Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Une louve au pelage aussi noire qu'une nuit sans étoile arpente la foret charbonneuse d'un pas tranquille. Cette dernière se tient nettement à l'écart du reste de la meute auquel elle appartient comme si elle voulait à tout prix les éviter à moins que cela ne soit l'inverse et que ce soit cette meute qui la rejette purement et simplement. La louve au regard ambré et au visage gracieux arpente les lieux telle une ombre sans consistance, un fantôme désespéré de se retrouver coincé dans une prison végétale carbonisée. Une louve d'ascendance connue de tous et pourtant parfaite étrangère au milieu des siens. Un loup noir aux yeux dorés se trouve lui aussi sur ces sinistres terres. Il vient de rentrer d'une chasse fructueuse et est en quête d'un peu de repos bien mérité. Mais, son regard ne dévie pas de la silhouette sombre mais élégante de la louve solitaire. Lui même tapi dans l'ombre d'un recoin, il l'observe avidement comme si cette contemplation allait lui remplir l'estomac et combler la faim qui le taraude depuis son retour. Le repos attendra. Ses crocs se dévoilent d'eux mêmes et sa posture se fait agressive lorsque des propos méprisants et rabaissant sont prononcé en sa présence au sujet de la princesse de jais rejetée de tous que l'on qualifie de folle et étrange.
Ses mâchoires claquent près de la gueule de l'un de ses congénères un peu trop persévérant dans son dénigrement. Lorsqu' enfin le chasseur peut se détourner de toute cette stupidité de chair et de sang et reporter son attention sur la beauté ténébreuse lui ayant tapé dans l’œil, il se rend malheureusement compte que celle ci a disparue. Il la cherche du regard en tournant sur lui même. Mais ne la trouve nulle part. Le loup d'ébène bouscule son camarade de meute le plus proche de l'épaule et quitte les lieux non sans avoir laissé traîner ses oreilles pour ne retenir qu'une seule chose. Le nom de la louve isolée. Elerinna. Ce son résonne agréablement à ses oreilles. Tellement qu'il se le murmure à lui même. Elerinna. Un jour tu seras mienne. Je te le promets. Et ce jour là, plus personne ne te traitera ainsi sous peine d'un sort tellement atroce que même le diable y laisserait des larmes de sang en détournant le regard. Un jour tu seras mienne.
Le loup de jais poursuit la louve au pelage corbeau au milieu de la foret charbonneuse. Il ne met pas toutes ses forces dans cette course poursuite qui n'est en réalité qu'un simple jeu, un simple divertissement pour deux âmes en peine. Mais, savoure pleinement la vue de la louve, sa louve gambadant joyeusement dans ce décor sombre et torturé parfait reflet de leurs deux âmes. Finalement, la louve ralentit et lui adresse un sourire rayonnant avant de se moquer gentiment du loup. Ce dernier fait mine d’être offusqué avant de lui lancer que c'était pour admirer la belle vue s'offrant à ses yeux. Il rejoint la louve en quelques foulées et la percute sans violence. Les envoyant s’emmêler dans un roulé boulé. Les éclats de rire brisent la quiétude des lieux.
Tu es sur que c'est la bonne chose à faire ? Oui, ma belle. Il est hors de question que tu passes plus de temps ici. Ne te sens pas obligé de le faire simplement pour moi. Tu ne m'y obliges en rien. Si, je reste ici je vais finir par en égorger un ou deux. Bon dans ce cas, je te suis. Je te suivrais partout. C'est bien mieux pour nous tous. Hors de question que nos petits subissent les regards hostiles d'un ramassis d'abrutis. Mais, la meute n'a pas de terre. Comment allons nous faire pour... ? Ce n'est qu'une question de temps. Fais moi confiance. Atom et Isha méritent d’être suivis. Je suis sur qu'ils ont déjà prévu quelque chose. Tu n'accoucheras pas dans la boue. Si tu leur fais confiance, je leur fais confiance. Je te l'ai promis non ? Tu m'as promis beaucoup de choses Ebène. Et j'attends toujours. Si tu parles de ce lapin bien dodu. Pour ma défense, on dirait qu'ils se sont tous mis au régime. Je n'y suis pour rien pour une fois. Tu m'a au moins déjà donné une chose. La plus importante. Je t'aime et t'aimerais toujours tu le sais Elerinna. Approche.
...
Je m'approche des ruines de la chapelle d'un pas sur mais nonchalant. Je divague dans mes souvenirs, perdu quelque part dans les méandres de mon esprit torturé. J'atteins bien vite ces ruines m'étant si chères pour un certain nombre de raisons. Mon petit est né dans cette chapelle, je me rappelle encore ses petits geignements plaintifs puis les léchouilles de ma compagne sur son museau. Je me remémore le moment ou j'ai installé ma louve noire bien au chaud à l'intérieur peu après la prise de ce lieu de manière à la fois guerrière et diplomatique. Je me revois lui dire que tout irait bien. Ce bâtiment était plus que le quartier général des Navniks, plus que le foyer de cette meute à laquelle j'avais tant donné. Ce lieu était une part de moi même depuis maintenant plus d'une année. Et le voir dans un tel état me faisait toujours aussi mal malgré le nombre incalculable de fois durant lesquelles j'étais revenu ici et avais contemplé de la même manière les débris qui avait autrefois été une fière bâtisse dressée contre le monde telle la philosophie Navnik. Cela faisait bien plus mal que ce que j'aurais été prêt à avouer. Mais quelque part, cette désolation sous laquelle se trouvait ma tanière que j'avais choisi d'installer dans la crypte sous le bâtiment n'était que le parfait reflet de ma propre âme. En cela, le parallèle était aussi ironique que bien trouvé. Autrefois, cette chapelle était telle une forteresse imprenable à l'instar de mon équilibre émotionnel. Un équilibre qui reposait entre les pattes d'une louve aujourd'hui décédée. Je suis une part de cette ruine et elle est une part de moi.
