à trembler, puis il se retrouva dans le noir le plus total. Sentant son cœur se mettre à tambouriner à l’intérieur de sa poitrine, Epsilon recula et revint tant bien que mal sur ses pas. Un éboulement venait de bloquer la sortie de la grotte, le piégeant à l’intérieur... Il tenta de trouver une ouverture parmi les rocher, mais aucun d'entre-eux ne semblaient vouloir bouger. Comment allait t-il sortir de là ? Il n'avait d'autre choix que de chercher une autre issue en continuant d'avancer... Revenant sur ses pas, Epsilon se mit à marcher à l'aveuglette, appuyant son corps contre l'une des parois de la grotte. Si une autre galerie s'ouvrait quelque part, il la sentirait. Il eut l'impression de marcher une éternité. Ses pas le menaient toujours tout droit, dans le noir. Au moins, il ne tombait pas sur un cul-de-sac. Il sentait les parois se resserrer, contre sa peau. Le passage devenait de plus en plus étroit, si bien qu'il dut se mettre à ramper afin de continuer à avancer. Alors qu'il ne pouvait pratiquement plus bouger, Epsilon toucha une matière liquide du bout de la patte. De l'eau ? Il s'avança prudemment, jaugeant la profondeur du trou d'eau à laide de ses pattes avant. Il semblait y avoir un passage... Dans le noir, il ne savait pas ou cela le mènerait, mais même si il n'avait pas vraiment envie d'y plonger à l'aveuglette, il ne semblait pas vraiment avoir le choix. C'était ça, ou rester bloqué dans cette grotte.
Prenant une profonde inspiration, Epsilon espéra que ce passage immergé menait quelque part. Il s'engouffra à l’intérieur, sentant la fraicheur de l'eau lui glacer la peau. Se mettant à nager aussi vigoureusement qu'il le pouvait, Epsilon colla la paroi jusqu'à sentir celle-ci s'élever vers le haut. Il n'avait presque plus de souffle lorsqu'il vit de la lumière briller à la surface. Ses pattes étaient engourdies par l'effort. Il donna une dernière impulsion à son corps, sortant finalement la tête de l'eau. Il se trouvait dans un lac, proche des falaises. S'empressant de regagner la berge, le loup blanc reprit son souffle. Il avait eu beaucoup de chance d'en sortir vivant...