Elle s'était levée tôt ce jour là, comme elle le faisait souvent ces derniers temps. Dévorée par une envie d'exploration et de découvertes, elle n'avait pas attendu que le autres loups, ou même le soleil se lèvent, et avait commencé à parcourir le territoire Sekmet. Une fourmi qui transportait de la moisissure par-ci, une pierre étrange par-là... Invidia parvenait à s'émerveiller de tout ce qu'elle pouvait trouver sur son passage.
La moitié de la matinée passa ainsi lorsque Sy'Wen se manifesta pour la première fois. La rouquine senti son corps invisible, jumeau au sien, s'agiter à ses côtés. Elle s'arrêta, tourna la tête vers l'endroit où la louve aurait dû se trouver, savoura la présence de son esprit et l'odeur de son pelage, qu'elle seule pourrait jamais sentir. Elle était à elle. Elle n'eut pas besoin de demander à sa "jumelle" ce qui la tirait de son sommeil. A peine la question s'était-elle imposée à son esprit que la pensée de Sy'Wen résonnait dans son crâne.

*Il n'y a plus rien à voir dans ces terres moisies... Sors d'ici, j'ai senti quelque chose de bien plus intéressant pour aujourd'hui.*

Intriguée par le timbre qu'utilisait Sy'Wen, Invidia se hâta d'exécuter ses ordres, prenant au galop le chemin le plus rapide pour quitter son territoire. Au-delà, elle savait très bien ce qui l'attendait, mais s'y engouffrait tout de même tête baissée. Le paysage semblait toujours le même, terres désolée et stériles où l'espoir semblait mort. Pourtant, au loin, commençait à se dessiner des silhouettes d'habitations, vestiges branlants d'un autrefois plus glorieux.
Se sachant en zone dangereuse, la belle rousse profita des baraquement pour se cacher, gardant les oreilles dressées et restant alerte au moindre son, à la moindre odeur. Elle ne mit pas longtemps à remarquer que sa vigilance ne servait à rien. Aucune animation ne persistait dans les demeures des hommes. Plus de pas, plus de chasse, plus de vie... Curieuse, elle laissa dépasser sa tête de derrière le mur fissuré d'une maison. Plus rien... La voix de Sy'Wen se fit alors de nouveau entendre.

*Tourne à gauche.*

Irritée par un ordre aussi direct, elle obtempéra tout de même, empruntant la voie que lui dictait sa compagne de toujours. Elle ne tarda cependant pas à s'impatienter, ne voyant pas où la louve dans sa tête voulait l'emmener. Elle avait toujours eu un sixième sens développé, mais où l'emmenait-elle cette fois ? Il n'y avait rien dans les ruines du village, tout n'était que désolation. De frustration, elle se mit à hurler.

« Qu'est-ce que tu veux encore Sy'Wen ?! Réponds moi ! »

Pour toute réponse, la voix froide de Sy'Wen reprit :

*Retourne toi*

Et une vois lui fit écho, une voix qu'Invidia ne pensait pas entendre encore un jour. Une voix surgie du passé qui lui tira un grand sourire mi-ravi mi-dément.

« Et bien Invidia... Je ne pensais pas te revoir, cousine. »

Elle se tourne vers le mâle foncé qui s'est arrêté au milieu de la route. Elle non plus ne pensait pas le revoir après tout ce temps. Elle s'approcha de lui tandis qu'il continuait, lançant une petite pique qui ne l'atteignit pas car elle n'en saisit pas la moquerie.

« Une petite balade en compagnie de tes voix intérieurs ? »

Son sourire la quitte alors qu'elle jette un coup d'oeil à côté d'elle, là où la perception de sa partenaire est la plus forte. D'un voix froide, presque accusatrice, elle lance, jetant un regard foudroyant sur son flanc.

« Balade, balade... Sy'Wen est particulièrement chiante aujourd'hui, c'est plus une corvée qu'autre chose de la trimbaler... »

Elle s'approche de son cousin, reprenant son sourire fou. Elle n'est plus qu'à un souffle de lui lorsqu'elle s'arrête, leur museau se touchant presque. Les yeux pétillants de sa folie trop longtemps dissimulée pour aujourd'hui, elle sort la langue, lèche la babine de son cousin.

« Tu as bon goût... Et les proies sont si rares... »

Secouant la tête d'un air contrit, elle s'écarte d'Elrön, sa queue agitant l'air d'agacement.

« Mais tu es tellement ravagé... C'est nouveau d'ailleurs, non ? »

Elle avait frémi lorsque le mâle sombre lui avait rendu son coup de langue. Pas de peur, comme tout autre loup normal l'aurait fait à sa place, mais de plaisir contenu.

« Ne t'inquiète pas, tu as bon goût toi aussi... Le garde manger Sekmet n'est-il pas assez grand pour satisfaire ton appétit ? »

Elle fronça son museau délicat, sachant le loup désormais dans son dos, en une mimique irritée. Ce n'était pas ça le problème principal, bien que le peu de proies ramenées au garde-manger était affligeant, mais elle aurait aimé autre chose... Autre chose que des rongeurs maigrichons, quelque chose de plus gros, de plus... Comme elle. Il la rejoignit, répondant à la dernière question d'Invidia et forçant la présence de Sy'Wen à changer de côté. Elle savoura la présence nouvelle de son cousin, heureuse de ne plus se trouver seule avec l'autre. Enfin quelqu'un avec qui s'amuser un peu !

