On était en milieu de journée, et les corbeaux n'avaient pas franchement rendu Nocturne plus coopératif qu'à son habitude. Après avoir fait un saut dans la tanière du frère de Patte d'Ivoire, l'alpha s'était décidé. Il s'éloigna de sa meute, les laissant sous la protection de Véga et Kobalt. Il leur faisait suffisamment confiance pour cela.
Depuis la fondation de la meute, ou plutôt la réunion des aldarks et des mercenaires, le noireau n'avait pas eu beaucoup de temps à lui. Le tueur ex-hordien, mercenaire et assoiffé de sang avait dû se sociabiliser auprès de tout ce qu'il détestait de base. La compagnie, les autres loups. Tous en train de tourner autour de lui. Mais il le faisait. Car à présent, tous connaissaient Hel, tous connaissaient sa fille et chacun pouvait lui faire du mal en son absence. Et personne ne s'y risquerait en le sachant en vie.

Alors il avait pris ses distances, commençant une marche interminable, marche qui s'était stoppée à un endroit bien connu. Son regard vairon et fatigué se perdit dans l'immensitude noirâtre du Styx, toujours aussi fluide et visqueux qu'à son départ. Le lit quasiment sec le repoussait de plus en plus loin de lui. La tanière d'Hel était dans les parages mais à cette heure-ci, elle devait être sortit rechercher des plantes, en bonne silva qu'elle était.

Le vent tourna, et une odeur vint claquer à son museau à l'affût. Une odeur inconnue de solitaire glissa sournoisement jusqu'à son cerveau, et le noireau se crispa. Tous ses muscles se tendirent, alors qu'il se retournait. C'était au-delà des quelques arbres dégarnis que se trouvait l'intrus. D'un saut rapide et silencieux, il rejoint une cachette feuillue. Son pelage se fondait parfaitement avec l'ombre, bien que son regard ne traduise sa présence. Le loup gris ne semblait pas l'avoir remarqué. Plus petit, maigre et fragile, c'était un solitaire affamé qui devait certainement chercher de quoi se nourrir. Aucune chance qu'il ne soit en danger.
L'ex-hordien sortit de sa cachette, surplombant l'inconnu qui l'avait remarqué de toute sa hauteur, alors que ses yeux se plissaient, et que ses oreilles se plaquaient sur son crâne en une attitude méfiante, presque agressive.

- Bonjour à toi, grand loup.

Le ton de sa voix traduisait une certaine soif et un taux de fatigue accrue. Non, il n'était clairement pas un danger pour lui. Aussi, les crocs ne firent pas leurs apparition, et Miroir des Silences se contenta de reculer légèrement la tête, les yeux méfiants. Qu'est-ce que venait faire ce loup sur son ancien territoire.
Sa tête s'inclina légèrement en un salut sec et méfiant, alors qu'il descendait pour commencer à tourner autour de lui, l'analysant sous toutes ses courbes, tous ses muscles afin de visualiser la potentielle menace pour sa meute, et surtout pour sa fille.

- Solitaire. Ses crocs claquèrent en un avertissement muet. Pas question pour l'inconnu de faire un geste qui pourrait l'agacer. Qu'est-ce que tu viens faire içi?

Le solitaire semblait intimidé, mais à la fois étrangement calme. Un solitaire censé en fait, c'était l'impression qu'il renvoyait à l'imposant animal. Miroir des Silences se doutait des raisons de sa retenue: plutôt mastoc, la bête avait les effluves d'une meute, et du chef de celle-ci. Il y avait de quoi se calmer. Et bien qu'il n'ait pas tuer un autre membre de sa race depuis un moment, l'odeur de sang séché collait à son pelage comme une seconde peau toxique.

- Je viens de la ville en ruine. Je suis à la recherche d'une meute. Tu penses pouvoir m'aider ?

Les oreilles droites, l'allure légèrement sur ses gardes, l'étrange loup maigre ne faisait pas un mouvement de travers, pas une parole pour l'agacer, ne serait-ce par le ton de sa voix. Peut-être que cela ferait consentir l'alpha à l'écouter jusqu'au bout.
Se figurant qu'il ne devait pas être une menace pour sa personne, ou sa meute, Nocturne arrêta ses allers et venues, et darda son regard aux feux bicolores sur l'inconnu. Il sentit ses oreilles se remettre droite, bien qu'animés d'un tic arrière continuel, alors que sa colonne vertébrale se redressait. Il n'était plus en position d'attaque ou de défense, il écoutait.

- 'T'être.

