Moi qui m'attendais à un hiver rude, nous voilà face à des mois d'une sécheresse à couper le souffle. Les points d'eau s'assèchent, les troupeaux disparaissent, et les meutes s'agrandissent toujours de louveteaux encombrants. Pas que je n'aime pas les petits, mais il est clair que je n'ai pas l'esprit paternel. Il faut les nourrir, les entraîner, les protéger, et ce n'est que bien tard que leurs frêles corps peuvent supporter la rudesse de la vie et éventuellement rembourser une partie de ce que nous avons sacrifié pour eux. Quand ils parviennent à l'âge adulte, parce que la plupart meurent bien avant ... Je retrouve Finwë, notre fidèle chasseuse, près du laboratoire, notre dernière conquête territoriale. Elle s'est bien remise de sa portée, et je ne peux lui en vouloir à elle, d'être devenue mère. Elle n'a que trop payé sa part pour ne pas mériter cette chance. Je la salue d'un hochement de tête poli et d'un sourire entendu.

- Bonjour Finwë, je suis ravi de voir que tu te remets de tes nouvelles conditions.

Aujourd'hui, je ne l'épargnerais pas. D'abord parce que les temps sont trop durs pour que je me permette de laisser se reposer les muscles des nôtres, ensuite parce que je ne suis pas ce genre de loup à faire des différences. Elle a voulu ses petits, elle doit assumer sa double condition de mère et de chasseuse dès aujourd'hui.

La jeune louve semble prête à encaisser toutes les douleurs que je pourrais lui imposer aujourd'hui. Son moral est visiblement au plus haut, en tout cas en ce qui concerne l'instant présent, et je ne peux que me réjouir de la voir toujours si déterminée et sûre d'elle. Elle sait ce qu'elle veut, je ne saurais le nier. A sa question, j'acquiesce d'un léger signe de tête, comme pour dire "quoi qu'il se passe, tu peux le faire." et je lance ensuite un regard vers l'enbouchure qui mène à l'intérieur de notre nouveau territoire. C'est la première fois que je fais face à ce bâtiment, pourtant je crois en toutes les promesses silencieuses qu'il renferme. Nous l'avons gagné à la sueur de nos pelages, je ne saurais croire qu'il ne nous sera pas utile. Je pose une dernière fois mon regard sur Finwë, en travers pour qu'elle ne remarque pas mon attention posée sur elle, et j'attends encore quelques fractions de seconde avant de me projeter violemment sur elle, l'écrasant de tout mon poids. Je m'élance au-dessus pour ne pas rouler au sol avec elle, et je lui fais face.

- Concentres-toi ! Ce sera un bon début !

Je m'élance dans l'entre-baillement du bâtiment, frappant fortement le sol de mes puissants pattes pour qu'elle me suive à l'ouïe. Je m'enfance dans les dédales de couloirs sans même connaître les issues, et je veille à garder toujours derrière moi le rythme régulier de son corps courant à vive allure.

La louve cavale derrière moi de toutes ses forces, elle veut réussir cet entraînement et gagner ce que je m'efforce de lui inculquer. Elle s'accroche à sa détermination comme elle l'a toujours fait et je ne peux que me satisfaire de cette hargne dont elle a toujours fait preuve. Je ne peux que louer les compétences d'une louve aussi acharnée. Elle est l'une de nos meilleurs éléments. Je tourne brusquement à gauche, puis à droite, et je suis ainsi les dédales de couloirs sans laisser le temps à la jeune louve de graver le chemin inverse dans sa mémoire. Quand soudainement, une ligne droite me force à ralentir, pour humer les odeurs devant moi et tâcher d'anticiper. C'est la première fois que je viens ici. La jeune femelle se sert de mon hésitation pour me rattraper et m'asséner son poids sur le dos, grimpant jusqu'à mon épaule qu'elle mord avec force. Je m'élance en avant, replis mes pattes sous mon corps et roule sur le côté pour amortir le choc de la chute, emportant Finwë avec moi. Je tourne ma tête sur son axe pour que mes crocs rejoignent mon assaillante, et je plonge mes mâchoires dans son museau pour lui faire lâcher prise et l'envoyer valser sur le côté. Je traîne sur quelques mètres avant de pouvoir reprendre mon équilibre et je me redresse aussitôt pour lui faire face, guettant le moindre de ses mouvements.

Un seul instant d'inattention et c'est la perte de l'un ou de l'autre. Cette fois-ci, ce sera moi. Alors qu'elle parvient à se glisser derrière moi, je n'ai pas le temps de me retourner pour la guetter et anticiper une quelconque attaque. Elle se sert de l'effet de surprise pour capturer ma patte entre ses crocs et me faire perdre l'équilibre. Je me retourne vivement, plongeant mes mâchoires dans son crâne pour lui faire lâcher prise dans un gémissement agacé. Je tire sur ma patte pour tenter de la libérer tout en serrant mes crocs sur sa tête afin de la forcer à retirer les siens de mon membre. Je ne peux que louer ses progrès, elle est chaque fois meilleure lorsque je la croise. Je recule brutalement et avant d'avoir libéré mes muscles de son étreinte, je pousse violemment vers elle pour la déstabiliser. Alors que ses crocs se désserrent légèrement, je profiter de l'opportunité pour appuyer plus fort vers elle et la faire tomber au sol, lâchant sa tête au dernier moment dans le but de prendre de la distance. Je lui fais face, le regard rivé à elle, attendant sa prochaine offensive. Elle a encore du chemin, mais elle a tant de potentiel que je ne serais pas surpris de la voir devenir mon égal, ou peut-être même de constater dans un certain temps que l'élève aura dépassé le maître.

Tout s'enchaîne à une vitesse fulgurante, je découvre à ma jeune acolypte de nouvelles techniques qu'elle a peauffiné de son côté en dehors de nos entraînements et je ne peux qu'être fier de son implication pour la meute. Je m'apprête à répondre à une nouvelle offensive mais elle utilise soudainement une tactique frontale que je ne lui aurais pas soupçonné, et en quelques enchainements la voilà qui me flanque au sol avec briot. Je tombe sur le flanc, les côtes douloureuses mais pas plus contrarié pourtant que si j'avais été seulement bousculé. Voilà ce que j'espère voir chez chacun de nos membres ! Je profite d'un petit temps d'inattention pour gonfler brusquement mes côtes et lui faire perdre l'équilibre, avant de la pousser dans un roulement d'épaules pour me relever aussitôt. Je fais mine de lui foncer dessus tous crocs dehors, mais je claque des mâchoires tout près de son visage et je m'arrête aussitôt, étirant toutes mes dents dans un sourire immense et satisfait.

- Eh bien, tu es de loin ma meilleure élève ! Arrêtons-nous pour aujourd'hui, je meurs de faim !