Souffle acide du vent, larmes brulantes du ciel. Le monde ne ressemble plus aux paysages d'autrefois. Les cataclysmes ont frappé, des colonnes de flammes et de fumées se sont élevées sur l'horizon. La guerre. La guerre des hommes. Et nous, les loups n'avons eu d'autres choix que de fuir. Nombreux furent nos congénères emportés. Nous traversâmes les plaines cabossées, les forêts de cendres, poursuivis par la faim, traqués par la mort.
Notre salut, nous le devions malheureusement à ceux qui avaient provoqué notre malheur.
J'avais organisé un petit entrainement de routine, voulant donner quelques leçons ainsi que des conseils dans les différentes situations que nous pouvions rencontrer un jour dans notre vie de loup. Owen, le fils de Nymeria, ainsi qu'Hel, ma belle fille, avaient répondu à l'appel et s'était présenté ce matin au bosquet. Redressant légèrement la tête, je souris aux deux jeunes loups avant d'hocher lentement lentement la tête.
- Comme je vous l'ai expliqué, il s'agit d'un entrainement de mise en situation. Plus vous y serrez confronté tôt, plus il vous sera facile de réagir quand la situation se présentera à vous. Suivez moi, nous allons commencer.
Je fis de nombreux pas, descendant une pente assez rude, vérifiant bien que les deux jeunes loups me suivent bien derrière. Enfin, quand nous arrivons en bas, une large pente nous fait face, assez raide mais comprenant néanmoins des niches pour pouvoir se reposer lors de l'ascension.
- Si vous tombez au fond d'une ravine, ou si vous devez vous échappez rapidement, il faut que vous puissiez escalader ce genre de mur. Je vais passer devant pour vous montrer, essayer de bien observer, d'accord ?
Je m'avançais lentement, posant les pattes sur la pente avant de bondir vers l'avant. Je contracte mes muscles et plantes mes griffes dans la roches, commençant à monter à la force de mes pattes, en parallèle par rapport à la descente. Je continus ma progression en poussant d'avantage sur mes pattes, bandant mes muscles pour me maintenir en place. Je me trouve alors en face d'une monté sèche. Je prends mon élan et saute alors d'un seul coup vers le haut, posant mes pattes avant pour tirer mon corps et soulever mes pattes arrière. Je me trouvais à la moitié de la montée, sur un petit plateau. Je regarde vers le bas, faisant signe aux deux jeunes loups que c'était à leur tour de me rejoindre, un par un.
Hel a mis du temps à oser s'approcher de la louve claire. Hel a mis du temps à oser sortir de la tanière à vrai dire. C'est que le monde est grand, et effroyablement peuplé. Hel s'est habitué à croiser du monde lors de ses entraînements de guérisseuse, mais aujourd'hui Hel doit cotoyer le monde sans qu'il ait besoin d'elle, et l'idée lui est douloureuse. Hel n'a pas le besoin viscéral de servir, mais elle aimait l'idée de rentre son père fier d'elle. Hel s'avance timidement face à la louve, et lance au petit mâle à ses côtés un rapide coup d'oeil avant de détourner le regard. Les consignes arrivent vite, Hel retient chacun des mots. Quelque chose d'étrange se fraye une place dans son esprit. Un sentiment nouveau qu'elle ne connaissait pas. Quelque chose d'amer, qui lui fait mal dans la poitrine. Hel suit les instructions à la lettre et se promet qu'elle ira trouver son ami pour lui en parler, plus tard lorsqu'elle aura le temps libre. Hel suit la louve sans un mot, s'enfonçant silencieusement dans les profondeurs de la terre. Hel aurait aimé que Kobalt l'invite ici. Hel préfère être entre ses pattes à lui. Mais Hel n'a pas le choix, son père l'a menée là. Hel observe les pas de la louve comme elle a observé ceux de Kobalt autrefois. Hel a grandi, mais elle est toujours aussi maladroite. Finalement, lorsque le regard de la louve blanche se pose sur eux, Hel laisse au mâle le plaisir de commencer. Mais il s'attarder, et Hel comprend qu'elle doit s'y coller. Le sentiment étrange grandit doucement au creux de sa poitrine. Hel pose une patte dans les roches qui portent encore les traces de l'adulte. Elle pousse sur ses pattes, sent ses muscles se tendre sous sa peau et suit les mouvements de la louve blanche. Hel force ses muscles à lui obéir. Un pas après l'autre. Seconde après secondes. Hel a déjà mal aux épaules, elle aurait préféré prendre le temps, zigzaguer longtemps pour arriver au même point sans brûler ses muscles comme elle le fait. Hel est faible, elle le sait. Et puis, Hel pense à son chiot. Il a besoin d'être protégé, après tout. Hel s'élance plus fort, plus vite. Hel trébuche, se cogne la mâchoire inférieure sur les pierres, mais se relève dans une grimace et ce malgré le liquide qui s'écoule sous son menton. Tant pis pour ça. Hel doit avancer, coûte que coûte.