« Un petit cadeau de mon Alpha actuel... Je crois que je ne me suis jamais autant amusé que ce jour-là, depuis quelques temps. Si tu veux, je te fais la même. Tu verras, ça pique un peu au début mais on s'y fait ensuite. »

La mâchoire puissante d'Elrön claqua à côté de son joli minois, mais elle ne broncha pas. Pire, elle se contenta de tourner la tête, lui jetant un regard irrité où se mêlaient frustration et incompréhension. Le loup la dominait, elle ressemblait à un vulgaire chiot face à lui mais elle n'en avait cure. C'était à peine si elle s'en rendait compte.

« Tu ne le penses pas vraiment, si ? J'ai besoin de ça si je veux continuer à manipuler un peu les autres, sans la beauté que la nature m'a attribuée, comment puis-je espérer faire tourner les têtes ? »

Une lueur d'intelligence malsaine passa un moment dans les yeux de la jolie louve.

« Tous les mâles normaux aiment les jolies louves en détresse, que peuvent-ils leur refuser ? »

Il la contourna, se collant légèrement à elle. Le froissement de leurs fourrures enleva l'expression outrée du visage de la rouquine alors qu'elle se détendait à ce contact. Sy'Wen s'agita à côté d'elle, et son rire s'éleva dans la tête d'Invidia. Elle trouvait cette situation drôle, naturellement. Ce devait être amusant de voir son hôte agir comme une débile quelque soient les circonstances.
La voix du mâle foncé résonna de plus belle :

« Que deviens-tu cousine ? Libre comme l'air ou clouée à terre ? »

Mais c'était à peine si elle l'avait entendu. Non, elle avait trouvé quelque chose de bien plus intéressant que la conversation avec son cousin, quelque chose qui venait de chatouiller son nez en l'embêtant. Elle répondit donc machinalement, le regard fixé sur la chose qui remuait à présent devant elle.

« Clouée à terre ? Tu sais bien que je vole avec les papillons, ce que tu dis n'a pas de sens ! »

Immobile, la chose s'était immobilisée. A pas feutrés, la rouquine s'en rapprocha, il ne fallait pas attirer son attention, sinon la chose allait fuir. Sans crier gare et dès qu'elle fut assez près, elle sauta sur la touffe de poils qui avait chatouillé son nez, et qui se trouvait être la queue de son cousin, l'attrapant entre ses pattes et tentant de la mordiller.

« Un jour, quelqu'un te volera ton joli minois... »

Le museau de la rouquine se baissa et ses grand yeux d'ambre jetèrent un regard attristé au noireaud. Elle se moquait de lui, tournait en dérision ses paroles tout en lui tournant autour. Les oreilles du mâle s'agitèrent, captant le regard de la jeune louve. Il aurait été si aisé d'en attraper une pour la croquer... Si tentant de l'arracher pour la déguster bien au calme... Le regard d'Invidia resta accroché sur les oreilles pointues de son cousin, celui, plus attentif, de Sy'Wen brulant dans son dos.
Seule la voix d'Elrön parvint à faire baisser les yeux de la belle rousse pour les plonger dans celui, si ressemblant, du monstre qu'était son cousin. Peut lui importait, elle aussi était un monstre.

« Ton père ne t'a pas appris qu'il était peut recommandé de s'en prendre à la queue d'un autre ? »

La rousse éclata de rire, au grand non-étonnement de son alter, toujours immobile. Elle darda son regard d'or liquide dans celui de son cousin, un sourire mauvais sur les babines.

« Mon père n'était qu'un abruti fini, comme tous les autres. Et aujourd'hui, il n'est plus. Je n'ai plus à suivre son étique. »

Les crocs de son cousin plantés dans son encolure ne parvinrent qu'à lui arracher un rire supplémentaire. Elle se gaussait de la situation, folle qu'elle était dans son monde distordu où tout lui paraissait matière à rire. La voix de son cousin fit monter en elle une excitation qu'elle n'avait plus ressentie depuis longtemps.

« Nous pouvons jouer à d'autres jeux... »

Jouer... Pour elle, ce mot était synonyme d'une douleur fulgurante à venir, d'une manipulation exercée sur l'autre et dont elle se savait dépendante, comme une droguée accro à qui on ne parvenait à retirer sa dose. Ses yeux brillants se levèrent vers le cou du mâle, à défaut de pouvoir en observer les yeux, attendant avec impatience la proposition. Au lieu de cela, elle ne perçu que la rencontre brutale du sol et l'impact de la patte d'Elrön dans ses côtes qui la propulsa un peu plus loin. Elle se redressa sur ses pattes avant, prête à protester, mais les "règles du jeux" l'interrompirent.

« Le chat et la souris. Si je t'attrapes, tu es à moi. Et si tu m'échappes... Je te laisse croquer un bout. Si les règles sont claires... Cours ? »

La rouquine ouvrit une gueule mécontente, s'approcha à pas lents de son cousin.

« Les récompenses ne sont pas égales ! Je te donne un jour si tu gagnes. Un jour où je serais à toi et où tu feras ce que tu veux. A présent.... »

Invidia, d'un coup de patte rapide, envoya de la poussière au visage de son cousin, bien déterminée à gagner la partie, et parti au galop dans le sens opposé.

« Que le jeu commence ! » hurla-t-elle, plus pour elle même que pour son cousin.

La ville... Il y avait plein de cachettes dans la ville, ou même dans cette autoroute pleine de trous et de galeries. Elle les avait souvent exploré. Agilement, elle sauta entre deux morceaux de routes, se retrouvant dans un tunnel étrange formé par l'écart entre les deux côtés de la chaussée. La pénombre et la poussière ne la gênaient pas, elle y était habituée à force de venir explorer les lieux, elles étaient ses alliées depuis longtemps. Le cliquetis des griffes de Sy'Wen résonnaient en écho aux siens, lui donnant une impression de puissance et lui arrachant un sourire de jouissance... Le jeu pouvait commencer.