Des crépitements. Iris Vaudou s'était assoupie lors d'une soirée au ciel quelque peu mouvementé, couchée dans un coin de son repère si familier, si rassurant, loin de se douter qu'elle serait près d'y laisser la vie le lendemain. Frôler la mort, ça, elle le faisait tous les jours. Seulement, en cet instant, elle ne s'était jamais sentie aussi proche de la grande faucheuse.

Elle ouvrit les yeux et se releva la tête d'un mouvement brusque. Une épaisse fumée grisâtre obstruait sa vue et emplissait déjà ses poumons de sa fragrance toxique. Elle se releva d'un bond, emplie d'un sentiment proche de la panique. Dans un craquement assourdissant, une partie des poutres qui soutenaient la charpente du bâtiment s'effondrèrent en soulevant des gerbes d'étincelles mortelles que la guérisseuse évita de justesse. Elle resta quelques instants abasourdie, scrutant ce spectacle apocalyptique de braises et de flammes vomissant des épaisses volutes de fumée.
La chaleur avait déjà fait roussir une partie de son pelage. D'un bond, sans penser à autre chose que de sauver sa précieuse réserve de remèdes, elle se dirigea vers les vieux cageots au fond du bâtiment et prit sa gourde remplie d'eau et une paquet de toile d'araignée qu'elle se hâta d'évacuer.

Mambo sortit dans la nuit étouffante et regarda autour d'elle. Elle aperçut le furtivement le pelage de son apprenti qui, pour son plus grand bonheur, avait déjà commencé à évacuer leurs provisions. Mais il n'était pas temps de le tarir d'éloges. La louve suivit ses traces jusqu'au vieux garage qui se trouvait à quelques mètres en dessous du niveau de sa tanière en feu et y pénétra aussi vite que sa patte souffrante le lui permit. La guérisseuse faillit glisser sur le sol de ciment anormalement lisse. Elle déposa rapidement ses deux pauvres fardeaux à côté de ce qu'avait déjà sauvé Kiriac et remonta précipitamment la pente qui menait à l'extérieur.

Elle croisa furtivement une louve. En d'autres circonstances, elle aurait interpellée, mais elle vit l'inconnue rapporter quelques éléments de sa réserve. Elle la remercierait plus tard. Avec toute l'agilité dont elle pouvait faire preuve, elle enjamba les débris enflammés et rejoins sa réserve. Les cageots commençaient à prendre feu. Elle prit une feuille d'Eucalyptus et un Pot de miel dans la gueule et recula vivement, retournant à toute vitesse dans le garage souterrain. Malgré les flammes qui lui léchaient le pelage et la chaleur étouffante, Mambo gardait l'esprit clair et lucide. Elle savait pertinemment qu'une partie de sa réserve ne serait pas sauvée à temps et pesta contre tout ce qui lui passait par la tête. Mais c'est aussi butée qu'un cochon sauvage qu'elle remonta la pente du garage afin de tenter un autre sauvetage.

Mambo écouta Kiriac d'une oreille distraite. Elle attrapa le sac de toile que Kiriac lui avait donné sans grande conviction. Son instinct lui soufflait qu'il était déjà trop tard. Elle remonta la pente, entretenant cependant une petite flamme d'espoir. Elle parvint au devant de l'entrée de l'entrepôt et s'arrêta lentement devant l'épais nuage de fumée noire qui s'échappait du lieu. Elle lâcha lentement le sac et tenta s'engouffrer dans son repère en ignorant toutes ces poussières toxiques mais dû se rendre à l'évidence: elle n'y voyait rien et risquerait de mourir intoxiquée si elle insistait. Elle soupira longuement et recula lentement. C'est dans un sentiment mêlé d'abattement et de soulagement qu'elle contempla ce qu'il restait de son repère. Abattement car elle venait de voir partir fumée une partie de son chez-soi bien-aimé et soulagement car elle était parvenu à sauver une grande partie de sa réserve, avec l'aide précieuse de son apprenti et de l'inconnue.
Iris Vaudou se réveilla lentement de son étrange torpeur et, d'un pas lent, elle se dirigea vers le sous-sol. Elle y rencontra ses deux alliés et afficha une mine réjouie - enfin, autant que possible dans une atmosphère aussi morne.
La guérisseuse s'assit et contempla l'inconnue dans un premier temps.
« Je tiens à te remercier. Bien que tu me sois inconnue, tu as aidé à sauver ma réserve si précieuse à mes yeux et, pour cela, je t'en serais éternellement reconnaissante. Je ne sais quelles ont été tes motivations, mais j'aime à croire que ce fut dans un élan de bonté. Si tu as besoin de quoi que ce soit, les portes de ma vieille bâtisse - à moitié en ruine désormais, je te l'accorde - te seront ouvertes. »

Elle se tourna ensuite vers son apprenti.

« Quant à toi, tu as encore une fois de plus prouvé ta valeur et ta loyauté. Merci Kiriac. Que serais-je devenu sans vous ? »

Elle partit d'un rire sans joie.