Certaines choses ne changeront jamais. Le soleil se couche lentement mais sûrement sur le territoire de la meute. Baignant les environs d'une lueur orangée d'une grande beauté mais je n'y prête aucune attention et entame mon rituel. Un rituel devenu une habitude désormais. Je fais le tour de la ruine, dessinant de mes pas un cercle parfait autour de notre ancien repaire. En encerclant la défunte chapelle, je détaille les ruines encore debout et les tas de débris d'un œil morne et hagard tout en pensant à mon frère et mon fils me semblant aussi loin de moi que les membres de la famille que j'ai perdu. Rhaegar doit apprécier les montagnes. J'espère qu'il se montre prudent dans ses explorations intensives et que Daante ne le lâche pas d'une semelle. Je sais bien que mon petit est presque adulte mais je ne peux m'en empêcher. J'espère qu'ils mangent à leur faim et que là bas il y a encore des cerfs, des sangliers et autres proies désormais disparues ici. Le soleil crée des ombres et c'est donc sans surprise aucune que je remarque la présence du spectre ne quittant jamais la protection de l'ombre.
Le spectre de ma petite Nyssa qui reste invariablement le même. Ma petite princesse sauvage est ensanglanté et son pelage brun semble avoir roussi. Son regard qui était si pétillant est aussi vide qu'un puits sans fond et son visage n'esquisse jamais aucune expression. Je suis bien conscient que cette hallucination est de mon fait, que je me renvoie consciemment ou non la culpabilité dévorante m’étreignant quand je pense à la louvette que nous avions adopté. J'interromps ma manœuvre et m'assois sur la terre abîmée avant de murmurer : J'étais sur de te trouver ici ma puce. Puis, je contemple l'apparition macabre durant de longues minutes jusqu'à qu'une effluve reconnaissable entre mille vienne chatouiller mon museau. Helya, mon alpha. La louve que j'ai le plus trahi en disparaissant ainsi. Pourquoi ? Parce que j'étais son second, celui qui faisait exécuter ses ordres, la soulageait de certaines taches, devait l'aider à guider la meute et la protéger en cas de danger. Je me sens soudainement mal de ne pas être aller la voir plus tôt. Helya , la guerrière qui avait su gagné ma confiance, mon admiration, mon amitié et ma loyauté absolue peu de temps après sa prise de fonction vécue à l'époque par une certaine partie de la meute comme un coup d'état pur et simple. Qui avait su les gagner par ses actions et ses paroles. Une étrangère qui avait vite effacé le bilan mitigé d'Atom à la tète des Navniks. Non, une ennemie qui avait su devenir une Navnik bien plus vite que certains et n'avait depuis jamais failli à ses obligations et sa loyauté envers sa meute. Un exemple à suivre pour nos louveteaux.
La meute avait fini par l'accepter et pour certains l’apprécier. Rien d'étonnant à cela. Elle s'était retroussé les manches et avait fait de cette meute la plus détestée, celle dont le destin ne semblait pas être de vivre longtemps une meute prospère et puissante. J'imagine que pour la détester il fallait nécessairement être partisan de la théorie du coup d'état ou avoir des antécédents avec elle. Pour ma part, le retour du dragon ne changeait rien à tout le respect, la confiance et la loyauté que je lui portais. J'avais intégré cette meute pour des raisons personnelles et pour suivre Isha. Mais, j'avais eu une autre alpha que celui que j'aurais du avoir. Ce n'était ni ma putain de faute et désormais plus franchement mon problème. Il m'apparaissait évident que le dragon devait occuper un poste dans sa meute et peut être même sûrement récupérer son trône. Oui, cela serait foutrement logique néanmoins c'était délicat. Une question que la meute trancherait. Pour ma part, je me tiendrais à l'écart des jeux politiciens. Tout simplement parce que je serais bien incapable de trancher entre l'immortel qui a su me rallier et la louve m'ayant démontré qu'elle était plus que digne d'occuper sa fonction. Peu m'importe qui je devrais suivre ensuite. Isha ou Helya. Je les suivrais. Je sens l'effluve de la louve se rapprocher de ma position. Je me contente d'attendre.
M'attendant fortement à me faire incendier connaissant le caractère bien trempé de l'alpha. Voire à me manger une raclée. Djall était à mes yeux la seule que j'aurais laissé me mettre une trempe pour mes choix passés. J'avais oublié Helya. Ma meilleure amie d'un coté et mon alpha de l'autre les deux seules personnes pouvant me fusiller pour mon départ sans que je ne leur donne tord. Si les autres voulaient jouer de leurs crocs pour me faire comprendre leurs avis. Ils s'exposaient à une violence extrême. Le spectre disparaît au moment ou la louve arrive à ma hauteur et je laisse filer ce reflet brisé de mon enfant autrefois chéri.