Parce que j'ai voulu mourir
Quand je t'ai regardé partir
Tu as tourné vers moi ton regard
Et j'ai su qu'il n'était pas trop tard

Quand aie-je cessé mes recherches ? Quand aie-je abandonné l'idée de retrouver mon frère jumeau ? Probablement le jour où Zirconium a disparu une seconde fois. L'espoir ce jour-là s'est définitivement envolé, et j'ai pris la décision de ne plus attendre, de ne plus pleurer ceux que j'ai perdu. Oh Kuro sera toujours le loup de ma vie, mon âme soeur, le seul pour lequel j'aurais toujours eu envie de me battre. Mais si le Destin nous a séparés depuis près d'un an, il est peut-être temps désormais que je cesse de m'acharner contre le sort. Je ne peux oser imaginer qu'il ne me reviendra jamais, l'idée m'est tout bonnement impossible. Mais ne dit-on pas que l'amour nous tombe dessus lorsque nous ne le cherchons pas ? Alors si je cesse de chercher la piste d'un frère qu'on m'a arraché, il finira bien par refaire surface de lui-même, n'est-ce pas ? Je m'avance en terres neutres, là où j'aurais autrefois passé toutes mes journées pour essayer de dénicher une nouvelle piste, de nouveaux indices qui me feraient avancer un pas de plus vers mes frères. Mais aujourd'hui, c'est sans but que je erre ici, et je n'ai plus la truffe au sol comme je l'avais autrefois. Aujourd'hui je ne suis qu'une louve de meute qui a besoin de prendre l'air. Jusqu'à ce que je croise le regard de cet inconnu pas si inconnu que ça, dont je reconnais les yeux empli de détresse et de doutes. Je dresses les oreilles dans sa direction. Son échine basse, ses oreilles plaquées sur sa tête, ne laissent aucun doute sur son errance. Je m'avance vers lui d'un pas tranquille, l'air nullement menaçant. Il ne me viendrait pas à l'idée de le défier, je n'ai aucune animosité pour lui.

- Le Prince a eu besoin d'évasion ?

J'ai vu en toi un guerrier
Malgré toutes les difficultés
Je me rappelle encore ta voix
Et je croirais toujours en toi

Un sourire léger accompagne ma tirade, comme dans l'espoir de le faire sourire à son tour, mais sa mine demeure grave et son visage fermé, faisant disparaître ma maigre bonne humeur qui se change en interrogation.

- Quelque chose ne va pas ?

Zut, j'aurais aimé dire son nom mais je ne me souviens plus s'il me l'a donné voilà plusieurs mois, et si c'est le cas je l'ai malheureusement oublié ...

A l'époque il était déjà perdu dans un doute constant, ne sachant plus s'il était Navnik ou Esobek. Et moi, lorsque je le regardais, je ne voyais qu'un loup loyal à qui on avait sauvagement arraché sa seule raison de vivre. Il avait trouvé une famille, un nouveau pilier auquel se raccrocher. Mais, aujourd'hui encore, je ne vois dans ses yeux qu'un Navnik qui a encore perdu sa route. Je détaille le jeune mâle quelques secondes en silence. La gravité de sa voix résonne du désespoir qui entache son coeur alors qu'il me montre les crocs.

- Je ne suis plus un Prince. Et j’ai besoin d’être seul.

Je m'avance d'un pas de plus, ne prenant pas pour argent comptant ses mises en gardes plus ou moins agressives qui manquent selon moi de conviction. Je songe, quelques secondes, à ne plus parler. A m'éloigner de lui pour le laisser seul avec sa peine. Mais je sais. Je sais au plus profond de moi, que j'aurais aimé un soutien lorsque je criais à qui voulait l'entendre que je me fichais de n'avoir plus personne. Je m'approche davantage, jusqu'à être à portée de crocs.

- Quand j'ai perdu mon frère, je rejetais tous ceux qui me proposaient un moindre soutien. Et au fond, je pleurais d'être seule ...

Encore un pas. J'inspire avec hésitation, retenant presque mon souffle pour ne pas faire de bruit. Mais je ne le quitte pas des yeux, laissant sur lui un regard empli d'amour et de compassion. Je suis la douce Shiro, celle que son frère a toujours protégé à cause de sa naïveté et de sa bonté maladive ... Et si aujourd'hui je n'ai plus personne pour me protéger, je n'ai pas abandonné mon altruisme.

- J'accepte de me taire si tu y tiens, mais j'ai l'intention de ne pas te laisser seul.

Si tous t'ont chassé, si tous t'ont tourné le dos, tu peux encore regarder mon visage, parce que je resterais près de toi.

Il hésite, reste silencieux, me laisse douter de mes propres promesses. Serais-je seulement capable de rester à ses côtés ? Aurais-je seulement assez de force pour veiller sur lui, pour alléger ses peines ? Mais je reste là, immobile devant lui, cherchant son regard jusqu'à ce qu'il me le donne enfin.

- Tu ne comprends pas. Tous ceux à qui je tiens meurent autour de moi : ma mère adoptive, Isha, ma vraie mère, ... tous.

Sa voix, emplie de désespoir, charge mon coeur de tristesse. Mon empathie me tuera, Kuro me l'a trop souvent répété pour que je n'y croie pas désormais qu'il n'est plus là. Mais je n'y peux rien, je suis ainsi ...

- Je ne veux plus que ça arrive ... je ne veux pas que ça t’arrive.

Je vois le soleil dans son doux sourire qu'il cache et s'obstine à garder. J'entends mon coeur qui bat et qui soupire à la seule intonation de sa voix. Et soudain, le monde devient merveilleux quand je réalise qu'il est doté de la même empathie, du même amour inconditionnel que celui dont j'ai toujours fait preuve et qui m'a toujours handicapé. Soudain, je ne suis plus seule. Alors, dans un doux sourire, je m'approche encore plus. Je passe mon museau sous le sien dans une caresse délicate, et je redresse lentement la tête pour plonger mon regard dans le sien.

- Alors promets de ne jamais tenir à moi, et tout ira bien ...

Peu importe ce qu'il croit. Peu importe sa détresse. Je serais là. Peu importe les malheurs qui l'accablent, peu importe sa culpabilité, je serais là. Et je lui apprendrais qu'on peut toujours se reconstruire. Je lui apprendrais que notre amour sera toujours notre force, même si il doit nous abattre sous sa masse.