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Douleur de mes membres endoloris et chaleur omniprésente me terassant sont les deux seules choses que je ressentais à ce moment. Mes vieux os ne tenaient que très mal les intempéries du climat alors que nous nous débarrassions une fois de plus d'un hiver impitoyable, autant envers nous que ces pauvres bêtes qu'étaient notre gibier, ou encore, les plantes qui nous effleuraient les flancs alors que nous marchions dans cette prairie. Les parties de chasses fructueuses n'étaient qu'une blague, un vague souvenir, ou bien les deux à la fois. Les prises que l'on réussissaient à attraper étaient rares et maigres, tellement que même leurs frêles os semblaient en avoir payé cher. Je me comptais chanceuse de me sortir de cette saison morte sans l'être moi-même, et, encore plus surprenant, en ce qu'on pourrait qualifier d'en santé. L'hiver avait été rude, mais la vie, ou du moins, ce qu'il en restait, tentait de reprendre son court. Et surprenament, quelques plantes réussissaient encore à pousser, autre que ces ... plantes d'où il poussait des grenats, un nom dont je ne me souvenais pas, comme bien d'autre choses.

Cette verdure vivait neuf mois à tenter de vivre, de se démarquer parmi cette nature morte, mais finissait arrachée, engloutie, pillée, pour ensuite mourir au cours de l'hiver sous une neige froide qui ne fondait que trois mois plus tard, cinq si l'hiver persistait. Mais au printemps le cycle recommençait. Encore et encore. Pour toujours finir au même dénouement: la mort. Quelles braves bêtes.

Je n'étais pas comme ces plantes. Ai-je déjà vécu à proprement parler? Du plus loin dont je me souvienne, la seule chose que je faisait était exister. Exister pour espérer vivre. Quand je tentais de rattraper ma vie loin devant, la mort me suivait près derrière.

Je voulut traverser cette plaine aux scintillements écarlates au plus vite, mais mon corps montra son désaccord alors que mon postérieur droit se bloqua. Je couina avant de me rendre à l'évidence: je devrai passer la nuit dans un endroit ou les mauvais pressentiments ne faisaient que croître. Je m'assied, contemplant l'horizon qui doucement, mais surement, s'assombrissait. Cette vieille blessure ne faisait que s'aggraver avec le temps, et l'humidité hivernale accompagné du froid l’agressait de plus en plus. Vieille blessure ne me rappelant que cette misérable vie dont je tentais désespérément d'oublier. J'oubliais les seules choses dont je tenais à me souvenir, et me souvenais des seules choses dont je tenais à oublier. Était-ce un châtiment de la vie ou un cadeau de la mort? Je préfère encore penser que mon cerveau s'est déréglé après ces années passées dans un laboratoire que faire intervenir ces deux horribles personnes qu'étaient Existence Éphémère et Repos Éternel dans mes pertes de mémoire.

Au moins mon pelage était blanc, mon corps haut sur pattes, mes yeux violets vifs. Je ne pouvais pas blanchir avec l'âge, ou rapetisser, et la cécité était loin de me rattraper. Au moins je n'avais pas l'air vieille. J'avais l'air relativement jeune. Et quand on est, ou même, possède un air jeunot, on ne peut pas être vieux, non?

Je soupirai. J'étais tombée bien bas. Ou tout simplement devenue folle. Alors que je m’acharnais sur mon sort, une branche sèche se brisa derrière moi. Mon oreille tatouée pivota vers la source du bruit, ni plus ni moins. Si c'était du gibier au moins je ne le ferais pas fuir, et si c'était un autre loup, je ne le provoquerais pas en faisant un quelconque mouvement brusque. Je relevai doucement la tête humant l'air. Un loup. Super. Et pas qu'un autre de la même espèce, un Sekmet en plus. Je n'étais pas du genre à ne pas aimer les autres meutes, mais disons que ce que j'espérais le moins en venant ici, c'est de croiser un convive puant le sang et la haine.

" À qui ai-je l'honneur? "

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La Sekmet s'approchant de moi, je restai tout de même sur mes gardes, malgré mon air détendu. Elle n'avait pas l'air agressive, mais l'on n'était jamais assez prudent: le comportement impulsif et instable des Rouges en avait surpris plus d'un.

"Nilaya, guerrière Sekmet, et toi lumière blanche dans ce monde de ténèbres ?»

Cette louve s'appelait donc Nilaya. C'était doux, voir inoffensif comme nom. Mais il devait y avoir une raison pourquoi elle ne m'avait pas échangé son nom de lune: les leurs était effrayants, leur but était de faire peur, prévenir l'ennemi qu'il ne fallait pas les énerver.

Mon regard scrutait l'horizon qui s'assombrissait lentement, observant les silhouettes sombres d'arbres qui se détachaient de la brume chaude, opaque et orangée qui englobait la prairie, jusqu'à ce qu'elle me retourne la question, m’appelant de ce qui aurait pu être un nom de lune.


"Lumière blanche dans ce monde de ténèbres...", murmure ai-je d'une voix claire.

Personne ne m'avait jamais appelée ainsi. Personne ne m'avait jamais donné de nom de ce genre. Lumière des ténèbres. Espoir, joie, bonheur, dans un monde de mort, de tristesse et de noirceur. Elle m'avait qualifiée de tout ce que je n'avais jamais été, malgré mon air angélique et mon âge. Mais elle ne pouvait pas savoir. Ça m'avait émue.

Perdue, je baissai la tête, mon regard violet ne s'étant toujours pas posé sur cette louve inconnue, et fendit le silence mélodieux d'une voix douce, mais brisée à la fois.

"Je me nomme Edernya, ou si tu préfères, Exil d'Incertitude. Nourrice Esobek."

Remplissant mes poumons de cet air chaud, je me retournai lentement vers Nilaya. Mes oreilles étaient basses, signe de gentillesse. Mon regard l'analysa de haut en bas. Elle n'était pas très grande, et n'avait pas l'ait très vieille. Son pelage de jais était parsemé de rayures plus claires et de cicatrices. Bien en muscles, son poitrail était plus large que le mien. Sa tête me regardait d'un air surpris, je ne compris pourquoi.

Puis, mes yeux se posèrent dans les siens. Des yeux contenant une tristesse infinie, une âme brisée, du même violet que le sien.

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