[Je retire Owen de l'entrainement comme Anya pense le supprimer du coup ><]
Je les observais d'en bas, et il semblerait qu'Owen ne parviennent pas à se décider pour monter. Il a sans doute le vertige... Je lui fais rapidement signe de retourner au campement, nous réaliserons un entrainement plus adapté pour lui plus tard... Il faudra bien un jour qu'il affronte ses peurs. Campée sur mes pattes, j'observe ma belle fille commencer son ascension avec peine. Je sans qu'elle n'est pas comme les autres, mais je suis certaine qu'elle peut surmonter ça. Et même si sa chute m'inquiète, me faisant tendre mes muscles pour bondir vers elle, elle se redresse et continue à monter jusqu'à me rejoindre. Je me penche légèrement vers elle et passe doucement un coup de langue sous son menton pour en retirer le sang qui perle légèrement. Ce n'est qu'une égratignure, ça devrait aller. Je lui fais alors signe de passer devant, lui montrant le reste de la montée.
- Essaye de grimper Hel, je suis derrière toi si tu as besoin d'aide, je te rattraperais, d'accord ?
Je lui fis un sourire tendre, avant de l'inviter à essayer du museau. J'étais là pour assurer ses arrières, qu'importe ce qu'il se passe, grimpant derrière elle, à son rythme.
Hel voudrait se sentir bien, aux côtés de la louve d'ivoire. Elle aimerait l'apprécier comme elle a toujours apprécié Altaïr ou Kobalt, ou même tous les autres loups qu'elle a rencontré. Mais Hel le sent au fond d'elle, c'est là quelque part et ça grandit, ça prend chaque jour un peu plus de place en elle. Hel se concentre, inspire profondément et retient un mouvement de recul au contact de la louve adulte. Sans un mot, Hel observe le reste de la montée et s'imagine déjà en haut. Hel pourra-t-elle y arriver ? Et si elle y parvient, Nocturne la regardera-t-il de nouveau ? Hel aimerait seulement remonter le temps. Elle avance une patte, puis l'autre, et dans un effort qui lui est douloureux, elle commence à monter. Elle concentre son regard sur chacun de ses pas, écoutant les battements frénétiques de son coeur, ressentant chaque contraction de ses muscles et chaque tension de ses tendons qui font d'elle une louvarde forte et déterminée. Hel continue d'avancer en silence, forçant sur son arrière-train pour qu'il suive le reste de son corps. Les douleurs dans ses membres ne sont rien face à la détermination farouche de la louvarde, et ce depuis qu'elle est toute petite. Autrefois cela suffisait à angoisser Nocturne mais aussi à le rendre plus fier que jamais. Aujourd'hui, rien ne semble assez impressionnant pour attirer de nouveau son regard sur la petite qu'il a pourtant sauvée. Hel bondit tout à coup sur le côté avant de glisser et de retomber lourdement sur le flanc. Hel se redresse, elle voulait dévier un glissement du terrain. Hel laisse échapper un soupire désespéré avant de reprendre son ascension dans le plus grand silence. Hel a toujours cru que leur amour serait éternel. Qu'un père ne pouvait cesser d'aimer sa fille. Hel s'est trompé.
Je me trouvais derrière elle, la regardant monter et montant à sa suite. Mes pattes agrippent la roche et je pousse sur mes postérieurs, bandant mes muscles pour grimper un peu plus à chaque fois. L'ascension est longue comme périlleuse, mais je ne détache pas mon regard de la louvette. Quand je la vois sauter, j'ai le réflexe de bondir à mon tour pour m'avancer, au cas où elle tomberait. Muscles tendus, j'étais prête à la rattraper, campée sur mes pattes. Elle ne m'adressait ni un mot, ni même un regard... Je ne sais pas, je sens une tension qui vient d'elle... Pourtant, j'essaye d'être la plus ouverte possible, et de la traiter comme ma propre fille... A croire que ce n'est peut-être pas suffisant. Je continue de grimper, tendant les pattes avant pour agripper la roche une nouvelle fois et prendre de la hauteur en me propulsant avec mes pattes arrières. Je vois le haut tout proche, et j'y pose finalement la patte juste après Hel.
