C'est d'un pas pressé et pour le moins agacé que Athos se rendait vers les frontières de son territoire. Quelques minutes plus tôt, une sentinelle était venue en courant l'avertir qu'un loup rodait sur leurs terres, un loup porteur de l'odeur des Navnik. Sans se faire remarquer, mais ayant aperçu l'attitude bizarre du loup, le loup était rapidement rentré chez lui à pas feutrés pour revenir avec un comité d'accueil comme il se doit. Évidemment, cette sentinelle avait passé un sale moment. Elle n'avait pas osé attaquer seule et était revenu chercher du renfort. Ce n'était pas mal, c'était meme un bon reflexe mais disons que ce n'était pas le moment de venir demander la présence de l'alpha, à cet instant...  Mais quoi qu'il arrive, elle aurait dû chercher le contact. Les Navnik n'avaient pas pour habitude d'attaquer tout et n'importe quoi. Moins moutons que les Esobek et leurs héritiers, ils n'étaient néanmoins pas des guerriers dans l'âme, contrairement aux sekmet,  réputés pour avoir le combat dans le sang. Alors Athos avait empêché la sentinelle d'y retourner. Si le loup attendait sur les terres, c'est qu'il attendait quelqu'un,  et qui mieux que l'alpha pour... Le recevoir comme il se doit, d'une manière, ou d'une autre.

Athos grinça des dents et grogna intérieurement :

Que ce mouton d"Helya ne soit pas venu pour rien au moins, j'ai entraînement avec la tête à claque quand le soleil sera au ras du sol. Si ce n'est pas le cas, il verra comment je les reçois moi, ceux qui se promènent sur un territoire interdit.


Il arriva non loin du lieu décrit par la sentinelle en un rien de temps. Évidemment, Athos connaissait ces lieux comme il se connaissait lui même.  Par coeur. Il vit la fourrure blanche. Il le reconnut. Athos avait eu l'occasion d'assister clandestinement, grâce à Anya, à quelques réunions secrètes de la meute qui, il fut un temps, était ennemie jurée des Sekmet.   Athos avait donc reconnu la fourrure blanche du général. Daren. Le frère d'un loup de la meute d'Athos, Daryl. Athos avança droit, dans sa prestance naturelle, sans chercher à faire plus de cordialité que ce soit, en fait il n'en fit clairement aucune. Sans un mot, le grand loup impressionnant, plus grand que le Navnik, s'approcha. Il n'était pas le moins du monde impressionné et pour cause, il n'y avait aucune raison pour lui. Importe qui n'aurait peut être pas dit cela cependant, car il était vrai que le loup blanc aurait pu écraser la tête d'un loup de 6 mois comme on casse une noix.

Athos prit en premier la parole, comme il se doit. Sans pour autant vouloir eterniser cette conversation.  De toute façon, le Navnik n'avait rien à faire la. Alors qu'il transmette le message de Helya  et qu'il s'en aille.

" Daren. Que fais tu ici? "

Simple concis efficace. Il n'y avait besoin de rien d'autre.  Athos ne voulait rien d'autre.

Qu'on ne demande pas pitié à ceux qui n'en ont pas. Qu'on ne regarde pas son bourreau plein d'espoir alors qu'il n'y en a pas. Que nul cri d'allégresse ne raisonne, alors que ceux destinés à mourir s'avancent. Tel était l'état d'esprit des Sekmet il fut un temps. Tel était le chant qui raisonnait encore dans le cœur de certains d'entre eux. Tel était le chant qui raisonnait dans l'esprit d'Athos.

Le loup blanc testa les limites du jeune Alpha. Il avait à peu près le même âge que lui, mais Athos était légèrement plus grand et surtout plus carré. Cependant, il aurait fallu être stupide pour nier la puissance et la force du loup Navnik. A chaque pas se bandaient les muscles de ses pattes, de son poitrail et de son dos, il était puissant sans nul doute. Mais pas assez pour vaincre l'Alpha. Athos n'avait rien à craindre. En fait, il n'envisageait ni ne craignait de combat en cet instant. Il avait l'esprit trop occupé, une autre chose le perturbait déjà. Alors ce n'était pas ce petit merdeux de Navnik qui allait changer sa journée. D'ailleurs, ce dernier tenta de prendre sur lui et de faire comme s'il n'avait pas reconnu Athos. Mais l'Alpha avait très bien compris son petit jeu. Comment ne pas remarquer la crispation dans la mâchoire du jeune loup blanc quand Athos avait parlé, comment ne pas avoir remarqué la queue blanche soudainement immobile, comme figée. Comment ne pas remarquer la pointe dans ce regard, cette pointe à la fois de respect et de provocation, comme s'il signifiait "prouve-le." Prouve que tu es bien l'Alpha dont la réputation n'est plus à faire, prouve que tu es bien celui qui a dégagé ce profiteur de Hige, qui a infiltré les réunions Navnik sans même avoir à se faire virer et qui a vaincu les Hellhound au sein même de leur laboratoire. La voix tendait à dire que le Navnik n'avait aucune espèce d'idée ou même envie de connaître la loup brun et musculeux en face de lui. Mais son corps, son corps trahissait tellement ce qu'il en était.

