En savoir plus | Sam 23 Juil - 4:15 | |
| Silence radio. “It was more fun in hell.” 31||16||17
Le calme.
C'est tout ce que je ressens. Le calme. Le silence. Un semblant de paix qui, j'en ai bien peur, ne va durer que quelques instants. Je redoute leur retour comme la peste, je crois que je peux même sentir mes frêles membres trembler de peur. Par pitié, faites que ça cesse. Ça fait longtemps, beaucoup trop longtemps qu'elles essaient de se tailler une place dans ma tête. Jour et nuit, elle ne me laissaient pas fermer l’œil. Je ne sais pas depuis combien de temps je suis pris là, au milieu d'une terre qui m'est inconnue, à assouvir leurs désirs, à les laisser me tourmenter ainsi par leurs engueulades, mais je crains qu'une seule minute de plus soit la minute de trop.
Je ne me souviens plus la dernière journée où mon estomac ne gémissait pas de faim, où je n'avais pas la bouche si pâteuse que je ne m'étouffais pas avec mes sécrétions chaque fois que je devais avaler. Parfois, elles me laissaient l'impression d'en avoir fini avec moi. Je me relevais alors, et, usant des maigres forces qui me restaient, toujours plus faibles de jour en jour, je tentais d'aller chasser. Elles me laissaient seul avec mes tourments, me regardant tenter de me mettre quelque chose sous la dent, n'importe quoi. À bout de souffle et les membres tremblants d'épuisement, j'étais chanceux si elles me laissaient finir mon maigre repas attrapé de peine et de misère.
Le comble, une fois sur deux je dirais, était quand elles revenaient avant même que je ne puisse achever mon seul repas en plusieurs jours, peut-être en une semaine. Elles reprenaient possession de mon esprit d'un coup, et pour une fois, j'avais l'impression qu'elles s'étaient mises d'accord. Les deux me dictaient, m'ordonnaient de blesser ma proie. Blesser, torturer, martyriser, tourmenter cette pauvre bête comme elles me tourmentaient. Elles voulaient me voir devenir le cauchemar incarné de mes proies comme elles étaient le mien, pour ensuite, les laisser s'enfuir. Elles me clouaient sur place, moi et ma panse qui gémissait sans cesse, les yeux rivés sur mon repas qui prenait les jambes à son cou, laissant une traînée de sang derrière elle. Elles me tenaient là, immobile, jusqu'à ce que la bête soit hors de ma portée. Et la guerre recommençait.
-Debout., qu'on me dit d'une voix dure et ferme.
Je sens tous mes muscles se crisper. Pourquoi est-elle seule? Où est donc passé l'autre? Tant de questions se bousculent dans ma tête... Je peux... Je peux penser à nouveau! Seulement, je ne veux pas lui obéir. Je ne veux pas ouvrir les yeux, je veux simplement profiter de ce moment de calme qui m'est -pour une fois- disponible. J'attends son retour. J'attends que le traité de paix signé à l'intérieur de mon crâne se brise, j'attends que mon corps se relève de lui-même, sans ma permission, pour aller chasser, torturer dans l'espoir qu'on me laisse abattre ma proie et me mettre quelque chose sous la dent, qu'on me donne quelque chose pour faire taire mon estomac qui allait bientôt crier plus fort que ces putains de voix dans ma tête. J'attends quelque chose, qu'importe, sans réellement savoir quoi, mais rien ne se passe. Si la première est partie, la deuxième semble l'avoir suivie dans sa fuite.
Suis-je libre? Un maigre sourire a envie d'incurver mes babines sèches. Bien sûr que non. Je l'ai déjà compris, ça. Je ne serais jamais libre. J'aurai beau courir, me cacher, rien ne me permettra de fuir mes propres pensés. Tout ce que je peux faire, c'est profiter de ce moment de calme avant la prochaine tempête.
Mes membres tremblant toujours, je décide d'ouvrir précautionneusement un œil. Rien. Rien sauf de la cendre, une terre sèche et aride qui ne m'est en rien familière. Je discerne à peine un bosquet d'arbres qui se trame derrière une colline, loin devant moi. Il semble minuscule. Mes griffes s'enfoncent maladroitement dans la terre cendreuse que mon corps a ramollie. Il fait chaud, j'ai l'impression de suffoquer. C'est presque comme si le ciel venait m'écraser, m'empêcher de prendre la moindre goulée d'air frais. Mon regard d'ambre fixé au loin, je scrute le bosquet. Malgré sa distance par rapport à moi, me semble bien vert.
