Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
Je me réveille lentement mais sûrement au milieu de la ville en ruine d'un sommeil qui s'est révélé plus que réparateur. Ah, la douceur des bras de Morphée tranche cruellement avec le spectacle défilant devant nos yeux. Morbide tableau d'horreurs ininterrompues. J'ouvre un œil délicatement puis un autre avant de rouler sur moi même pour me relever mais un bruit sourd attire immédiatement mon attention et un sentiment de peur intense me saisit dans la foulée. Un frisson descend le long de mon échine dorsale. Et je m’apprête à bondir sur mes pattes pour prendre la poudre d'escampette au premier signe de danger. Je ne me sens pas moi même et ne me reconnais pas du tout dans ce faiblard effrayé par sa propre ombre et le pire c'est que je ne peux strictement rien y faire. Mon cœur bat à deux cents à l'heure et je laisse un faible grondement dissuasif se voulant parfaitement menaçant mais ne l'étant pas plus qu'un louveteau face à un tueur expérimenté ayant déjà décidé de son sort. Non, mauvaise idée de penser à ce genre de chose. Cela ne fait que renforcer ma frayeur en me donnant des visions de sang et de monstruosités.
Je me redresse lentement mais sûrement et dévoile mes crocs avant de pousser un grondement se voulant plus assuré et déterminé mais en soi aussi peu menaçant que le premier. Je tape durement de la patte sur le sol comme si cela pouvait impressionner quiconque à part un louveteau de trois mois maximum et encore il faudrait que ce dernier soit bien facilement impressionnable. Je prends mon courage à deux pattes. Façon de parler car il ne devrait pas peser bien lourd. Et, je m'avance de quelques pas les crocs dévoilés et l'attitude guerrière alors que je suis en réalité prêt à me carapater à la quatrième vitesse le plus loin possible de cette menace invisible. Le courage est la vertu des imbéciles. Je tiens à ma petite, morne mais infiniment précieuse vie. Mon existence ne vaut pas la peine d’être vécu pourtant je m'y accrocherais comme un louveteau affamé au sein de sa mère ou de sa nourrice. Je me fige quelques centimètres après ma position initiale et lance d'une voix geignarde : Qui va là?! Mais seul le silence me répond alors je décide de choisir l'option la plus sage. Lorsque le couinement caractéristique d'un rat monte jusqu' à mes oreilles.
La vile trogne du sale rongeur ne tarde pas à émerger d'une cavité et le voilà qui se dandine devant moi comme si de rien n'était alors que cet imbécile venait de me coller la peur de ma vie. Bon d'accord peut être pas la peur de ma vie parce qu'il y a eu cette fois dans la fête foraine ou celle ci dans les marais. Mais, cela n'efface en rien l’opprobre qu'il vient de jeter sur ma journée. Et pour cela, je vais le massacrer ce saligaud. Je vais le saigner, le vider de son sang. Écraser sa misérable existence sous ma patte et savourer le spectacle. Je m'en lèche les babines de délectation. Je l'observe se balader aux quatre coins de la pièce d'un œil mauvais avant de bondir sur mes pattes dès que j'estime qu'il a le dos tourné. Ta vie touche à sa fin misérable vermisseau. Tu vas regretter de m'avoir dérangé en ce jour. Je traque le petit animal à travers la vaste pièce mais percute un obstacle puis un autre et ce dernier en profite pour se faire la malle. Dépité, je peste d'exaspération et commence à geindre en raison de la douleur causée par les chocs. Puis, je détaille mon antre d'un regard brillant malgré la douleur, la honte et la colère de mon échec cuisant.
C'est un véritable repère d'Ali Baba rempli de toutes mes trouvailles et découvertes sur les hommes. Un rassemblement de merveilles d'un autre temps. Je ne comprends strictement rien à tout ce mic mac que j'entrepose dans ma tanière se trouvant au cœur de la ville en ruine mais je sais que cela ne peut qu’être précieux puisqu' appartenant aux hommes et ayant été conçu par leurs bons soins et leurs doigts habiles. Je me demande durant un instant s'il s'agit d'une vaste blague échappant à mon contrôle ou si je me suis réellement transformé en ca du jour au lendemain. Je peste avant de laisser de coté ces pensées interrogatives. Me voilà devenu un loup faible et peureux, amoureux du travail des hommes.