Athos n'était pas quelqu'un d'irréfléchi, bien qu'il était parfois impulsif, il avait surtout de l'expérience. Ce n'est pas ce genre de petite pique venant d'un inconnu insignifiant, pire même : d'un Navnik, qui le ferait perdre son sang froid.

Lorsque le loup blanc passa à côté pour distancer Athos, le Navnik passa près, trop près de l'Alpha. Si bien que ce dernier eu à peine à écarter un peu ses épaules pour que l'épaule gauche d'Athos impacte durement l'épaule gauche du loup blanc, arrêtant net ce dernier par la dureté du choc. Le loup blanc ne pouvait pas passer. Il était bloqué. Oh, il pouvait bien tenter de contourner ce large obstacle que représentait le loup brun. Mais s'il le faisait, Athos n'aurait pu rien qui s'opposerait à ce qu'il attaque, le pacte entre Helya et lui était clair "Pas d'attaque inconsidérée et non prévenue entre nous, même pour ceux qui franchissent nos terres". Bien. Considéré? Tcheck. Prévenu? Tcheck. Ah bah oui, c'est important de connaître les règles. Pour mieux les contourner...



" Ce que tu cherches m'est égal. Tu le cherches où tu veux. Mais pas ici. "


La voix du loup brun était forte, sans qu'il n'eut à hausser la voix pour autant, c'était son ton naturel, ce ton si imposant qui avait fait sa réputation de Général, pendant un temps, puis qui avait accru son influence jusqu'à devenir Alpha. Il avait une voix dominante, clairement, et surtout une voix convaincante, et même si elle pouvait sembler terriblement menaçante pour certains, elle était réconfortante pour les Sekmet : qui pouvait menacer et mettre ses menaces à exécution pouvait guider leur meute. Athos crut bon d'ajouter, d'une voix mordante de cynisme :

" Salut bien Helya de ma part après ta courbette. Dis lui que si elle cherche l'Alpha du Brasier Blanc, qu'elle aille le voir elle-même. "


Il fut un temps, dans sa petite jeunesse, où Athos détestait les Navnik si fort qu'il aurait pu les détruire tous en s'infiltrant dans leur camp. Puis, il avait pris de la maturité, de l'expérience, de la tactique. Oh, il ne les aimait toujours pas, bien qu'il soit lié avec certains d'entre eux et que ses enfants soient dans cette meute - chose à laquelle il remédierait au plus tôt- mais il avait plus de responsabilités et plus de pouvoirs à présent. Les choses devenaient à la fois tellement plus faciles et plus compliquées.

Oui. Helya. Qu'elle n'envoie pas un simple sbire tel que Daren pour lui faire passer un quelconque message. Car s'il cherchait l'Alpha, c'était bien pour cela. Pourquoi d'autre sinon? Daren était un loup fort et sanguinaire, il aurait fait un bon Sekmet s'il n'était pas le chien de chasse d'Helya.

Quel gâchis... pensa-t-il.

Oh, il n'était pas agressif, non, sinon il l'aurait bien fait sentir et il n'aurait pas tourné autour du pot en quelques phrases bien tournées. Non, c'était seulement... Lui. La légende du plus jeune Alpha qu'une meute n'ait jamais connue était bel et bien fondée...

Décidément. On pense toujours avoir trouvé le pire des imbéciles, mais certains arrivent et nous rappellent que non, il existe toujours plus imbécile que le pire des imbéciles que l'on connaisse.


Le loup blanc semblait avoir été offensé de l'attitude dédaigneuse d'Athos qui ne lui accordait pas le moindre crédit. Pourquoi le ferait-il ? Ce n'était que le petit jouet d'Helya, son petit toutou. Rien de plus. Athos n'avait jamais voulu servir qu'une seule personne. Cette personne le méritait. Cette personne était morte. Et il avait pris sa place après quelques petits désagréments sans importance. Le loup blanc avait bondit alors qu'Athos lui tournait désormais le dos en lui passant à côté. Il avait saisi son échine entre ses crocs en essayant de retourner l'alpha. Ce serait mentir de dire d'Athos qu'il l'avait prévu : au contraire, il n'aurait pas imaginé que ce chien d'Helya aurait eu le cran de faire quoi que ce soit. Le loup l'avait attaqué, violant les quelques trèves rouges-bleues passées entre Hige et Helya - pour lesquelles Athos n'aurait pas été si laxiste, d'ailleurs.