Reprenant lentement mon souffle, je pose mon regard sur elle avant de lui demander à voix basse. - Ça va Hel, tu te sens bien ? Si tu n'es pas trop fatigué, on va pouvoir faire une petite course... Il faut juste que tu essayes de filer entre les arbres sans que je ne te rattrape... Mais n'en fais pas trop, je ne veux pas que tu te blesses, d'accord ?
Je lui fis un petit sourire, avant de lui demander.
- Tu voudras que ça soit ton père qui s'occupe de toi, la prochaine fois ? Tu peux lui demander tu sais... Tu lui manques un peu ces derniers temps, il m'a dit.
Ajoutais-je, espérant ouvrir le dialogue avec la petite louvette.
Après des efforts qui lui paraissent bien au-dessus de ses capacités, Hel voit approcher le sommet de la pente. Enfin, son objectif est à portée de pattes. Elle pousse encore sur ses muscles, bande ses membres et les force à avancer encore. Juste un peu. Seulement quelques pas. Lorsque ses griffes agrippent le sol plat, la louvarde se hisse lentement jusque sur le sol meuble où elle se redresse lentement, refusant de se coucher pour faire montre d'une quelconque faiblesse. Sans un regard à la louve qui la suit de près, Hel fixe déjà l'horizon. Là-bas, si près et pourtant si loin, son père est occupé à mille et une affaires dont Hel est exclue ...
- Ça va Hel, tu te sens bien ? Si tu n'es pas trop fatigué, on va pouvoir faire une petite course... Il faut juste que tu essayes de filer entre les arbres sans que je ne te rattrape... Mais n'en fais pas trop, je ne veux pas que tu te blesses, d'accord ?
Hel se contente d'un hochement de tête, encore quelques secondes perdue dans ses pensées, le regard perdu dans l'horizon.
- Tu voudras que ça soit ton père qui s'occupe de toi, la prochaine fois ? Tu peux lui demander tu sais... Tu lui manques un peu ces derniers temps, il m'a dit.
Hel s'entend alors répondre du tac au tac, sur un ton presque froid et totalement désintéressé :
- Hel n'a pas de père.
Et Hel s'élance sans un mot de plus, bravant ses muscles tendus par l'effort, chassant petit à petit la peine qui brûle son coeur. Elle lui manque un peu. Si peu ... Hel ferme les yeux une seconde, rien qu'une. Ses pattes foulent le sol comme si elles l'avaient toujours fait. Hel court plus vite, plus longtemps, avec d'autant plus de professionnalisme qu'on lui a appris à se concentrer sur chacun des pas qu'elle fait. Hel se sentirait presque voler si la lourdeur de son esprit ne la clouait pas au sol avec une force terrible. Son coeur bat contre son poitrail, et Hel continue de courir malgré la chaleur qui envahit rapidement ses muscles.
Je m'étirais légèrement, décrochant la màâchoire après cette petite montée. Hel semblait fatiguée mais prête néanmoins pour la course. Elle ne me regarde même pas, me balaçant simplement au museau cette phrase cinglante. "Hel n'a pas de père"? J'haussais les sourcils, alors qu'elle commence à partir à pleine vitesse. Je m'élance alors après elle, voulant la rattraper. Mes muscles se contractent sous l'impulsion de mes pattes, alors que je vois sa silhouette zigzaguer entre les troncs des arbres. Je pousse sur les muscles de mes cuisses un peu plus fort encore pour me propulser vers l'avant, antérieurs tendus. Je foule la terre jusqu'à enfin atteindre la louvette qui semblait continuer de courir, comme pour m'échapper.
- Hel attend !
Je maintenais mon allure, essouflée par ma propre course, continuant de marteler le sol alors que je me trouvais à sa hauteur.
- Bien sûr que si, tu as un père ! Nocturne reste ton père...
À pleine vitesse, mes muscles se détendaient et se tendait sous ma fourrure. Je pris de la vitesse pour me placer devant elle, espérant la stopper dans sa course.
