La peur.
Pour la première fois depuis des lustres, c'est cette peur qui dévorait le guérisseur et général des esobeks. Sa soeur avait disparu, et en partant à sa recherche il était tombée sur des traces sanglantes qui portaient son odeur. Ses tripes s'étaient tordus dans une douleur effroyable, et il avait couru aussi vite que ses pattes pouvaient le porter. Couru aussi loin que la terre le permettait. Pour tomber sur le corps de sa soeur.
Astral aurait voulu pouvoir dire qu'elle n'avait ps souffert, il aurait voulu le penser. Mais devant, ce n'était plus que quelques lambeaux de chair à l'odeur de Plume Rousse qui se tenaient là. Les mouches avaient commencé à glisser sournoisement sur la dépouille. Le temps s'arrêta brusquement, et le regard du général, du frère se perdit dans la chair et les os, son esprit voguait vers l'odeur du corps en putréfaction qui commençait à l'atteindre. C'était trop.

Il aurait voulu pleurer, hurler. Mais pas un son ne sortait de sa gorge, pas un mot ne fusait à travers ses crocs. Le vide s'était crée autour de lui. Et à ce moment là, il comprit que celle qui avait été son premier amour, celle qui l'avait accueilli dans sa nouvelle famille, celle qui lui avait un fils avait été réduit à néant par la folie des hommes. Son monde s'effondra, alors qu'il se traînait jusqu'à la carcasse en décomposition, et que sa tête glissait près de ce qui ressemblait le plus au cou de sa soeur bien-aimé. Et il resta là, incapable de se lever, de donner l'heure exact. L'espace et le temps avait disparu. Seul restait le vide.
Mais quand un corbeau vint se poser sur Plume Rousse, le guérisseur reprit ses esprits, chassant l'importun d'un hurlement de rage. Il fallut quelques secondes à peine pour que toute cette tristesse se mut en une colère intense. Le loup se releva avec véhémence, emportant la dépouille vers le cimetière pour l'enterrer dignement. Il fit rouler une pierre, la plus belle qu'il put trouver, à cet endroit précis et ferma les yeux.

- Ce jour tu périssais. A jamais tu seras reine.

Et il fit demi-tour, rentrant au campement esobek, couvert d'un sang qui lui appartenait sans être le sien. Il attrapa un petit auquel il demanda de lui ramener le bras droit. Le louveteau le fixa, inquiet de son état et fila, alors que Mélodie des Mondes s'éloignait le plus possible du camp, surplombant de son promontoire de pierre, l'autoroute éventrée. Patte d'Ivoire arrivait.

Il lui sembla attendre une éternité avant que les pas précipités de Patte d'Ivoire se fassent entendre. Son regard ne quitta pas le sol. Il baignait dans un sang autre que celui qui coulait dans ses veines, ou presque, et fixait le sol avec acharnement. Il voulait s'excuser, la supplier de lui pardonner, de ne pas lui en vouloir, mais il s'en voulait déjà à lui-même. Et dans la voix de sa soeur, il sentit qu'elle savait, sans émettre mot, mais qu'elle savait déjà.

- Astral... Que... ?

L'odeur de la peur le frappa telle une pierre jetée avec la force d'un homme baraqué.

- Où est... Où est Plume ? Où est notre... Soeur ... ?

Son coeur se brisa, sa gorge se serra et le mâle releva la tête vers sa petite soeur avant de s'approcher et de passer sa tête sur sa nuque pour la serrer contre lui et murmurant, les mâchoires serrées:

- Je suis arrivé trop tard. Cela fait des jours qu'elle était comme ça...

Il ne voulait pas dire "dans cet état". Il ne voulait pas que sa jeune soeur voit, qu'elle voit le carnage, l'impureté du corps de leur soeur reposant dans la terre molle et froide des terres du nord. Mais il ne pouvait lui mentir en clamant sa mort rapide. Plume avait souffert. Mais il ne voulait pas lui dire. Et en sentant la chaleur de sa soeur se répendre dans son pelage, Astral se sentit aussi coupable que s'il avait lui-même ôté la vie à Plume Rousse.