Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
La chasse n'est plus possible pour un certain nombre de raisons que je ne prendrais pas la peine d'évoquer ici tant elles devraient paraître évidente à toute personne normalement constituée. Et je n'aurais pas cru penser cela une nouvelle fois dans ma vie mais la chasse me manque en ce moment. Il faut dire que l'art de la traque auquel je me suis dévoué une bonne partie de mon existence a quelque chose d'indéniablement rébarbatif néanmoins ce rébarbatif m'apparaissait maintenant comme un piètre prix à payer pour avoir une pitance acceptable. Car rien n'est plus humiliant pour un chasseur né que de devoir mendier la chance afin de trouver de quoi se remplir la panse. Cela avait déjà été le cas l'hiver dernier en raison du blizzard mais ce n'est pas parce que l'on vit une chose une fois dans sa vie que l'on s'y habitue. La meute compte de nombreux loups et de nombreuses louves ce qui était assurément une bonne chose car le sang allait forcément couler au cours des temps à venir. Notre espèce est ainsi faite. Nous nous battons parce que la violence et la soif du sang coulent dans nos veines. Les motifs peuvent différer et aller du plus noble au plus pathétique mais nous battions et nous nous battrons encore. Car ainsi va la vie ici bas. Je ne fais nullement exception à la règle. Mes crocs n'attendent que le déclenchement des hostilités pour s'atteler à l’œuvre macabre. La survie s'écrit dans le sang et nous n'y pouvons rien. Strictement rien. Nous naissions, nous nous battions, nous mangions, aimions pour les plus chanceux, souffrions puis nous mourrions. Voilà le cycle de nos vies et celui ci ne prendrait jamais fin. Si notre nombre est un avantage permanent. Il est aisé d'assurer la prospérité des nôtres lorsque les temps sont cléments mais extrêmement malaisé de le faire lorsqu'ils ne le sont pas. Peu de nourriture pour beaucoup de loups. L'équation est simple. Et c'est fort égoïstement que je m'inquiète beaucoup plus pour trois personnes. Mon fils et mon frère dont j'ai reconnu les effluves sur les terres neutres et qui ne devraient pas mettre bien longtemps avant de venir me retrouver et Anya. Ces trois personnes devaient à tout prix ne pas manquer de gibier quitte à ce que doive y laisser ma santé. Nous vivons dans un triste monde et à une triste époque. Des loups meurent, sont morts et mourrons encore. Mais nous ne serons pas de ceux là.