Il allait lui falloir plus de précisions si le solitaire comptait obtenir quoique ce soit de lui. L'ancien mercenaire avait gardé cette habitude d'une analyse rigoureuse des loups qu'il connaissait, ne serait-ce que de nom.
Et maintenant qu'il savait qu'un nouveau solitaire traînait par ici, il n'allait pas manquer de se renseigner sur lui - s'il le laissait vivre -.
Un nom, une famille, un but, tout ce qui pouvait lui tomber sous la patte était bon à prendre de toute façon.
Nocturne balaya rapidement la zone du regard. Personne, à par les deux mâles. Bon, il devait avouer qu'il préférait voir ce loup dans sa meute que dans une des deux autres. Il avait la rancune tenace, certes, mais c'était un soldat de moins entre les pattes d'Helya, ou sous la protection - faible actuellement - sekmet.
C'était toujours ça de pris.
Après, il n'avait pas l'intention de recruter un tas d'os flemmard sans motivation et qui ne serait qu'un boulet pour lui et les autres.

La chose maigre semblait plus calme à présent. Peut-être était-ce dû au fait que l'alpha s'était décidé à ouvrir sa gueule de grand méchant loup. Ça devait certainement casser le mythe. Enfin, apparemment, le gris commençait à se détendre, quoique c'est un terme un peu trop fort. Disons qu'il se calmait légèrement, et laissait moins paraître son anxiété. Histoire de continuer à lui graisser la patte, - surement pour éviter que Miroir des Silences ne lui fasse la peau - le solitaire prit une voix mielleuse. Celle qu'on utilise pour demander de la nourriture à quelqu'un qu'on ne connait pas trop, qu'on utilise lorsqu'on est pas trop sûr de la réaction à laquelle on risque d'être confronté.

- Tant mieux. Je pense que je te dérange, alors pourrais tu simplement m'indiquer ou je peux me rendre pour en trouver une, et puis je ne t'importune plus.

Bon, heureusement c'était son jour de bonté. En plus, s'il pouvait rapporter un loup de plus à sa meute, ça ne pouvait qu'être bénéfique. Il eut une pensée pour certains espions... bon ok, pas forcément bénéfique. Disons, utile.
Alors le noireau s'assit face à l'inconnu, et jeta un coup d'oeil suspicieux aux alentours. Il n'aimerait pas qu'on le prenne en flagrant délit de recrutement. Surtout lorsqu'on connaissait son aversion pour les solitaires.

- Les navniks sont une grande meute, mais dirigés par des traîtres. Les sekmet sont faibles. De plus si tu deviens un des leurs, tu auras le droit de te faire massacrer. Par moi. Son regard était froid, mais finit par redevenir neutre, Après il y a les aldarks.

Gros silence, histoire de lui dire qu'il n'avait pas trop le choix de toute manière. A part s'il réussissait à s'en sortir par une nouvelle pirouette.

- Tu fais donc partie des Aldarks. Plutôt que me dire ce que les autres meutes font de mal, parle moi de ta meute. Qui en est l'alpha et surtout en quoi vous croyez ?

Bonne déduction Sherlock.
Après ces mots, le gris avait repris une attitude fière qu'il n'allait certainement pas garder longtemps. A par bien sur s'il voulait véritablement décevoir le noir. Ses nerfs avaient la fâcheuse habitude de remonter à fleur de peau en quelques secondes. L'alpha était un peu trop... disons lunatique pour être considéré comme non-dangereux. Disons aussi qu'il n'était pas assez sain dans sa tête pour ne pas être vu avec une méfiance certaine.
Ses crocs claquèrent dans le vide, fâcheuse habitude de prédateur.

- Tu l'as devant toi.

Après tout, Patte d'Ivoire ne faisait pas véritablement office d'alpha vigoureux. Surtout en ce moment. La dame était au plus mal. M'enfin bref. Il était le chef de sa meute et de bien d'autre chose. Nocturne était de ces loups à avoir une histoire à raconter, une longue liste de choses sale à ne pas ramener à la surface.

- La question n'est pas en quoi nous croyons. Mais contre quoi nous nous battons. Nous sommes le foyer de ceux qui n'eurent plus rien. On se bat contre ceux qui veulent nous arracher notre liberté, nos terres et nos jours paisibles.

Oui, les aldarks étaient ainsi.
Des familles heureuses, mais qui savent sortir griffes et crocs pour défendre un frère. Même les plus jeunes étaient de redoutables adversaires. C'était ça qui caractérisait les or. Oeil pour oeil. Dent pour dent.
L'aldark gronde, et l'orage se tait.
L'aldark rugit, et la mer cesse de battre les rochers de sa fureur.
L'aldark hurle, et c'est la lune elle-même qui se terre.