Le loup blanc était comme possédé. Il s'attachait à ce qui tenait entre les dents, enfonçant de plus en plus ses crocs. Le cuir épais de la peau n'avait pas encore cédé, mais si l'Alpha ne réagissait pas, cela ne saurait tarder. Athos, comme le chef avant tout militaire qu'il était, fis volte face, mais l'autre loup ne lâcha pas prise. Athos avait analysé auparavant l'autre loup : le Sekmet était plus grand et plus lourd, mais l'autre plus svelte ce qui le rendait peut-être plus furtif. Athos joua alors sur sa force. Le Sekmet crocheta les pattes arrières du loup blanc avec ses propres pattes pour déséquilibrer le Navnik. D'un coup et presque instantanément, il se projeta lui-même au sol de toutes ses forces, entrainant avec lui le loup blanc qui ne lâchait toujours pas prise, si bien qu'Athos lui tomba dessus avec violence et de tout son poids, forçant l'autre à le lâcher, non sans quelques dégâts collatéraux, autant sur le brun que sur le blanc.

D'un mouvement rapide, Athos plaqua de ses pattes avant les épaules de Daren au sol, l'échine dégoulinante, les pattes baignées de son sang autant que du sang de son adversaire. L'autre évidemment, se débattit. Des coups de crocs s'échangèrent, se lacerant mutuellement les chairs. De ses pattes arrières, Athos maintint les cuisses de Daren fermement collées au sol pour qu'il ne lui lacère pas le ventre - c'est l'expérience qui parlait ici, Athos savait combien cela pouvait faire mal. Les griffes s'enfonçèrent dans la chair molle et vulnérable, le sang dégoulina des cuisses. Il le tenait au sol malgré les difficultés qu'il avait à le maintenir. Athos devait être astucieux, car les forces des deux loups n'étaient pas très éloignées, mais en lui plantant les griffes dans les cuisses, c'était un endroit précis qui était là extrêmement vulnérable. Les choses ne se joueraient pas ici sur les capacités, mais la stratégie, les techniques et l'expérience. Avant d'être un gérant, un Alpha, Athos était avant tout un général, tourné vers la guerre, la bataille, les combats, le sang dégoulinant des plaies, les bruits terrifiants des chairs déchiquettées, le son des crocs arrachant des morceaux de peau, de muscles...Tout ceci était son univers. Ce qu'il avait toujours aimé ressentir : le Rouge de la Bataille, dans toutes les sens du terme. Rouge de la ferveur, du sang, de la colère, de l'adrénaline, de la haine, du courage, du cœur et de la douleur. C'était tout ce qu'il ressentait dans chaque bataille, chaque goutte de sang qui perlait entre ses babines.
A cet instant, c'était l'expérience qui faisait dominer Athos dans le combat. Mais le Navnik n'était pas vidé pour autant. Athos savait que dans cette position, alors qu'il plaquait l'autre loup au sol, il y avait toujours un moyen d'en réchapper, toujours. Pour l'avoir lui-même fait.

Nous l'avions dit. La guerre est son univers.


Un léger sourire effrayant flottait sur le visage d'Athos. Oh ce n'était pas un sourire d'auto-satisfaction, peu lui importait d'avoir fichu à terre le Navnik. Car il venait de voir une autre chose bien plus importante à cet instant précis, une chose qu'on ne voyait dans les yeux de seulement quelques rares personnes, parmi les plus fortes et les plus folles.

Il aurait pu le tuer. Mais il ne le ferait pas. Pas parce qu'il était faible, pas parce qu'il avait pitié ni parce qu'il tenait à l'alliance entre Helya et les Sekmet. Mais parce qu'il avait vu cette chose. Athos se dégagea d'un geste rapide, gardant le loup à distance. Le sang avait arrêté de couler de l'échine, la gueule du loup blanc était rouge, les pattes du loup brun étaient assombries par le sang.

"Que viens tu vraiment chercher ici... Daren."

Les deux loups étaient amochés, le visage mordu et griffé, l'échine diablement endolorie pour l'un, les cuisses perforées pour l'autre, entre autres petits souvenirs. Les blessures semblaient plutôt superficielles, mais le sang coulait, et seule l'odeur du sang suffisait à faire tambouriner le crâne du jeune alpha dont la bataille était l'un des seuls moteurs de sa vie. Athos était un loup d'honneur, il ne continuerait pas ce combat alors que tous les deux avaient eu les premiers sangs. Et puis il avait vu dans les yeux du blanc quelque chose qu'il convoitait, quelque chose qu'il cherchait souvent dans les yeux de ses guerriers.
Mais que l'autre essaie de l'attaquer encore une fois. Ô que oui. Et le guerrier entrerait dans sa torpeur, pour n'en ressortir qu'une fois qu'une âme se serait échappée de son enveloppe charnelle...