C'est un cauchemar. C'est un cauchemar. C'est un cauchemar ! Précieux pas comme... Pas comme les tanières pitoyables et inutiles de mes pathétiques congénères. Tout ce qu'ils l'ont, ils le tiennent de ces divinités que sont les hommes. Et comment les remercient ils ? Par l'ingratitude et la violence. Mon espèce ne comprend rien à rien. En même temps, elle n'en a pas les capacités. Le génie est d'une rareté chez les loups alors qu'il est commun chez les bipèdes. Une chance que j'en sois doté jusqu'à la moelle. C'est pour cela que je les évite comme la peste. Ils sont porteurs d'ennuis et de stupidités. Très peu pour moi ma bonne dame. Je suis très bien dans mon modeste paradis. A ce moment précis, je me dis que je suis dans la peau d'un autre. Que cela ne peut pas être moi.
Et pourtant pourtant... Je me relève et détaille les lieux d'un regard bavant d'admiration et d'amour pour mes précieux trésors. Ne vous en faites pas mes bébés, papa revient vite. Puis, je quitte le bâtiment par le trou dans le mur constituant l'unique ouverture. La ville est toujours aussi majestueuse malgré le départ de ses habitants. Mais, ils reviendront un jour j'en suis persuadé. Je savoure la vue de tout ces bâtiments autrement plus impressionnants que les sempiternels bêtises des loups. Je lève le museau pour humer l'air et savoure la touche de bipèdes dans l'atmosphère. Leur odeur est faible et l'effluve éparse mais cela ne fait rien. Je me délecte de ce doux parfum. La journée se passe plutôt tranquillement contrairement à ce maudit réveil intempestif. Je gambade, le sourire sur les babines au milieu des carcasses et autres débris. Je me nourris dans les restes que les hommes ont du abandonnés. C'était dur au départ de repérer et de dénicher les choses comestibles mais j'y suis parvenu avec brio et connais désormais les meilleurs coins de la ville pour manger comme un prince. Vous pouvez toujours courir pour avoir l'adresse.
Tout le monde n'a pas le palet suffisamment raffiné pour savourer cela à sa juste valeur. Cela tombe bien je ne comptais de toute manière pas partager. Mais, tandis que je me rends vers mon restaurant cinq étoiles. Un rat passe à quelques mètres de moi. Je vois rouge et m'élance à sa poursuite.
C'est haletant et épuisé que je savoure mon triomphe lorsque je brise la nuque de l'animal d'un coup de patte puissant. Puis, je prends mon repas dans la foulée. Je balance la carcasse restante au loin d'un coup de patte vengeur. Saletés de rongeurs ! Puis, je décide de faire demi tour histoire d'aller passer le reste de la journée à polir mes merveilles pour les rendre impeccable. Le fait que j'empeste et que mon pelage soit souillé n'a aucune importance. Je me fiche de l'image que je renvoie au monde. Il m'est totalement insignifiant. Soudain, je me fige en sentant une effluve lupine. Cette fois je détale sans demander mon reste et cours comme si j'avais la mort aux trousses et suis persuadé de l'avoir. Je fais quelques détours pour perdre mes poursuivants imaginaires mais arrête lorsque je commence à fatiguer. Je ralentis à quelques mètres de l'entrée de mon repaire, jette des coups d’œils furtifs à droite et à gauche. Tourne sur moi même pour vérifier que je suis bien seul avant de m'engouffrer dans mon antre à toute allure. Je me tapis dans un coin et attends en silence. Mais, je finis par m'endormir car tout ses efforts m'ont épuisés. Je me réveille le lendemain avec une drôle d'impression. Celle d'avoir perdu la mémoire. Je me sens légèrement bizarre lorsque je quitte le trou puant servant de logement à ces saletés de bipèdes dans lequel je ne me rappelle pas m’être rendu.
Tss, je deviens malade ou quoi ? Peu importe, une petite chasse ne me fera pas de mal et la saveur de la nature me nettoiera de cette puanteur tenace s'étant attaché à souiller mon pelage. En parlant de pelage, je me fige pour prendre le temps de le rendre présentable et passe de nombreux coups de langue dessus jusqu'à ce qu'il soit lustré. J'ai passé la veille dans les ordures ou quoi ! Ce n'est pas vrai. Puis, je m'élance à toute allure vers les terres sauvages, savourant la puissance de mes muscles roulant sous ma peau. J'ai hâte de ressentir l'ivresse de la traque. J'ai l'étrange sensation que tout est rentré dans l'ordre sans même comprendre pourquoi.