Verdure... Chaleur... Nous sommes donc en été? Au dernier silence radio dans ma tête, je tremblais de froid. Selon les calculs effectués dans mon esprit embrouillé, j'ai donc resté près d'un an en leur compagnie. Un an... Comment ai-je pu tenir le coup? Pour l'instant, je ne sais pas. La seule chose que je sais, c'est qu'il ne semble pas avoir de nuages à l'horizon de mon esprit. Si une fois où, du temps où elle était encore seule, elle m'avait complètement abandonné près de la Chapelle, j'avais passé près de la crise de nerfs, maintenant, je ne pouvais que m'en réjouir. Je devais m'enfuir d'ici au plus vite.
En un ultime effort, je me hisse sur mes faibles membres. Ma vision se brouille quelques instants avant de revenir à la normal. Des grondements sourds me viennent aux oreilles. Des orages, peut-être. Oui, des orages, mais aucun signe de pluie qui pourrait me rafraichir. Je vois des éclairs zébrer le ciel sombre, derrière moi. De la foudre, mêlée aux sourds vrombissements des machines de guerre des hommes. Ils se rapprochent. Faut croire qu'elles ont eut la décence de me quitter au moment où je devais fuir. Après tout, elles auraient été beaucoup trop déçues de ne plus avoir d'âme à tourmenter, les pauvres. Elles étaient tellement attentionnées.
La truffe au vent, je me sens presque revivre. Je tente un pas vers la forêt, puis un autre. Si les premiers mouvements sont pénibles et maladroits, je m’accommode rapidement à cette simple tâche qui m'est de marcher. Une patte devant l'autre, je me mets à lentement trottiner, soudainement pris d'une énergie qui m'est inconnue. Je me sens si léger, à croire qu'elle pesaient deux tonnes chaque. D'une cadence soutenue, je passe à la course. Mon endurance a visiblement prit un coup, mais ça ne m'empêche pas d'accélérer encore un peu durant les dernières foulées qui me séparent de la noirceur de la forêt. J'hume l'air, quelque chose de familier me vient au narines. Le sang, la poisse, la mort. Mes membres brûlants sous l'effort - le premier fourni depuis un long moment, visiblement- je marche désormais entre les arbres. Ma vision qui m'était tantôt floue s'est aiguisée, je scrute à présent les corps qui pendent aux branches. Tout me revient. La forêt aux pendus. Les terres Sekmet. Les rendez-vous avec Athos. Ce mois passé au fond de la Blessure. Hige. Mes Parents. Le Pantin. Tous ces souvenirs qu'elles tentaient de me faire oublier, ça me revient maintenant, et ça me frappe de plein fouet. Tellement que je dois m'asseoir, au pied d'un arbre auquel un parachutiste gesticule encore faiblement. Je peux entendre ses gémissements, ça m'arrache presque un sourire. Épuisé de sa course, l'horizon toujours clair malgré l'orage qui approchait, l'Allégorie s'allonge sous l'homme, tête reposée sur ses pattes. Il préférerait se faire frapper par la foudre cent fois plutôt que de passer une autre minutes avec ces deux-là. Du sang s'écoule d'une plaie de l'homme, tombant goutte à goutte dans une flaque près de son museau. Il prend quelque lampées de ce liquide écarlate et ferreux atténuant le brûlement de sa gorge pour quelques instants avant qu'il ne s'allonge de nouveau, adressant quelques paroles au pauvre parachutiste.
-Je t'accompagne pour ta descente aux enfers, ça te dit? On se reverra bien un jour là-bas, après tout.
Il s'endormit rapidement, bercé par les gémissements de la marionnette et le "flic-flac" de son sang. Quant à lui, ce n'était pas Morphée qui l'attendait, oh non. Ce parachutiste, c'était la faucheuse en personne qui était venu l'étreindre, un peu plus tard en cette douce et paisible soirée.
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