Chaos. Si il y a un nom pour décrire le paysage de mort devant c’est bien ce mot. Je me trouve dans la ville des hommes, sans un homme. Rien qu’à voir l’état dans lequel elle est ce n’est pas étonnant qu’ils ont décidé de partir. Je marche tranquillement sur le bitume fondu, un trou béant s’ouvre devant moi, un lieu où – d’après l’odeur – les rats ont décidé d’élire domicile. Je contourne le trou, fixant l’abysse sans fond, perplexe. Comment une telle guerre a-t-elle pu éclater ? Tout était si bien avant, ou du moins les hommes et les loups se supportaient. Aujourd’hui nous sommes devenus leurs proies, leurs ennemis. Chaque jour nous devant être sur notre garde, traqués comme du gibier, la mort nous colle aux pattes à chaque instant. Je soupire, j’ai déjà pensé plus d’une fois à quitter ces lieux néfastes, mais je ne peux m’y résoudre. Par attachement pour ma meute, par le devoir … et pour ma sœur. Qu’est-elle devenue ? Cette question, je me la pose tous les jours depuis notre combat, je jongle dans un sentiment de fraternité et de haine. J’ignore si je la reverrai un jour et ce que cela donnera. Je me sens d’un coup exténué, je me couche sur le goudron ferme les yeux et écoute le silence. Pas un bruit, ni même le souffle du vent, bercé par cette muette mélodie je ferme les yeux prêt à m’endormir dans ce lieu – inapproprié je l’avoue – si cette effluve ne m’oblige pas à rouvrir les yeux. Une louve se tient devant moi. Surpris et un peu honteux de ne m’être rendu compte de sa présence plus tôt je reste un moment sans esquisser le moindre geste. Elle aussi. Je me relève doucement, la louve me jette un regard … un regard apeuré, confus, la terreur se lis dans ses yeux. Chose étonnante car elle n’a pas l’air toute jeune, plus âgée que moi en tout cas. Son poil est terne et n’a plus autant la douceur et la flamboyance que celle d’un jeune loup. Je décide d’aller vers elle, plus je m’approche plus elle semble paniqué, elle recule mais ne fuit pas. J’arrête de marcher, j’ignorais que je donnais cet effet aux inconnus, un petit sourire se dessine sur mes dents. Posant mon arrière-train au sol, je regarde amusé, cette louve prise de panique.

>> Du calme, je ne compte pas t’attaquer parce que tu es une Sekmet.

La louve ne répond pas, reste méfiante. Elle me fait pitié, j’ai l’impression d’avoir un louveteau en train de découvrir la vie devant moi, un sentiment de chaleur m’envahit. Ce même sentiment que j’ai lorsque je me sens en devoir de protéger les plus faibles.

>> Quel est ton nom ? Moi je me nomme Crépuscule.

Je ne lui révèle pas le nom de ma Lune sans trop savoir la raison. La louve ne répond toujours pas. Un peu agacé, croyant avoir devant moi une deuxième Asclépios, je me relève jetant un regard méfiant. Peut-être est-ce une ruse des Sekmet ? Peut-être ont-ils lâchement décidé d’attaquer un noble Ezobek en lui faisant croire qu’il a devant lui une louve faible alors qu’ils se tiennent quelque part en embuscade. La Sekmet, ouvre alors la gueule, la referme puis secoue sa tête. Elle me regarde une nouvelle fois, un regard insistant cette fois. D’un coup je me suis mis à comprendre, ce n’est pas qu’elle ne voulait pas me répondre. C’est qu’elle ne pouvait pas. Elle est muette. La surprise me frappe, si soudainement que je ne pus m’empêcher de lâcher un « Mon dieu » de stupéfaction. La louve comprend que j’avais compris, son regard se fait alors plus doux, elle ne semble plus me craindre.

La surprise passée, la louve se retourne puis fait demi-tour en marchant vers moi. Je comprends qu’elle veut que je la suive, je m’exécute, la suivant silencieusement. Je ne sais pas quel comportement employer avec elle, dois-je lui parler ? Me taire ? Est-ce que cela la vexe d’entendre un son quelle ne pourra jamais produire … ou reproduire. Peut-être n’a-t-elle pas toujours été muette ? Tant de mystère en elle. J’ai déjà rencontré plusieurs loups handicapés, la plupart c’était des blessures incurables. La plus surprenante était celle d’un loup ayant perdu une patte avant gauche, elle a été proprement déchiquetée alors qu’il dévalait la pente d’une falaise abrupt en roulant, pour éviter une meute de chiens qui le coursait. Il a eu la vie sauve mais à un prix énorme. Chasseur accompli, il ne pouvait plus rien faire avec trois pattes, à peine si il tenait debout. Et malgré les soins de nos Guérisseurs, il est mort quelques jours plus tard à cause d’une infection interne. Oui, j’en ai rencontré des loups portant un handicap, mais pas dans le genre d'elle. Comment pouvait-on vivre pleinement sans pouvoir émettre un son ? Sans pouvoir communiquer avec les autres ? Et comment les Sekmets ont-ils pu accueillir cette louve, eux qui détestent tant la différence ? Toute ces questions se bousculent dans mon crâne, je ne faisais pas attention au chemin et faillis rentrer dans la louve qui s’était arrêtée. Je regarde devant, est-ce donc cet endroit qu’elle tient à me faire voir ?