Je m'avance entre les arbres en boitant, grimaçant de douleur à chaque fois que ma patte antérieure droite se pose sur le sol. Je souffre en silence alors que la tanière du guérisseur se rapproche et, finalement, c'est dans un grognement léger que j'appelle à l'aide. Si j'aurais cru un jour redevenir Navnik sans que mon père soit à la tête de sa propre meute ... Alors que j'entends les mouvements du guérisseur dans sa tanière, un autre loup approche par ma gauche. Je lui lance un regard intrigué et comprends rapidement qu'il souffre d'une blessure pareille à la mienne. Je souffle de compassion.

- On dirait que les bipèdes s'acharnent ...

Et s'ils continuent, nous n'auront bientôt plus de chasseur pour nourrir les nôtres alors que notre garde-manger est complètement vide.

Rapidement, mes pattes me guident jusqu'à la tanière de notre guérisseur le plus expérimenté. Nous avons beaucoup de soigneurs, chez les Navnik, mais nombre de loups se rendent chez lui lorsque le besoin se fait sentir. Je préfère suivre la majorité, dans le cas où ses soins seraient de meilleure qualité. Mais je dois avouer qu'en me levant ce matin, je n'aurais jamais osé croire qu'un collet humain me permettrait de voir naître le plus grand espoir de toute mon existence. Alors que j'arrive près de la tanière en question, une ombre me fait tourner la tête et éveille mes sens. L'odeur, je la connais pour ne l'avoir jamais oubliée. Il n'a pas seulement sur lui effluves d'un Navnik. Il n'a pas seulement dans son pelage les relents nauséabonds des bipèdes. Non, il porte aussi et surtout l'odeur de sa famille. Les nuances sauvages et indescriptibles de tous les Dragons de ce monde. Je pose sur lui un regard empli d'espoir, comme un louveteau devant son premier challenge.

- On dirait que les bipèdes s'acharnent ...

- Fils du Dragon ...

Mais avant que j'aie pu lui poser mille et une questions, le guérisseur apparaît devant la porte. Ma postérieure blessée tenue en l'air saigne légèrement, mais la douleur n'est plus rien comparé à ce souffle nouveau qui gonfle désormais ma poitrine. Les Dragons sont de retour.

J'étire une grimace de frustration. Heureusement qu'Altaïr m'avait demandé de rester calme pour au moins une journée ... Me voilà de retour avec une nouvelle blessure et, tant qu'à faire, il s'agit encore d'un collet ... Je soupire en lâchant un jappement pour prévenir de ma présence, j'espère qu'il ne m'en voudra pas trop ...

Alors que ma blessure à la postérieure ne date que de la veille, je suis de retour chez notre altruiste de guérisseur avec une nouvelle blessure de la même origine. Les Hellhund sont partis en masse, mais ils nous ont laissé de beaux cadeaux avant leur départ ... Lorsque j'arrive près de la tanière d'Altaïr, j'aperçois de nouveau le Prince Dragon. Cette fois, je vais essayer de ne pas m'endormir trop vite. J'aimerais qu'il m'explique certaines choses et surtout, j'espère au fond de moi qu'il nourrira mes rêves concernant un certain Roi Dragon ...

Le mâle adulte est visiblement mécontent de nous revoir. Je connais des loups qui se seraient fait un plaisir de lui rappeler que nous sommes un peu son gagne-pain, mais je n'ai jamais été ce genre de loups condescendants et irrespectueux. Alors j'obéis en silence et observe ses soins sans rien dire, patient comme toujours. Peut-être éviterais-je de le déranger davantage à l'avenir. Finalement, grâce à son travail, je m'assoupis bientôt, exténué par mes dernières mésaventures. Mais lorsque je me réveille, le mâle fauve, Général Navnik, me fixe de ses yeux ambrés et une question trotte dans ma tête, que je ne peux réprimer plus longtemps.

- Hier ...

Son regard s'illumine, ses oreilles se dresse. S'il se contentait de me regarder dormir, maintenant il est totalement concentré sur moi. Je me redresse légèrement et pose sur lui un regard attentif.

- Tu sais qui je suis. Comment ?