Hel court. Hel court et n'a pas l'intention de s'arrêter. Elle violente ses muscles, frappe le sol comme une forcenée. Hel s'exténue à garder une allure rapide sur une longue durée. Hel pense même qu'elle pourrait courir jusqu'au bout du monde, que ça lui permettrait d'oublier enfin que le père qu'elle avait n'est plus là désormais. Mais Hel ne peut s'empêcher de penser à lui. Hel frappe le sol de ses quatre pattes, s'acharne sur ses membres pour ne pas faire diminuer la distance qui la sépare de sa poursuivante. Hel veut la fuir comme la peste, elle veut la semer comme si elle était un prédateur mortel pour Hel. Hel court comme si sa vie en dépendait, brûlant ses muscles, s'arrachant presque les articulations tant son désir de fuir est viscéral. Hel espère même, le temps d'un instant, que la louve va l'abandonner là et la laisser disparaître une bonne fois pour toutes. Hel accélère quand l'adulte lui somme de s'arrêter. Hel accélère quand les pas de sa poursuivante la rattrapent. Hel s'en asphyxie de ne pas s'arrêter, mais elle se refuse à faire face à ses peines. Dans un bond prodigieux, Hel s'éloigne de la louve qui tente de se porter près d'elle. Elle insiste, comme si Hel avait besoin qu'on la rassure ... Alors que la louve tente de se placer devant la jeune louvarde, Hel freine brusquement des quatre pattes et s'arrête, droite comme un I, face à la femelle d'ivoire. Hel fixe le sol de longues secondes pour reprendre son souffle. Hel tremble de tous ses membres, mais reste debout malgré tout. Puis, posant son regard brun dans celui, si clair, de la louve crême, elle s'adresse à elle d'une voix si basse qu'elle semble être un murmure.
- Nocturne a d'autres priorités ...
Elle affiche alors un sourire. Léger, fin mais pas moins sincères.
- Hel n'est pas triste. Hel sait.
Et Hel aimerait tellement que le sujet soit clos ... Parce que là, au fond d'elle, le sentiment désagréable point et grandit avec force.
Je me tenais droit devant elle, mon regard posé sur sa frêle silhouette qui s'agite encore sous les soubresauts de la fatigue. Mon pouls battant lui même la chamade dans mes veines, je prends de courtes inspiration pour l'apaiser. Je tends mes épaules et lui adresse un petit regard désolé à l'écoute de ses paroles. Je me doute que c'est difficile pour elle... Mais elle doit me croire...
- Non Hel, ne pense pas ça... Ton père t'aime... Il veut te protéger et te garder auprès de lui. Il me parle souvent de toi et du fait que tu es son unique fille... Qu'il tient à toi...
Je lui souriais lentement.
- Tu as le droit d'être triste si ton père s'éloigne un peu de toi, c'est... Normal... Je voudrais qu'on puisse être amie Hel... Si tu veux bien m'accepter...
J'inclinais la tête à sa hauteur, inclinant légèrement les oreilles vers l'arrière de mon crâne, incertaine.
La louve pose sur Hel un regard empli de compassion et de douceur. Hel voit bien tous les efforts qu'elle fait, pourtant elle ne parvient pas à lui faire une place dans son coeur solitaire. Après de longues secondes d'arrêt, le coeur de Hel bat de nouveau a un rythme régulier. Mais leurs derniers échanges lui ont coupé toute envie de s'entraîner de nouveau. Hel soupire doucement alors que Patte d'Ivoire tente une énième fois d'entrer dans son périmètre de sécurité mental. Hel la dévisage de longues secondes, comme si la question n'était pas si simple. Comme si au fond, ce sujet ne pouvait pas être abordé ainsi, avec autant de simplicité, de distance. Hel ne lâche pas l'adulte du regard, pourtant elle est déjà loin de sa comparse. Miroir des Silences, s'il ressentait tant que ça son manque, n'aurait qu'à prendre quelques heures, quelques minutes de son temps pour les passer avec Hel. Mais il ne le fait pas, et si Hel ne lui en veut pas, elle n'en demeure pas moins profondément meurtrie.
- Tu as le droit d'être triste si ton père s'éloigne un peu de toi, c'est... Normal... Je voudrais qu'on puisse être amie Hel... Si tu veux bien m'accepter...
Hel garde le silence. Elle ne sait pas quoi dire. Si elle veut bien l'accepter ? Mais qui est-elle, pour oser le demander ? Qui est-elle, pour que Hel doive l'accepter ? N'est-elle pas, comme Kobalt, une autre soeur de son père ? Pourquoi désirer l'approbation de la louvarde qui n'a, jusque là, jamais eu le choix ? Hel pressent quelque chose. Si cette fois son avis compte, l'importance doit être de taille. Hel détourne le regard après un long silence gêné.
- Hel veut rentrer ...
Hel devra se promettre de réfléchir à tout ça. Mais pourquoi son avis compte-t-il tant, tout à coup ?
La louvette détourna la tête, sans doute peut-être mal à l'aise à ma demande... Je peux comprendre... Je dois, d'une certaine manière. Je ravale un soupire déçu, fermant les yeux avant de prendre une nouvelle inspiration.
- D'accord Hel, excuse moi... C'est peut-être un peu soudain... On va rentrer... Tu me diras ce que tu en penses quand tu auras décidé...
Je dirais à Nocturne de voir sa fille une fois de retour au campement... Elle en a besoin, j'imagine. Je fais avancer mes pattes lentement vers l'avant, en direction de la maison.