Sur la route de l'Exode, Athos avait vu nombre de choses. De corps à moitié dévorés ou calcinés, parfois même les deux à la fois, jonchaient les chemins menant aux nouvelles terres. Ces terres semblaient au premier abord plus accueillantes, mais il ne fallait pas s'y tromper. Ils en étaient la preuve vivante : tout pouvait basculer du jour au lendemain. Des chiens, des humains, des lynx, et aussi souvent... des loups... Voilà les cadavres que la meute Sekmet avait pu voir lors de son périple vers le nouveau monde. Chacun d'entre eux, bien qu'il voulait sembler brave, tentait de distinguer parmi ces visages tordus de douleur quelqu'un qui leur était familier. Et personne ne pouvait réprimer un soupir de soulagement lorsqu'ils étaient sûrs qu'il ne s'agissait pas d'un de ses proches, là, couché sur le sol, brûlé par les cendres, dévoré par les flammes.

Les Solitaires avaient été les premiers à pâtir de cette catastrophe. Seuls, certains n'avaient même pas été prévenus de ce qu'il se passait, beaucoup sont morts dans leur sommeil, pendant le cataclysme. Athos, quant à lui, avait veillé sur les siens. Le groupe avait fini par se rassembler sur une nouvelle terre, non loin de la meute Navnik. Cette terre serait leur demeure, à partir de maintenant.

Ce jour-là, Athos organisait leur nouvelles terres, répartissant les diverses alcôves pouvant servir de tanières, aidant à la répartition des vivres, à leur stockage... Il transportait une arme qu'il avait trouvée et qu'il comptait bien utiliser lors d'un troc, lorsqu'il entendit soudain un hurlement particulier. Il s'agissait du jeune Epsilon. Ce dernier était un jeune loup assez discret, qui était particulièrement proche du jeune prince, Illidan. Athos confia l'arme à un des Sekmet et partit en direction de l'appel. Car nul doute, cet appel lui était destiné, et Epsilon n'était pas du genre à requérir la présence de l'Alpha pour un rien. Il marcha alors de son pas impérieux, sa démarche imposante naturelle qui lui valait sa prestance de chef de meute. De loin, il commença à apercevoir la silhouette blanche qui lui était désormais familière. Puis, une chose, une petite masse à peine dissimulée derrière un arbre. Plus il s'approchait, plus sa certitude s'affermissait : il s'agissait d'un étranger aux abords des terres Sekmet. Néanmoins, l'Alpha demeurait impassible, sans marque d'hostilité ou d'amicalité. Il s'arrêta lorsqu'il arriva en face d'Epsilon, la jeune louve noire toujours en retrait par rapport au jeune Sekmet. Stoïque, Athos examina cette créature inconnue, en gardant toutefois son regard sur Epsilon. Frêle, fragile, elle semblait même tremblotter.

Tranchante et forte comme une lame, la voix imposante d'Athos brisa le silence :

"La chasse a été bonne, Epsilon ? "

Ce n'était pas vraiment une question. Mais plutôt une inquisition. Qu'apportait ici le jeune Epsilon? Il semblait évident pour le jeune Alpha que le loup clair ne lui aurait pas présenté une solitaire comme ça. Le but d'Epsilon était clair. Mais avant de s'exprimer lui-même et de questionner la nouvelle arrivante, Athos souhaitait connaître les motivations de sa propre sentinelle, et ses impressions sur la jeune louve. Et ce, devant elle. Car quelle meilleure confrontation et première impression que de voir la réaction qu'aurait la jeune noire devant l'attitude de l'Alpha et de la Sentinelle? Elle restait solitaire, pour l'instant, et ignorait tout de la vie en meute. Voilà la première chose qu'elle apprendra, si elle parvient à intégrer la meute...

Il écoutait attentivement ce que les deux jeunes loups avaient à dire. Passant de l'un à l'autre au fur et à mesure qu'ils parlaient, les yeux d'aigle de l'alpha semblaient pénétrer au plus profond d'eux, comme s'il cherchait à les sonder. Epsilon n'eut pas l'air de vraiment comprendre l'insinuation d'Athos lorsque ce dernier avait demandé si la chasse était bonne. Il n'avait pas compris le sens caché, à savoir si la personne qu'il ramenait avec lui était digne ou non d'être ramenée par lui. Il était jeune, et ce genre de manœuvres n'était pas son fort. Il apprendra. Car un jour il serait amené, lui aussi, à faire de grandes choses pour les Sekmet, Athos n'en doutait pas.

Epsilon parla en premier. On aurait dit qu'il jouait son avenir dans la meute presqu'autant que la jeune solitaire noire à côté de lui. Athos l'écouta attentivement, le jeune tentait de peser chacun de ses mots, essayant de convaincre son alpha et de défendre la cause de son amie tout en restant le plus respectueux du monde envers le chef des Sekmet. C'était un brave garçon. Athos ne montra aucune expression durant son discours, mais il n'en pensait pas moins. Epsilon était un loup qui avait un bon fond.

A son tour, la jeune solitaire qu'Epsilon avait nommée "Midona" s'approcha un peu, en gardant de grandes distances pourtant, et parla à son tour. Respectueusement, elle exposa brièvement les raisons qui la poussait à demander à entrer dans la meute des Sekmet. Intérieurement, Athos souriait. La jeune louve n'aurait pas fait une très bonne oratrice. Elle était nerveusement, fuyait du regard lorsqu'elle parlait, tentait de finir le plus vite possible ce qu'elle avait à dire. Elle était nerveuse, stressée, elle espérait convaincre mais à la fois elle avait peur, ô si peur que cela finisse mal ! Elle ne voulait pas se faire d'illusions mais en même temps elle semblait vraiment avoir envie que cela réussise, qu'elle parvienne enfin à intégrer un groupe, à intégrer une famille.

Athos laissa quelques micro secondes de silences lorsque Midona finit de parler. Un silence qui pouvait paraître terrifiant pour les deux jeunes loups, mais un silence qui était nécessaire. Enfin, la voix d'Athos, rauque et ferme, brisa le silence:

" Je comprends bien tes raisons Midona, nombreux sont les loups avant toi qui nourrissaient les mêmes envies. Si tu respectes les règles, si tu te rends utile à notre communauté... Alors la famille d'Epsilon sera la tienne. "

Tout cela faisait très solennel, certes, mais c'était ainsi et pas autrement. C'était une étape nécessaire.

Puis, dans un sourire étrange, en coin, ce petit sourire qui caractérisait si bien Athos, que certains adoraient, et que d'autres craignait, Athos laissa échapper, en tournant le dos et en repartant vers la tanière des Sekmet :

"Bienvenue chez les Sekmet, jeune louve... "