Je l'ai regardé dormir plusieurs heures, sans me lasser du spectacle. Encore un fils Dragon qui n'est pas mort, que le Destin n'a pas fait disparaître à jamais. Et si je le revois deux fois en deux jours, c'est forcément parce que je le dois, parce que mon Histoire est écrite quelque part et qu'il est temps pour moi d'avoir enfin des réponses. Lorsqu'il s'éveille, le jeune mâle me regarde avec intérêt et je ne le lâche pas du regard. Il se rappelle de la veille, il se souvient que je l'ai appelé "fils du Dragon". Il sait que je sais. Je me redresse à mon tour, pour m'asseoir face à lui et presque en venir à le contempler. Lui, si jeune, ne sait pas. Il ne peut pas savoir.

- J'ai connu ton père. J'ai rejoins les Navnik pour lui, parce qu'il a su faire preuve d'un idéal bien plus grand que ce que tous les Alpha que j'ai connus m'ont montré.

Je l'ai suivi parce qu'il était pour moi non seulement un Leader, mais bien plus encore. Il était un modèle, un héros.

- Quand il a disparu, je suis resté parmi les Navnik en espérant le voir réapparaître et reprendre sa place. Aujourd'hui encore, j'attends son retour avec grande impatience. Les rumeurs courent, jeune Dragon. J'ai rencontré ton frère, Hurlement du Dragon, et l'ait entraîné pour le retour de votre père. Nous croyons à sa vie, même après tout ce temps.

Mais suis-je seulement face à un fils loyal ? Suis-je seulement devant un Dragon digne d'en porter le nom ?

- Et toi ?

Et toi, crois-tu en l'avenir ? Il est temps de me donner des réponses, jeune Prince de sang.

J'ai du mal à en croire mes oreilles. Tout ce temps enfermé, maltraité, reconditionné, et il existe encore en ce monde des loups qui croient en mon père et qui l'attendent. Ma gueule reste entre ouverte, je suis ébahi d'apprendre que certains lui sont restés loyaux même dans la mort. Je l'écoute avec attention, et mon regard se charge d'amertume à l'énonciation de mon frère. Remus a disparu le jour où nous avons libéré Père. Plus jamais je n'ai eu de ses nouvelles. Tant de questions, et si peu de temps pour les lui poser ...

- Remus a disparu. Si tu as des nouvelles, je te serais très reconnaissant de m'en faire part ...

J'hésite quelques secondes, fixant le sol avec désarroi. Puis, je repose mon regard empli de détermination dans celui du Général.

- Quand à mon père, nous l'avons ramené. Il est saint et sauf, et aujourd'hui lui et moi avons rejoint les rangs de notre meute. Si tu ne l'as pas croisé, c'est qu'il a dû être trop occupé à redorer un blason sali par des imposteurs ...

Dans mes yeux passe une lueur de dégoût. J'ai suivi mon père, mais je ne suivrais pas Helya qui a défiguré mon frère. Je n'estimerais jamais être fautif alors que mon frère avait été sali ainsi par des Sekmet et qu'il aura voulu se venger. Et je ne me sens pas coupable de trahison alors que j'ai empêché mon aîné de commettre un carnage alors que moi-même j'ignorais l'ampleur de ce que je faisais à l'époque. Aujourd'hui, je ne regrette rien. Et je continuerais à me battre pour mon père et ses idéaux. Comme ce Général.

- Quel que soit ton nom, Général, tu sais désormais que ton Leader est de retour.

Disparu ? Je comprends mieux pourquoi nos rendez-vous pour d'autres entraînements sont restés sans réponse de sa part. J'espère seulement qu'il va bien.

- Il ne m'a pas fait l'honneur de sa compagnie depuis très longtemps, mais tu sera le premier informé si je le revois.

Oui, jeune Dragon, je t'en donnes ma parole. Il me raconte ensuite ce qui s'est passé, et me confirme que l'Esprit du Dragon est de nouveau parmi nous, foulant les mêmes terres que moi depuis plusieurs semaines déjà. C'est donc ça, que ce foutu Miroir des Silences me cachait ! Salaud d'égoïste ! Je bombe le poitrail, par fierté d'être enfin dans la confidence.

- Mon nom est Natan, Colosse des Sables. Et grâce à toi, mon Prince, je sais désormais quelle est ma mission.

Je regarde ma patte blessée, teste quelques mouvements et affiche un regard satisfait.

- Je te remercie, tu fais de moi un loup comblé.

Et, sans expliquer davantage mes projets ni sans attendre sa réponse, je quitte la tanière du guérisseur. Je salut et remercie ce dernier, avant de m'évaporer dans les marais. Il est temps, pour les Dragons.