Voilà quelques jours que mes yeux me jouent des tours. Parfois, c'est l'obscurité totale qui s'empare de mon sens déjà faible et je ne suis plus capable de déterminer ce qui m'entoure autrement que par le toucher. J'ai peur de ce qui m'arrive, et trop honte pour en parler à qui que ce soit. Lorsque je me bats avec Cosmos, je pers à chaque fois malgré son gabarit largement inférieur au mien. Je ne sais pas s'il s'est rendu compte de ce qui m'affectait, mais il sait le prendre à son avantage et surtout, je me mets moi-même dans des situations délicates puisque je ne dis rien et je ne sais pas davantage vivre avec cette gêne constante. Je suis bien conscient que tous les membres de ma meute ne vivent pas de cette façon. Eux ils voient et perçoivent tout ce qui nous entoure. Moi, non. Mère m'a appelé, ce matin. Mais c'est un de ces matins où ma vue est si basse que même les silhouettes habituelles ne me sont plus familières. Trop sombres au milieu de cette obscurité incessante due à la saison. Je m'avance en titubant, ce qui ne manque pas d'être remarqué par l'adulte tant aimée qui m'attend un peu plus loin. Elle met la patte sur le point central du problème : ma vue, et je l'admire d'y parvenir alors qu'elle-même ne me voit pas ...

- Mon fils, me voit-tu correctement ?

Si même ma mère, aveugle, s'en est rendu compte, alors il est probablement temps de dire la vérité. Je la rejoint lentement, l'échine basse et le regard fuyant, honteux.

Non maman ...

Et cela va en empirant, depuis déjà longtemps ...

Maman s'inquiète de plus belle, comme je le redoutais. Je me rappelle alors pourquoi je n'avais jamais osé lui en parler avant. Je savais qu'elle serait triste, qu'elle se poserait mille et une questions. Elle aimerait savoir, comprendre, tout arranger. Mais je crois qu'elle ne peut pas. Je soupire doucement alors qu'elle me réconforte malgré tout, m'assurant que si ça peut ne pas s'arranger, il se pourrait que j'apprenne malgré tout à vivre avec. Alors, le temps de la vérité à vraiment sonné. Je m'approche un peu plus, toujours le museau vers le sol, fixant mes pattes que je ne vois presque pas.

- Ca a toujours été ... Avant je voyais un peu, puis moins, et aujourd'hui je ne vois plus ... que des silhouettes, parfois, quand l'obscurité ne prend pas tout mon champ de vision ...

J'ai si peu vu, si peu appris ... Me souviendrais-je de toutes ces couleurs que je n'ai pas vues ? De toutes ces nuances que je n'ai pas connues ? Pourrais-je imaginer la forme des choses dans quelques mois, si ma vue s'éloigne jusqu'à disparaître ? La peur me prend, comme chaque fois que je pense à l'avenir ...